Tifyur, la chanteuse à la voix d’or

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Une voix singulière venue des cimes de Ben Tayeb, dans la région de Driouch. Tifyur, la chanteuse à la voix d’or, a versé un sang nouveau dans les veines du paysage musical national. En effet, après trois albums à savoir « Moulay Mouhand », « Tafuyt » et « Thounguint », sortis respectivement en 2007, 2008 et 2013, la chanteuse s’est éclipsée  de la scène musicale nationale pour des raisons dues non seulement à sa santé et mais également à ses études. « Malgré mon absence dans les médias, je fais toujours de la musique et je travaille sur mes nouveaux projets », a-t-elle affirmé.

Pour elle, la musique amazighe ne doit pas être réduite au folklore. Dans cet entretien, la chanteuse revient sur son parcours, ses débuts et sa vision vis-à-vis du patrimoine musical amazigh et l’avenir de la chanson amazighe. Les détails.

Al Bayane : De prime abord, qui est Tifyur ? Que signifie ce nom de scène? 

Tifyur : Je m’appelle Iman Boussnane. J’ai 28 ans. Je suis issue de la ville de  Ben Tayeb, dans la région de Driouch. J’ai un BA en littérature anglaise de l’Université Moulay Ismail de Meknès. 

Tifyur est le nom artistique qui m’a permis d’être connue. Ce nom est composé en effet de deux mots : « Tif » qui signifie plus beau ou mieux et « Yur » qui signifie lune, c’est-à-dire « plus belle que la lune ». En fait, c’est la poétesse Mayssa Rachida El Marraki qui m’a donnée ce nom de scène au début de ma carrière, en 2003.

Vos débuts sur scène remontaient à l’année 2003 dans le cadre de la chorale Tifyur. Parlez- nous un peu de cette expérience artistique, de vos débuts.

Depuis que j’ai intégrée le monde de la musique, j’ai toujours été passionnée par tout ce qui est artistique, à savoir la musique, en particulier. C’est à l’écoule que mon talent pour le chant a vu le jour. Par la suite, j’ai développé une passion pour la musique. À l’époque, j’étais toujours présente dans toutes les soirées scolaires qui ont été ponctuées par l’encouragement et l’accompagnement de mes professeurs. Notamment le professeur Abdelqahar Elhajjari qui a joué un rôle important dans ma formation musicale et artistique. Ce dernier, il faut le rappeler, avait créé, à l’époque, un conservatoire dans notre petite ville Ben Taieb où il a déployé tous ses efforts pour nous apprendre la musique, le chant et la chorale.

Mes débuts dans le domaine artistique remontent à l’année 2003 en prenant part aux journées culturelles organisées par les étudiants de l’Université Mohammed Premier d’Oujda. En effet, cette participation est intervenue après mes visites à l’Association Boya et ses membres qui ont présenté les richesses et la diversité de la culture amazighe en faisant de nombreuses activités, entre autres le théâtre, la musique et l’apprentissage du Tifinagh. En outre, après avoir découvert mon talent pour le chant, ils m’ont proposé ainsi qu’à ma famille de participer à une soirée artistique qui s’est tenue à l’Université d’Oujda. Du coup après plusieurs tentatives de persuasion, ma famille a accepté, finalement. C’était le début de mon parcours artistique et ma première rencontre avec un public large. Je me souviens encore de la chanson que j’ai chantée «Adhuyagh ibridhan» dont les mélodies et paroles sont composées et écrites par Said Elfarrad, qui était un activiste dans l’Association Boya.

Après trois albums, à savoir « Moulay Mouhand », « Tafuyt »  et « Thounguint », sortis respectivement en 2007, 2008 et 2013, vous avez disparu  de la scène musicale. Pourquoi ? 

C’est vrai! Après la sortie de mon dernier album en 2013, je me suis éclipsée  soudainement de la scène. Cette absence est due à des conditions de santé qui m’ont obligée à disparaître pendant un moment. Pour moi, c’était également une pause  pour que je puisse me concentrer sur mes études. A cela s’ajoute, mon état de santé qui était inquiétant parce que je ne pouvais pas concilier la musique et mes études comme avant. J’ai donc choisi de me concentrer sur ma santé et mes études. En revanche, je considérais aussi cela comme une période de réflexion sur ma carrière d’artiste ainsi que les autres étapes que je devrais franchir. C’était  une période au cours de laquelle j’ai aussi beaucoup travaillé sur moi-même et sur mes compétences de musicienne et de chanteuse.

À vrai dire, malgré mon absence dans les médias, je travaillais toujours de la musique. Ce fut, si j’ose dire, une période de récupération, de méditation et de réflexion pour un retour en force.

Votre musique est puisée dans la poésie traditionnelle Amazighe. A votre avis, comment peut-on faire de la musique un moyen de développement mais aussi de la préservation de la mémoire et des traditions ancestrales ? 

Pendant toutes ces années, j’ai toujours essayé de revenir au patrimoine comme référence de base et comme source d’inspiration en musique.  Incontestablement, le patrimoine est important parce qu’il est porteur de valeurs, de leçons et de gloires. A vrai dire, c’est en se basant sur le passé  que nous construisions l’avenir. J’ai donc essayé de mettre en valeur le patrimoine à travers une combinaison musicale qui touche la musique du monde et qui s’inscrit dans l’époque actuelle. Ainsi, c’est très important de mettre en évidence des sujets importants qui contribuent à changer les mentalités et à faire avancer la cadence du développement.  Et la musique y est pour quelque chose aussi. En d’autres termes, l’art a toujours contribué à transmettre des messages profonds et importants, tout en incitant les gens à partager les  valeurs humaines nobles. 

