Usage licite du cannabis: «Assurer un positionnement au sein du marché international»

Trois questions à Mounir El Bouyoussfi, directeur général de l’APDN

Propos recueillis par Hicham El Moussaoui – MAP

Dans cet entretien, le directeur général de l’Agence pour la promotion et le développement du Nord (APDN), Mounir El Bouyoussfi, met en exergue le contexte national et international du projet de loi relatif aux usages licites du cannabis et son impact attendu sur l’amélioration des revenus des agriculteurs, ainsi que la préservation de l’environnement et de la stabilité sociale. Il présente également le programme de l’APDN pour l’accompagnement de la mise en œuvre du projet de loi et le développement des communes concernées par la culture du cannabis.

Le Conseil de gouvernement a adopté, jeudi, le projet de loi portant usages licites du cannabis, qui sera présenté au parlement pour approbation. Dans quel contexte intervient ce projet de loi ?

Premièrement, il faut préciser que le projet de loi relatif aux usages licites du cannabis, élaboré en harmonie avec les engagements internationaux du Royaume du Maroc, vise la réglementation de l’usage licite de cette plante à des fins médicales, cosmétiques et industrielles, à savoir la fabrication des cordages, du papier et des litières animales.

En effet, après la décision de l’ONU de retirer le cannabis de la liste des stupéfiants les plus dangereux, le Maroc a eu une opportunité de légaliser la culture et l’utilisation d’une manière saine et rationnelle du cannabis, qui permet de réaliser le développement économique et social de la région connue historiquement pour cette culture au Maroc, à savoir la région du Rif particulièrement et le Nord du Royaume de manière générale.

Je pense que l’opportunité est actuellement ouverte pour le Maroc, afin d’accéder au marché international et faire en sorte d’assurer un positionnement stratégique au sein du marché légal des produits du cannabis, sachant que les pays voisins disposant d’un environnement et d’un climat similaires ne tarderont pas, à leur tour, à s’impliquer dans cette culture pour fabriquer des produits médicaux, pharmaceutiques et cosmétiques dérivés du cannabis. Il est également à noter que le marché international des produits médicaux du cannabis enregistre une croissance annuelle estimée à 30%, un taux de croissance qui offre de nombreuses opportunités pour le Maroc et les agriculteurs tout particulièrement.

Le projet de loi concerne exclusivement les régions connues pour cette culture, et n’englobe nullement les autres régions du Maroc. Les efforts consentis par l’Etat ont permis durant les années passées de réduire la superficie cultivée en cannabis, passant de 134.000 hectares en 2003 à environ 55.000 hectares en 2016, selon les données officielles de l’ONU, et ce grâce aux programmes de développement réalisés pour le lancement de cultures et activités alternatives.

Le projet de loi prévoit plusieurs aspects techniques pour la légalisation de cette culture comme le développement d’une chaîne agricole et industrielle dédiée au cannabis, la régulation de la culture, la production, la transformation et la commercialisation du cannabis, ainsi que la création d’une agence chargée de coordonner et gérer ces activités. Mais concrètement, quel est l’impact attendu de cette légalisation sur la population de la région concernée par cette culture ?

Le projet de loi, qui intervient dans le cadre des changements internationaux dans ce domaine, vise dans un premier temps à aider les cultivateurs de cannabis à pratiquer cette culture de manière légale et publique.

La régulation de cette culture permettra également aux agriculteurs de s’adonner à d’autres activités génératrices de revenus, à l’instar du tourisme, les produits du terroir et l’artisanat. A mon avis, le projet de loi est une bonne alternative raisonnable à la situation actuelle dans cette région.

L’important dans ce projet de loi est qu’il nous place face à deux choix exclusifs: Saisir cette opportunité et avancer dans le processus de légalisation ou maintenir le statu quo, ce qui signifie laisser les agriculteurs exposés aux risques de poursuites judiciaires, d’emprisonnement, de problèmes sociaux, de violence, de peur, d’absence de stabilité et de sécurité familiale. Ajoutons à cela la pauvreté due à la baisse des revenus de la culture illégale du cannabis.

