Le nostalgique et l’artistique

Nadia Ouchatar

Par Mbarek Housni

L’éclectisme artistique dont fait preuve cette artiste rend son travail plein de sensibilité d’un côté, et polysémique de l’autre côté. Elle le fait dans un esprit qui privilégie des choix restreints, qui vont à l’essentiel. Autrement dit à ce qui tombera sous le coup de l’idée plastique qui est la sienne. À savoir, se ressourcer à partir de la mémoire visuelle, de l’héritage et du savoir-faire. Le résultat obtenu ouvre la voie à une interprétation qui double la sensibilité d’une lecture opportune.

L’objet du souvenir

Ainsi que la montre l’expérience de l’utilisation du drap ancestral de part son importance pour l’artiste. Mettre un pan d’un drap ancien sur un pan d’une toile, c’est apposer une idée du temps au contact d’un élément d’expression à priori hors du temps. C’est joindre ce qui est apporté par le présent, du côté de l’art moderne du côté du vécu et ses exigences, et ce qui est consacré par le passé qui continue à irriguer ce présent par ses acquis comme un souffle protecteur.

C’est la relation liant dans un même objectif la nostalgie et l’art. Dans le cas de l’artiste Nadia Ouchatar,  il y a cette relation spéciale avec la grand-mère, une dame qui savait se servir de ses mains talentueuses dans la confection des draps. Le savoir inné issu de l’observation naturelle et la persévérance.

L’artiste a toujours eu sous les yeux le tissage laborieux et infini des mains noueuses de cette aïeule qui « créait » ces étoffes de laine à la patience, tel un devoir dicté d’en haut. D’où l’intuition sûre, on le soupçonne, de leur donner une deuxième existence après la vie passée à servir. Il s’agit donc de draps, cet objet utilitaire qui peut être objet artistique. De quelle manière cela est-il possible ? La réponse est dans les mains, cette fois-ci de la petite-fille qu’est Nadia Ouchatar. Elle a reçu le message et elle le perpétue. Il s’en souvient en peignant une partie de cet immense édifice du souvenir «  proustien »

Un drap, ça couvre, ça protège, ça s’étend par terre pour le repos ou le décor. Le drap ancien est un corps autre qui donne à sentir l’hier « introuvable » autrement. Un hier joyeux aux yeux de l’artiste. Car ce drap/temps côtoie dans la toile des couleurs vives, claires, ouvertes. On y voit un voisinage coloré à dessein, où le produit montre un profit double, mutuel et d’aspect vieux avec toutes ces couleurs, originales et celles ajoutées.

De même, l’aspect vieillot et la teinte quelque peu brunie observée dans la toile finie, dialogue avec des arbres rendus par des lignes comme autant de fils tissés. Une interconnexion salutaire qui donne alors sens à cet alliage du passé de vie palpée par l’air du mouvant et d’art qui répond à cette effusion en rendant le tout à portée de ce qui demeure. Le tableau où un drap ceinture un tableau transversalement comme pour l’embrasser est plus que significatif. La joie nostalgique en ressort flagrante.

L’être vert

Il y a aussi l’expérience de l’imagination des êtres, femmes ou êtres à allures humaines, pris dans certaines situations qui interrogent le regard. C’est fait dans la même veine qui irrigue le souffle créatif. L’artiste met en scène un être, non un personnage ni une figure simple, doté d’un corps (tête et tronc) qui répond au monde, en existant de profil et en ayant le bas sans pieds, mais prolongement indissociable de la terre/vie/racine. Il est une multitude de couleurs où dominent le vert et la sève. Mais aussi un personnage féminin bien défini, vu de profil (encore une fois) à la chevelure abondante et tombante, mais dont la coloration est verdâtre jaunâtre, de ce mélange de feuilles automnales hésitant entre les saisons, à la frontière des temps de métamorphose, dans l’humidité de la terre nourricière. Surtout que dans la même toile, il y a un drap ajouté dont elle caresse les fils qui pendent vers le bas. On est face à la jointure, rendue efficacement, de ce qui a été et ce qu’il y a, comme un hommage effectif au legs laissé. 

L’expérience antérieure de l’artiste était caractérisée par un penchant pour ce même ton de couleurs. Elle les usitait en de larges aplats vifs, francs et d’un charme réel dans des formes tirant vers ce qui est arrondi et sinueux. La voilà qu’elle réemploie ce ton dans une composition où il devient un élément crucial de l’idée de la célébration du passé vivant dans le présent de la vie en marche, si j’ose dire.

C’est un actuel, un trait contemporain créant son appartenance à ce qui unifie d’essence et non d’acquis. Créer ressemble suivant ce constat à une démarche de résurrection des signes ancestraux dans un levier des temps qui courent. Cela s’appelle de l’authenticité. Elle est autant liée aux signes qu’à la terre. La femme du tableau cité ci-haut est plus proche de l’arbre et des feuilles vertes, elle incarne dans sa position de dévotion (elle a les yeux fermés) cet attachement comme si elle est enracinée dans la terre. Mémoire et terroir se joignent ainsi comme thème dans l’œuvre de Nadia Ouchatar.

L’artiste imagine autant avec la couleur alliée aux différents ajouts de matières pour assumer son monde. Dans un abstrait des fois, et dans un demi-abstrait d’autres fois, avec une touche d’un réalisme effleuré. Sans oublier, le côté installation : car les draps utilisés sont réels eux.

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