Certes, l’une des tâches de la musique est la transmission des valeurs et de la vision du monde d’un peuple. Dans cette optique, quelle place occupe aujourd’hui la chanson amazighe dans le paysage artistique national et international ?

Je pense que la musique amazighe a commencé à prendre sa place sur la scène artistique nationale grâce à la présence  remarquable de nombreux artistes amazighs qui travaillent dur et continuellement afin de donner plus de rayonnement de visibilités à toutes les composantes de la culture amazighe par le biais de la musique. Or, il faut toujours le rappeler, la musique amazighe ne doit pas être réduite au folklore. C’est essentiel ! 

C’est-à-dire ?

Il faut sortir de ce regard séduisant toute une musique et une culture à un simple cliché. J’espère que les médias nationaux donnent plus de chance aux jeunes artistes de faire connaitre leurs musiques pour que la chanson amazighe ait la place qu’elle mérite sur la scène artistique nationale.

Vous avez intégré d’autres rythmes, arrangements et sonorités dans votre musique. Pensez-vous que la modernisation et l’ouverture sur différents genres musicaux sont essentielles pour que la chanson amazighe puisse briller sous d’autres cieux ? À quel point alors les chanteurs amazighs ont réussi à porter cette musique à l’universalité ?

La musique est une magie qui transcende les cultures. Elle a en outre cette capacité de briser les frontières géographiques et linguistiques pour pénétrer les cœurs et les âmes. Quant à moi, j’aime écouter les musiques et les rythmes du monde. Je ne vous cacherais pas que mes choix musicaux sont également influencés par ce que j’écoute. Alors, toutes les chansons que j’ai faites sont un mélange du patrimoine musical amazigh, de la pop, du Flamenco, du folk ainsi que d’autres styles. Il va sans dire que cet épanouissement et cette ouverture sur d’autres mélodies, styles et musiques sont une étape nécessaire pour rapprocher la musique amazighe aux  autres gens vivant dans les quatre coins du globe.

Pour moi, l’une des expériences musicales amazighes mondiales les plus réussies est celle  de l’artiste de renommée internationale, Idir. Ce dernier  a pu présenter la musique amazighe au public mondial en travaillant sur le patrimoine amazigh et la musique du monde. Chose qui a fait de lui une icône et un véritable ambassadeur de la musique amazighe partout dans le monde.

Aujourd’hui, un bon nombre de musiciens et d’artistes recourent aux plateformes digitales pour mieux faire connaitre leurs univers musicaux. Pourquoi, à votre avis? 

Le monde connaît aujourd’hui un développement technologique incroyable. Par ailleurs, cette évolution a eu un grand impact sur le champ artistique comme d’autres domaines. La preuve? De nombreuses plateformes numériques ont vu le jour, que les artistes ont commencé à utiliser pour accompagner les changements actuels sur tous les plans. 

En outre, ces plateformes numériques permettent à l’artiste de donner plus de visibilité à ses œuvres musicales afin d’atteindre un public plus large, tout en dépassant les moyens traditionnels et classiques coûteux.

Par ailleurs, les plateformes numériques sont devenues le choix idéal pour la plupart des artistes en l’absence de producteurs et d’une industrie musicale permettant à l’artiste d’évoluer, de produire et de diffuser sa musique dans le marché musical international. Effectivement, ces plateformes numériques ont réussi à rapprocher l’artiste de différents segments du public.

Est-il facile aujourd’hui de produire de la musique au Maroc, notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie de la musique, où l’informel règne encore ?

Produire une chanson au Maroc est désormais une tâche difficile, voire coûteuse pour bon nombre d’artistes.  Car ce que les gens devraient savoir, c’est que la majorité des artistes produisent leurs chansons avec leurs propres argent et moyens. C’est la raison d’ailleurs qui pousse certains artistes à s’éclipser de la scène artistique. Les artistes d’un pays comme le Maroc, qui a montré les plus belles voix et les plus beaux artistes connus au niveau national et international, méritent une industrie de la musique qui puisse leur permettre de  produire leurs œuvres artistiques. C’est un constat ! Les artistes ne sont pas tous capables de produire, dont essentiellement les artistes amazighs qui souffrent véritablement du manque des moyens de production et de diffusion et de distribution.

Comment avez-vous vécu la période du confinement, notamment avec l’annulation des festivals et la fermeture des centres culturels et artistiques ?

La période de la quarantaine a été difficile pour tout le monde. Car, comme vous le savez d’ailleurs, les gens sont sociaux par nature et ils ne peuvent pas supporter cet enfermement pour longtemps.

Franchement, elle était une période très dure pour les artistes, notamment avec l’absence de festivals et d’activités culturelles.  Alors, les artistes ont été profondément impactés par la crise de la Covid-19 puisqu’ ils ont cessé de travailler.

Par conséquent, je peux vous affirmer que le secteur artistique est  parmi les domaines les plus touchés par la quarantaine.

Pour moi, la période de quarantaine a été à la fois complexe, compliquée et importante. C’était une période importante malgré le stress, le doute, le chaos…parce que j’ai pu composer de belles chansons qui verront bientôt le jour. Toutefois, je suis convaincue que l’artiste peut produire un art immortel  même dans ce genre de circonstances difficiles.

Quels sont vos projets artistiques à  venir ?

En ce moment, je travaille sur un ensemble de chansons avec de nouveaux styles musicaux dans lesquels j’ai investi tout ce que j’ai appris pendant toutes ces années. 

En outre, une chanson verra bientôt le jour sous forme de vidéo clip. Après une longue absence, je me prépare un come-back en force en travaillant sur le patrimoine amazigh en particulier  et marocain en général. Je renouerai le lien avec le public en participant dans une expérience théâtrale qui sera dévoilée prochainement.

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