Les ultras, du « Blues » à l’action solidaire

Point de vue

Par Abderrahim Bourkia, Enseignant-Chercheur à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan 1 de Settat.

Les supporters ne décolèrent pas face à l’interdiction d’accès aux stades. Ils ne ratent aucune occasion pour monter au créneau et clament, par la même occasion, haut et fort leur droit légitime d’y retourner à l’instar des supporters sous d’autres cieux.

Cependant, ils ont trouvé durant l’état d’urgence sanitaire de nouveaux modes alternatifs adaptés à leurs activités pour supporter leurs équipes. C’est vrai, qu’ils sont malheureux et on parle du « manque » d’être au stade. Les activités « supporteristes »  et les actions collectives tiennent toujours et restent intacts. On peut même dire que l’activisme ultras s’est déjà bien adapté à la situation. Son lot de revendications n’a pas changé d’un iota et de surcroit un autre visage des ultras a émergé dans ce contexte de crise sanitaire.

« Blues » des ultras

Confinés derrière leur télévision, leur radio ou leur ordinateur, beaucoup se sont rués vers les réseaux sociaux pour exprimer leur mécontentement à l’égard des mesures restrictives qui les privent de revenir à l’arène footballistique. Nous avons eu un échantillon qui a atteint son paroxysme le soir du match des Lions de l’Atlas face à la sympathique équipe soudanaise. Ils se sont posés la question sur la présence fortuite d’une dizaine de spectateur malgré l’interdiction.

Le « blues » des supporters et des groupes ultras ne semble pas encore connaitre son épilogue durant une saison que le moins qu’on puisse dire est charnière. En ces temps de crise sanitaire, et les mesures restrictives dictées par le Covid-19, les ultras et les supporters les plus fervents sont malheureux et incapables de vivre à fond leur passion. Ils endurent une période inédite et difficile. Les supporters en parlent sur les forums et sur les pages officielles des groupes des supporters et des clubs. J’ai glané quelques propos ici et là. « Je donnerai tout ce que j’ai pour aller assister au stade à un match de mon équipe », « le stade me manque beaucoup.

C’est l’occasion de trouver mes amis et mettre le feu au virage et encourager nos joueurs. J’ai hâte d’y être et l’attente de plus en plus longue et dure», « je regarde les matches à la télé, mais ce n’est pas la même chose. M’asseoir devant le petit écran et suivre une rencontre de mon amour me fait mal. C’est au stade que se trouve ma place. Les gradins vides me donnent envie de pleurer.

J’ai pitié des joueurs qui font ce qu’ils peuvent et mouillent le maillot sans nos encouragements. Mais je suis sûre que ce n’est pas du tout pareil pour eux. J’ai beaucoup apprécié leurs gestes lorsqu’on a gagné le championnat. Le fait d’aller fêter dans notre virage est une forme de reconnaissance à notre soutien et notre rôle derrière eux». C’est avec de tels propos que certains supporters expriment leur détresse. Il y a celles et ceux qui visualisent les anciennes rencontres sur le net pour combler leur manque et surtout essayer de revivre les moments passés lorsqu’un but leur a permis de rafler un titre ou une qualification difficile. Tous les moyens sont bons pour sortir d’une double déprime. Celle des restrictions liées au Covid et celle d’être privé d’aller au stade.  C’est en substance ce que l’on peut remarquer chez les supporters et les groupes ultras de tous les clubs.  

Solidarité en mode « Ultras »

Le confinement dicté par le Covid-19 s’est avéré un véritable baromètre de notre société. Plonger dans l’incertain, personne ne savait quand et comment on connaîtra l’issue d’une situation/épreuve inédite en ces temps modernes. Le Covid-19 a mis spectaculairement en lumière les inégalités sociales des ménages. En effet, il y a unvolet solidaire dévoilé par certains ultras à travers la collecte de dons au profit des nécessiteux et des personnes touchées de plein fouet par les effets nocifs de la pandémie qui adémasqué et a mis au grand jour les inégalités sociales déjà pesantes sur une grande partie des couches les plus démunis et défavorisées. Les ultras endossent par ailleurs un autre rôle en tant qu’acteur de la société civile. Et ces groupes ne sont pas déconnectés de ce qui se passe autour d’eux car Ils en font partie. Ne sont-ils pas le produit de cette même société ? En ces temps difficiles, l’élan de solidarité s’est traduit par des actions concrètes qui montrent l’autre visage des supporters qui ne se réduit pas à « des machines hurlantes » et des groupes qui s’adonnent à des actes de violence. En outre, les supporters au Maroc ont participé à la collecte de dons destinés aux nécessiteux et ont distribué des denrées alimentaires aux plus démunis dans les villes et les régions enclavées.

Certains ont fait des banderoles et des « tags » pour soutenir les soignants et le personnel médical qui sont dans le premier front de la lutte contre la pandémie.

Les ultras de différents clubs du Royaume ont participé également à une campagne de don de sang à Casablanca et ailleurs  

Ils ont également distribué des flyers et collé des affiches de sensibilisation dans les principales artères des villes pour inciter les Marocains à rester à la maison et à s’accommoder aux consignes sanitaires. Ils se sont pressés pour prendre des photos et mettre le logo du groupe et les partager sur les réseaux sociaux. Les photographies sont accompagnées de « hashtags » et de légendes. Le tout pour marquer leur présence. La concurrence des groupes rivaux a revêtu d’autres formes. Des paniers de denrées alimentaires ont été distribués aux familles démunies. Les membres des groupes ultras ont même bravé les mesures de restriction des déplacements pour aller aux villes isolées pour distribuer vêtements et vivres aux nécessiteux qui vivent dans le Maroc profond.

Cela étant, ce genre d’actions devraient être encouragé. Il serait souhaitable de les accompagner par plus de flexibilité de la part des autorités, dans la mesure où ses actions restent dans les limites admises par les pouvoirs publics. Retenant que l’action collective des ultras est appréciable par sa dimension profonde qui dépasse le footballistique. C’est tout d’abord un lieu de socialisation des jeunes et un espace d’encadrement qui favorise le lien, la rencontre et l’échange, le tout avec une veille des autorités pour que les groupes de supporters et les ultras restent à l’abri toute forme de manipulation.

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