Houssein Miloudi, l’illuminé


Par : M’barek Housni

Il n’y a pas de porte. Tu y es
Et le château embrasse l’univers
Il ne contient ni avers ni revers
Ni mur extérieur ni centre secret.
N’attends pas de la rigueur du chemin
Qui, obstiné, bifurque dans un autre,
Qu’il ait une fin. De fer est ton destin.

J.L.Borges

Être artiste peintre et être élu d’une cité vaillante adjure une condition. Il appelle aussi une prédisposition. Car la bénédiction doit être au départ, même si elle n’est pas préfigurée au commencement, à l’entrée du temple érigé à la création. Elle trouve sa matérialité à temps, sa visualisation à un moment donné (dicté). Dans le cas du grand artiste Houssein Miloudi, elle s’est manifestée joliment, en plein jour : Barakat Mohammed, cette grande et célèbre sculpture/installation à l’orée de la ville d’Essaouira, au milieu d’un carrefour entre mer et littoral. Une valeur indicielle de l’émotion à venir, dans la découverte d’un parcours pionnier. Comme un poème qui connecte l’ouïe aux prémices d’un univers poétique où le tragique du thème analysé et le mélodieux de la forme inspirée se joignent.

Le géométrique infaillible

C’était en 1979, juste après les premières années de consécration. Après que le nom fût acquis à la cause de l’art, dans la fougue des trouvailles picturales brillantes par leur nouveauté dans l’arène plastique, heureuses et diverses, qui suscitent l’admiration. Dès que la toile s’annonce au regard, on reconnaît le peintre. Indéniablement. La caractéristique : H. Miloudi réussit comme pas un l’intégration géométrique de plusieurs formes dans un même tout. Le même qui veut dire identique, et le tout qui signifie un ensemble. L’ensemble identique, et l’identique d’ensemble. Sans que cela crée un trébuchement dans l’une ou l’autre des formes, même dans les toiles où l’artiste fait semblant de rompre la constance observée et va vers la simplification du contenu. C’est une opération qu’on aurait tendance, étant dans le vrai, de taxer de l’équilibre parfait. Mais ceci n’est que le constat d’emblée, celui qui s’impose à l’oeil. Et l’œuvre, à ne pas en douter même l’espace d’une seconde, est si imposante ; elle irradie une sincérité transparente par son authenticité.Comme si l’œuvre se crée d’elle-même, et l’artiste en est l’instigateur premier.

On y distingue un premier souci précis de la réalisation jusqu’à la perfection de la ligne et du contour, abstraction faite des brisures, c’est-à-dire tout ce qui cerne ou guide (arrêt, marche= durée, mouvement). Vient ensuite un deuxième souci de l’amendement jusqu’à l’infini de tout ce qui se donne aux sens,et se trouve par cette voie sensible donnée à l’entendement de l’artiste et à sa main prête. Enfin, un troisième souci de la mise en fonction sur le support (papier, tissu, bois…) de ce qui est visionné alors et capté : des figures, des signes, des symboles, car la toile est un monde édifié sur le mode du symbolique, du représentatif :des formes, des chiffres, des imitations, des répétitions, d’allers-retours,.. ce qu’on désigne par une infinité au sein de la main du monde. Le voilà cercle terrestre, rectangle d’ascension, ou carré de la pause d’avant les sauts dans le tumulte géant qu’est la vie. Une géométrie à l’égal du monde, qui part de ce point magnifique et fantastique appelé Mogador pour aller à la rencontre de l’universel.

Embrasser la vie

Il est le premier. L’instigateur d’un processus d’échelonnements et de tourbillonnements, comme d’éclatements et d’explosions absolus de la matière. De ce qu’offrent des sources de départ ayant racine dans l’enfance entre cité et campagne,  dans la ville des remparts et des métiers, dans la culture populaire et soufie, et enfin dans le savoir moderne appris à l’école et dans la fréquentation des artistes et des écrivains. L’ensemble passé par l’expérience personnelle,  à  travers le corps soumis à l’impératif de l’exécution sans concessions de l’œuvre artistique parfaite. Elle est une amulette qui apporte au final la protection et l’embaume. Elle est aussi des tapis, des bijoux, des draps, des remparts, des idoles, un œil grand ouvert qui impose le retrait du médiocre et du farfelu, elle est  cette main dressée, ordre et cri face à l’imposture et invitation à l’heureuse béatitude. Non pas pour que ces différentes facettes ou emprunts (à  l’amazighité abondante)que prend l’œuvre soient seulement des données d’un profond et fastueux plaisir, mais aussi et conjointement des jalons pour pouvoir recevoir une interprétation de l’être par l’entremise de l’art.

Humains et êtres, vol et chute

Caril s’agit d’humains et d’existence humaine. Et puisqu’il s’agit de cela, toute l’œuvre baigne dans les tons terreux, dans le brun des terres et le marron des murailles infaillibles et des corps basanés trop amis avec les soleils de toutes les saisons. Le cuir, la peau. Puis vient ici ou là, dans le caché et l’annoncé, du rouge, du bleu, un blanc en haut, un noir tout près et à l’extérieur, le gris des effluves de  la reséruction. Sang, eau, encre, fumée, cendre, écume…

Le terreux et les apparences des peaux ont un lien direct avec l’écrit des vieilles tables argileuses et des anciens papiers des manuscrits et des documents révélateurs de la vie annotée des événements, minimes ou grandioses. Chaque toile, tout au long des décennies du foisonnement artistique de Houssein Miloudi, étale une part du monde de l’homme pris entre son identité d’homme pris dans toutes les positions possibles, fantômes et squelettes et apparences, et les aléas de l’existence. Il applique à merveille le deuxième des postulats de Kindinsky qui oblige l’artiste à rendre compte ce qu’il doit à son époque en plus de ce qu’il doit à lui-même et à son art.

La manière de Houssein Miloudi consiste dans le suivi de l’alliage du géométrique et du désagrégé, du parfait et du brisement apparent de ce parfait. Ça se fait dans l’éparpillement de la subsistance, de bas en haut, ou de côté. Comme si la perfection n’est pas l’objectif mais la reproduction d’un itinéraire mémoriel. Qu’y voit-on ? L’homme en chute, les oiseaux en vol, comme après la destruction d’une croyance/rempart, le déferlement d’une conviction/abri, mais sans que cela atteint son terme. Car on est face à un travail artistique basé sur le symbolique pur, le représentatif signifiant, celui qui fait suite à l’illumination. Le monde de l’homme est un lieu de chute et de tournoiement, d’évolution dans un bain diffus où les limites s’interpénètrent et fusionnent avec les éléments, ou bien dans le vide en attente d’un salut dont l’art est le plus indiqué depuis que l’homme est homme.

Le monde intérieur de Houssein Miloudi, reflet de son art, est celui des visions sûres qui mandatent son talent et son génie pour nous faire accéder à notre condition de vivants via l’originalité de l’acte pictural qui n’est pas à la portée de tous. On ne peut qu’y être sensible jusqu’au fond de nous-mêmes.

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