«Il faut résister à l’uniformisation de la musique de film»

Entretien exclusif avec Bruno Coulais, compositeur de musique de film  

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Bruno Coulais est une figure emblématique de la musique de film. Au début, il a eu une formation musicale classique, mais sa rencontre avec Françoise Reichenbach a tout changé. Il se dirige alors vers la composition. Il lui confie alors l’écriture de la musique originelle du documentaire « Mexico Magico ». «Ce n’est pas ce que je voulais faire au début. Mais, peu à peu j’ai pris du goût à la relation de la musique avec l’image. », a-t-il confié.  Pour lui, la lumière des films est très importante parce qu’elle conditionne la tonalité et l’orchestration. «J’ai besoin de me sentir en confiance, sentir que le projet de film est passionnant pour la musique parce que parfois il y a de très beaux films qui n’ont pas besoin de musique. Là, il faut avoir l’honnêteté de les refuser parce que la musique abîmera le film. », a-t-il affirmé.

Dans sa musique, Bruno Coulais ne laisse rien au hasard, mais les rencontres avec les cinéastes demeurent importantes, voire indispensables. 

«J’ai pas envie de considérer la musique de film comme une industrie, comme une relation étroite avec les studios. Pour moi, c’est la relation avec le cinéaste qui m’intéresse », a-t-il fait savoir. Les propos.

Al Bayane : une question très courte : pourquoi la musique de film sachant que vous avez fait une formation musicale classique (études du piano et du violon) ?

Bruno Coulais : C’est absolument un hasard parce que j’ai fait, certes,  des études de la musique classique, mais pendant un stage dans un auditorium à Paris, j’ai rencontré François Reichenbach qui savait que je composais. Alors, il m’a demandé de lui créer de la musique pour un film puis un second, puis un troisième alors que j’avais 18 ans.

Parlez-nous justement de vos débuts ? Est-il le domaine que vous aimiez?

Ce n’est pas ce que je voulais faire au début. Mais, peut à peut j’ai pris du goût à la relation de la musique avec l’image. Et je ne me suis pas surtout  passionné pour le cinéma.

À Paris, on avait la chance de pouvoir voir tous les films du passé, même les grands américains et les cinéastes italiens. J’ai erré dans les salles du quartier latin. Puis je suis devenu très cinéphile. Après, de films en films, j’ai eu la chance peut être de faire des rencontres fortes.

Pensez-vous que les réalisateurs accordent une place si importante à la musique dans leurs films sachant qu’une musique peut même être  un personnage à part entière ?

J’ai commencé avec le cinéma d’auteur, et surtout avec beaucoup de cinéastes auteurs qui se méfiaient un peu de musique. C’est une bonne école parce qu’elle m’a appris de mettre de la musique, comment l’utiliser et quelle relation elle pouvait avoir avec le film ou pas.

Il n’y a pas certainement de hasard dans votre musique, faite pour des films et rimant avec les lumières et les images. A vrai dire, vos choix sont très minutieux. Peut-on dire alors que c’est un choix esthétique de votre part ?

Oui. D’abord, la lumière des films qui est très importante pour moi parce qu’elle conditionne la tonalité, l’orchestration. Et puis la curiosité qui est l’une des raisons de mon amour pour le cinéma d’animation parce que ce n’est pas à chaque fois dans le réalisme. Et la musique devient un personnage très fort. Or, chaque film d’animation est très différent de l’univers de l’autre et d’un film à l’autre. Puis, ce sont les rencontres avec les cinéastes avec lesquels ça va marcher ou pas.

C’est-à-dire ?

J’ai besoin de me sentir en confiance, sentir que le projet de film est passionnant pour la musique parce que parfois il y a de très beaux films qui n’ont pas besoin de musique. Là, il faut avoir l’honnêteté de les refuser parce que la musique abîmera le film. Autrement dit, la rencontre est importante.

Les finalités esthétiques avec les cinéastes sont-elles indispensables ?

Justement parce qu’il y a des rencontres esthétiques qui sont très fortes et qui auront une suite dans la collaboration.

Vous avez une carrière discrète. Pourquoi ?

Parce que je suis très artisanal et je fais tout. Je fais mes orchestrations, et je n’ai pas envie de considérer la musique de film comme une industrie, comme une relation étroite avec les studios. Pour moi, c’est la relation avec le cinéaste qui m’intéresse. J’ai fait plus de 200 films, mais l’avantage du musicien de film c’est qu’on est un peu dans l’ombre, et ça me va tout à fait. 

Votre style musical est puisé dans plusieurs genres et écoles musicaux. Et pour être un bon musicien, il doit avoir peut être une oreille sensible et intelligente aux autres musiques du monde. Quelles sont en fait  vos sources d’inspirations ?

Ce sont d’abord la lumière et les couleurs. Chez les compositeurs, ce sont les musiciens classiques qui m’ont inspiré, mais aussi les contemporains. Sans oublier le Jazz, la musique ethnique. J’ai beaucoup travaillé avec les gens qui venaient de cultures musicales très différentes. Toutes les musiques m’intéressent. Par ailleurs, le cinéma permet la collaboration avec les musiciens irlandais, égyptiens et autres. Et tout ça m’a énormément enrichi parce qu’on sort un peu du confort de son studio pour découvrir d’autres façons de faire de la musique et d’autres façons de l’envisager.

Que pensez-vous de la musique marocaine ?

La musique marocaine est très inspirante. C’est une musique d’une grande beauté qui est en fait difficile pour moi sur le plan de la collaboration parce qu’il y a des modes qui sont très particuliers et qui n’appartiennent, heureusement, qu’au Maroc. C’est très difficile pour moi d’écrire quelque chose que je ne connais pas assez. Mais, pour moi, c’est très fort et très bouleversant. Il y a une grande sensualité dans cette musique. Luth est un instrument que j’aime en particulier. 

Y a-t-il une différence entre la musique de film d’animation et celle d’un simple film de fiction ?

La différence, c’est peut être le fait que le cinéma d’animation soit moins encré dans le réel, la musique compte plus de place. L’autre avantage, comme le processus est très long, on a du temps pour l’élaboration du film, de changer d’avis, d’expérimenter parce que j’adore expérimenter… donc le cinéma d’animation est une chose qui m’inspire énormément.    

Le domaine du cinéma est confronté à la mondialisation, à un marché voire une industrie. Qu’en est-il de la créativité et de la liberté dans un domaine où l’argent et la consommation priment ?

Il faut essayer d’être sincère et de ne pas considère ça comme un marché mais plutôt comme une passion et une nécessité. Le jour où j’aurai plus faire de la musique de film, j’arrêterai. Il faut que ce soit une chose nécessaire et pas uniquement une affaire professionnelle ou commerciale. Il faut résister aussi à cette espèce de l’uniformisation de la musique de film.

Nietzsche disait  la chose suivante: «la vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil.» Qu’en dites-vous ?

Je me dis parfois qu’il faut faire autre chose, mais le problème c’est que  je ne sais pas faire autre chose. C’est un rêve d’enfance ! Se réveiller chaque matin en se disant qu’on va faire de la musique est un bonheur quotidien.  

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