Nous sommes conscients que le passage de la situation actuelle à la légalisation ne se fera pas en un clin d’œil, mais cette transition graduelle demande l’adhésion des agriculteurs et leur contribution pour sa réussite, ainsi que leur organisation sous forme de coopératives, ce qui leur permettra de disposer d’une force de négociation face aux entreprises auxquelles sera confiée l’acquisition de la production des cultures légales du cannabis.

Le projet de loi relatif aux usages licites du cannabis a trois objectifs et dimensions essentielles et stratégiques. Le premier objectif est d’ordre social, puisqu’il s’agit de permettre aux habitants de cette région, notamment les agriculteurs et cultivateurs, de s’impliquer dans une activité agricole rationnelle, légale, et dans de bonnes conditions, loin de la peur et de la clandestinité. C’est un projet de loi qui contribuera à établir la paix et la stabilité sociale.

Quant à l’objectif économique du projet de loi, il consiste en l’amélioration des revenus des agriculteurs et le niveau de vie de la population, comparé à la situation actuelle. Si le projet de loi stipule que chaque agriculteur ne peut cultiver que le tiers de ses terres à des fins légales, les revenus attendus, selon les études dont nous disposons, seront doublés en comparaison avec les cultures illicites. Ajoutons à cela que les agriculteurs pourront exploiter les deux tiers restants de leurs terres pour d’autres activités de production. La sortie des agriculteurs de la clandestinité leur permettra d’investir leurs revenus dans d’autres activités économiques et d’adhérer à tous les projets lancés par l’Etat pour le développement économique et social de la région.

Quant au troisième objectif, il est d’ordre environnemental. En effet, les cultures actuelles contribuent à l’appauvrissement des terres à cause de l’usage intensif des engrais et l’épuisement de la nappe phréatique, en raison de l’utilisation excessive des ressources hydriques, en plus de la déforestation. Nous perdons chaque année environ 1.000 hectares de forêts depuis 1975. La réglementation de la culture du cannabis contribuera, sans nul doute, à atténuer ces dysfonctionnements.

3- En tant que responsable d’une Agence spécialisée dans la mise en oeuvre et la réalisation de projets de développement dans la région du Nord, région connue historiquement pour la culture du cannabis, quel est votre plan d’action pour l’accompagnement de la mise en œuvre des dispositions de cette loi après son approbation ?

Naturellement, la mise en œuvre de la loi sur les usages licites du cannabis s’accompagnera d’un programme de développement intégré. L’APDN, riche d’une expérience de plus de 25 ans dans ce domaine, s’emploie actuellement à son élaboration. Ce programme comportera plusieurs axes orientés dans l’ensemble vers le développement des centres émergents et leur transformation en petites villes et municipalités au cœur des communes rurales concernées.

Autrement dit, le programme de développement intégré vise la municipalisation des centres émergents relevant des communes concernées par cette culture, et ce pour permettre aux habitants de bénéficier des services publics ou privés disponibles dans les villes, comme l’enseignement, la santé, la poste, les banques, les assurances et autres services.

Ces services visent l’amélioration du niveau de vie des habitants de cette région. Nous pensons que n’importe quel cultivateur de cannabis, dans le cadre d’un projet et avec autorisation, sera en droit de bénéficier de ces services ou d’y investir s’il le souhaite, la finalité étant la réalisation d’un équilibre territorial au niveau de la région.

Ce programme intégré, qui ciblera 98 communes rurales relevant des provinces concernées par la culture du cannabis et dont la population atteint un million d’habitants, repose sur trois piliers essentiels: social, économique et environnemental.

S’agissant du pilier social, nous œuvrons à l’élaboration d’un ensemble de projets pour l’accompagnement des habitants des zones concernées, notamment les jeunes, afin de créer des activités et services sociaux au profit de la population. Sur le volet économique, nous allons élaborer des programmes d’appui aux projets générateurs de revenus et l’aménagement de certaines zones d’activités économiques dans les communes. Au niveau environnemental, nous prévoyons l’élaboration de projets écologiques pour la préservation de l’environnement, afin d’améliorer l’espace territorial.

Pour conclure, je pense que le projet ambitieux de légalisation de la culture du cannabis et ses usages licites, ainsi que le programme de développement que les pouvoirs publics mettront en œuvre dans la région visent en priorité la réduction des disparités sociales et l’amélioration des indicateurs économiques et sociaux des communes, afin de créer un équilibre territorial.

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