Envol et déploiement

L’artiste Mustapha Rafik

Par M’barek Housni

Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre; — il se percha, s’installa, et rien de plus.

Edgar Allen Poe (traduit par Charles Baudelaire)

C’est un oiseau toujours en vol, les ailes déployées à la hauteur d’un espace qui lui est acquis, la toile où il émigre définitivement. Il n’est ni perché,  ni immobile dans un coin, sur une branche au loin ou sur un mur isolé, pas d’encorbellement. Il est en entier dans le projecteur allumé de l’art pictural par le choix délibéré de l’artiste Mustapha Rafik, qui a visiblement pris sur lui de fonctionnaliser à fond sa couleur noire spécifique et à part, seule ou mise à contribution avec d’autres couleurs, dans une sorte d’association de mobilité et d’ébullition. Ceci, en premier lieu.

Une couleur difficile liée à un animal difficile. On la prend en plein dans les yeux. Ces derniers ne seront nullement inquiétés mais admiratifs, loin de la charge «mythique» de répulsion dont est affublé ce volatile qui traverse autant le religieux que l’art et la littérature, tiraillé par l’imagination entre frayeur et enchantement 

L’attribut qualificatif de la couleur noire est un langage propre symbolisant un gouffre sombre ou une opacité.

Or sur les ailes, il est une forme changeante, volante, une partie d’un tout ayant un rôle esthétique garantissant le plaisir de la réussite.

On ne le peint pas sans une idée derrière la tête, la présence d’une préparation objectivée, car il permet tout sans promettre. L’artiste Mustapha  Rafik a eu l’idée à travers ce sujet/oiseau offert. Il le fécond d’attributs colorés précieusement choisis, le jeune doré, le blanc maculé, du rouge sang, et du violet..

Ainsi, si le « noir» pour Kandinsky est comme un néant, un silence éternel, il retrouve un écho lorsqu’il est incorporé à une chose ou à un être comme le corbeau dans notre cas.

Le corps du corbeau promet parfois le noir lumineux qui réagit à point avec la lumière et fournit des éclats bleutés,  violets, qui semblent créés joliment. Que ça vienne du noir montre le pouvoir que la couleur professionnellement traitée peut générer.

C’est révélateur d’un certain contenu et non du vide. Que cela soit lié au corbeau, la référence au plein se trouve changée d’un effet spéculatif intéressant. L’art rejoint ainsi la question de la connaissance en relation avec l’existence. À condition qu’il soit soumis à ce qui n’est pas lui en tant que tel, c’est-à-dire juste une couleur.

Le noir du corbeau est plus qu’une illustration d’une idée abstraite. C’est l’expérience de l’acceptation de ce qui est, de prime abord, loin d’être choyé par l’art autrement qu’à un certain niveau. Il n’est pas de mauvaise augure ici. Il est un acteur d’une vie. Il n’est pas en attente. Il est en plein dans le mouvement.

Le mouvement est la caractéristique majeure.Il est donné par la présence d’autres formes à forte connotation signifiante.Il y la présence très fréquente de la forme circulaire, solaire ou autre, entière ou déchiquetée, entamée comme par des déchirures, traversée de longs filets fluides, juste ombre arrière, parfois dépassant son cadre et avancée plus en avant. Il y de même, mais moins fréquemment, la présence des formes carrées et rectangulaires, et qui sont traitées d’une manière similaire.

Elles sont dans un cas comme dans les deux autres d’un jaune doré, d’un bleu foncé, d’un blanc. Ces formes sont obligatoires, en accord avec la centralité du lieu du corbeau qui de ce fait acquit une présence où il est révélé en tant tel. Il personnifie la solitude extrême, pris comme individu ou dans la multitude. Cette dernière est accentuée par l’artiste de la manière la plus équilibrée : le foisonnement des points semblables aux gouttes et aux taches, des échancrures, des hachures à profusion.

Et le corbeau règne par-dessus, animal beau, corps-beau selon Mustapha Rafik, mis en valeur pour dégager la magie. Quelle magie va-t-il véhiculer ce corbeau-là ? En le contemplant selon l’accommodation adoptée par l’artiste dans chaque toile. La magie d’être  face à l’expression d’émotions intenses et hantées de soubresauts intérieurs ressentis et explorés via une main inspirée par l’entrelacement de l’idée et le vécu. Mustapha Rafik a vu. Sa vision nous est donnée à voir, à suivre, à lire.

Apparaît alors la création de ce corbeau qui nous amène dans le territoire doré par les soleils des fins de journées où des aubes initiatrices, celui qui fait accéder à la vie, qui permet le passage vers la mort tranquille, qui enseigne l’alphabet de la défense et de l’attaque, de l’investissement des espaces larges comme de l’ensevelissement de la fin et des restes, celui qui peuple de ses croassements muets les rêves des hommes et les légendes épiques.

Les toiles explicitent ces différents états et situations d’un travail à l’autre et on y achemine, emportés par les attitudes de mouvements exprimées, comme des incitations à ne pas demeurer coi, mais de suivre la participation à l’effort créatif fourni en long et en large par Mustapha Rafik. Lui, qui possède un long parcours artistique où on sent un académisme saisi à fond et des expérimentations picturales tant dans l’espace urbain via des créations pour des événements culturels que dans l’isolement froid et brûlant à la fois des divers ateliers où il s’est complait dans l’odeur des pigments.

De la beauté ressort de ces corbeaux, de ces corps beaux, et elle englobée dans la magie du geste tant de la main de l’artiste que du déploiement du vol d’aile.

Une magie envolée dans couleurs de l’émotion secrète qu’on est invités à découvrir… après l’installation de cet oiseau dans la toile, l’équivalent de la porte citée dans le poème d’E.A.Poe.

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