Soudan : Les militaires face à la colère de la rue

Attendons pour voir…

Nabil EL BOUSAADI

La démission, le 2 Janvier, du Premier ministre soudanais Abdallah Hamdok qui avait retrouvé son poste fin novembre après un accord avec le chef de la junte militaire au pouvoir depuis la chute du général Omar el-Béchir, a laissé les militaires seuls aux commandes d’un pays plongé dans des violences meurtrières qui, selon un syndicat de médecins pro-démocratie, auraient fait 57 morts depuis le coup d’Etat fomenté le 25 Octobre dernier par le général Abdel Fattah al-Burhane.

Or, en garantissant, par l’entremise d’un « décret d’urgence », l’impunité des forces de sécurité et en leur conférant des pouvoirs extrêmement étendus allant jusqu’à « entrer sans tout bâtiment », à « le fouiller et fouiller les personnes qui s’y trouvent » et même à « procéder à des surveillances et à des saisies » en passant outre la justice et en n’informant que le seul « Conseil militaire de souveraineté » qu’il dirige, le général Abdel Fattah al-Burhane a ouvert la voie à un bras-de-fer entre le régime en place et la rue qui ne peut générer que davantage de violences.

Pour rappel, alors que les soudanais étaient dans l’attente de la remise du pouvoir à une instance civile, élue démocratiquement, un putsch militaire a mis un terme, le 25 Octobre dernier, au partenariat qui avait été conclu avec les groupes politiques civils après le renversement du Général Omar Al-Bachir et a écarté toute idée d’un transfert de pouvoir aux civils avant Juillet 2023.

Mais, après la condamnation de ce coup de force par la communauté internationale, les pays occidentaux ont suspendu leurs aides économiques au Soudan et le pays est entré dans l’inconnu et dans une spirale de violence qui ne prendra fin qu’après la signature, le 21 Novembre, d’un accord entre les putschistes et l’ancien gouvernement ayant abouti au retour du Premier ministre Abdallah Hamdok.

Or, le « retour » de ce dernier n’a rien changé à la donne car, lorsqu’il a voulu former son gouvernement de technocrates, les militaires lui ont mis des bâtons dans les roues en maintenant leurs propres soutiens en poste dont principalement le ministre des Finances Gibril Ibrahim et en continuant à réprimer violemment les manifestants.

C’est ainsi qu’un rapport de l’ONU indique qu’outre le fait que le téléphone et internet « ne fonctionnent que selon le bon vouloir du pouvoir », cinquante-sept personnes ont perdu la vie depuis le coup d’Etat, treize manifestantes ont été violées et de nombreux journalistes passés à tabac par les forces de l’ordre quand ils n’ont pas été purement et simplement arrêtés.

Tout ceci ne pouvant que renforcer, chaque jour un peu plus, la détermination de l’opposition, il s’agit donc, pour Magdi Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute, d’une « confrontation ouverte entre, d’une part, les forces de sécurité et l’ancien régime – mais, cette fois-ci sans Omar el-Béchir – et, de l’autre, un mouvement sans leader qui ne tient qu’au militantisme des jeunes ».

Mais si, pour Kholood Khair, spécialiste du Soudan qui co-dirige le centre de réflexion Insight Strategy Partners, « la démission de Hamdok prive les généraux de leur façade et montre clairement que le coup d’Etat n’est rien d’autre qu’un retour à la politique militaro-islamiste de Béchir », elle signifie aussi que « les civils ont maintenant les mains libres dans leur lutte pour obtenir un gouvernement civil total » dès lors que le parti « Oumma », l’une des quatre principales composantes des Forces pour la Liberté et le Changement – la coalition civile qui gouvernait avec les militaires jusqu’au putsch –  s’est engagé dans cette voie en rédigeant une charte et en désignant le comité  qui rencontrera les autres représentants de la société civile à l’effet de bâtir un « front populaire uni ».

Enfin, pour Sahar Eljuzoli, la porte-parole du comité de résistance d’Abu Adam, basé à l’ouest de la capitale, « c’est une bonne nouvelle que Hamdok s’en aille car cela va permettre de faire évoluer la situation plus rapidement » du moment que les manifestants vont « continuer à descendre dans la rue jusqu’au renversement du Conseil militaire ».

Combien de temps faudra-t-il attendre et combien de morts et de blessés faudra-t-il recenser avant que les militaires aujourd’hui au pouvoir à Khartoum ne consentent à s’en dessaisir au profit des civils ? Attendons pour voir…

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