Tout artiste est lui-même

Point de vue

Par M’barek Housni

Il faut se garder de se mêler les pinceaux. Un artiste plasticien est autant sa propre création, du dedans, en tant qu’artiste, que création du dehors, sujet d’influences diverses. Pas spécialement d’un courant, sauf s’il y participe et participe à sa fondation.

Rien ne s’instaure d’un seul coup ni en une certaine période bien déterminée. Il y faut du chemin et un concours de circonstances et d’idées lumineuses. L’histoire de l’art nous enseigne que tout mouvement artistique, toute école, et tout courant sont le fait d’un nombre d’initiatives et d’accumulation de travaux et d’innovations. Il arrive rarement d’être menés par une seule personne, un seul artiste qui incarne en lui une tendance donnée.

L’histoire de l’art plastique, version marocaine, est récente (quelque soixante-dix ans), connue (les œuvres et les écrits à son sujet sont disponibles) et échelonnée (sans coupures majeures). On y décèle des vagues de travaux influencés par les innovations à l’échelle internationale et des expérimentions diverses, le tout sous le label de la modernité, toutes générations confondues. Ce qui incite à la prudence quant à la paternité de cette modernité. On ne peut la lier, sans y regarder de plus prêt, à l’un ou l’autre des artistes connus et consacrés. En général on s’accorde à  dire qu’elle a fait surface avec Ahmed Cherkaoui et Jilali Gherbaoui, a été “théorisée” par le groupe de Casablanca et a été consacrée par la création de tout un chacun d’une pléthore d’artistes sans qu’on puisse prétendre qu’ils ont été des disciples de l’un ou l’autre des artistes qui ont œuvré chacun dans son atelier à se frayer un parcours artistique individuel.

On est obligé d’éclaircir notre point de vue ci-dessus après qu’on ait remarqué dans certains catalogues et certaines interviews lors d’expositions d’hommages ou de créations de fondations, l’octroi de créateur, d’initiateur, ou de fondateur de la modernité artistique au Maroc à un nom ou un autre des plus connus. Ce qui est aller trop vite en besogne. L’exemple du groupe 65 ou l’école de Casablanca est édifiant à cet égard. Il y a école, puisque le mouvement a été initié dans l’école des beaux-arts de Casablanca.

Et donc, il y a là un aspect pédagogique et éducationnel mis en matière avant toute chose, ce côté enseignement de l’art. Et bien sûr, et c’est ici la nouveauté, que l’apport moderne a fait son entrée. Modernité, version marocaine, ça va sans dire. Cette “articulation entre culture savante et culture populaire ; culture artistique et culture matérielle  culture occidentale et non occidentale.” selon Fatima Zahra Lakrissa. Et ce “pour s’acheminer vers une expression artistique « consciente de sa propre logique historique », dans les termes de Toni Maraini. Il était question de révéler la force plastique intériorisée des arts populaires – ruraux et citadins – et leurs significations psychologiques, afin de dégager les différents éléments d’une histoire des arts où vient s’inscrire l’art contemporain.”

Ce fut le pari des artistes Farid Belkahia, Mohamed Chabaa et Mohamed  Melehi et Hamidi, Mustapha Hafid, la critique Toni Maraini et le collectionneur et enseignant Bert Flint. Cette libération et cette décolonisation de l’art a été donc un travail de groupe qui n’a pas empêché chaque artiste de suivre son propre chemin guidé par les idées nouvelles. Et cela s’est perpétué après et, ce qui est le plus important, s’est approfondi avec l’apport d’autres artistes qui auront leur mot à dire et qui se sont illustrés grandement.

Mais une question se pose. Est-ce qu’on peut affirmer que les grands artistes qui sont venus après doivent quelque crédit à cette école de Casablanca et les idées qu’elle prônait ? On ne peut être affirmatif à ce sujet. Car comme on l’a dit au début de ce texte, un artiste est autant créateur d’art que créé par l’art et l’ambiance qui l’entoure. Un regard jeté sur les œuvres de ces grands artistes nous montre la grande diversité des thèmes, des styles et des ajouts opérés par eux pour fonder un univers pictural ou sculptural frappé d’individuation.

Dans ce registre, il y a des noms qu’on ne peut que saluer haut et fort. Mais j’avancerai un seul nom. Celui du grand artiste Houssein Miloudi, dont la biographie seule dénote un long parcours d’inventions, de recherches, de créations sans précédent. En lui, s’incarne notre modernité évidente, matérialisée, sublimée, féconde et unique. À l’instar de grands artistes, ce natif d’Essaouira a haussé le local marocain au rang de l’universel. En témoigne la présence de ses œuvres partout dans le monde, dans des collections prestigieuses. Sa création fonctionnalise à fond sa culture marocaine dans ses différentes affiliations. Résultat : tout tableau créé par lui minutieusement affiche cette double appartenance sans égale, d’ici et d’ailleurs. Le motif de la main chargé de signes, de symboles, de figures, dans les couleurs terreuses qui répondent à un blanc infini, est une des marques indéniables d’une modernité qui n’appartient qu’à elle-même, tout en affichant sa liaison avec la poésie. Ecrite et visuelle dans un même élan.

Contemporain de lui-même comme de ceux dont on a cité les noms ci-haut, il est l’artiste dans l’âme, la création de sa passion exclusive, avant de dialoguer, artistiquement, avec tout artiste.

Chez nous, l’artiste est un parcours individuel avant tout chose. Dans le champ arts plastiques, l’artiste est le reflet de sa personne.

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