La Qalandariyya, un mode de vie prônant l’ascèse mais une extrême liberté

Les confréries entre ordre religieux et mysticisme

« Mystiques musulmans » dont la confrérie a été fondée à Damas par Djamāl Muḥammad B. Yūnus Al-Sāfidjī en 1219, les qalandariyya s’adonnent à l’ascétisme et recommandent à leurs adeptes une parfaite continence. Les novices font le vœu de chasteté et le maître leur passe une chaînette de fer dans les parties sexuelles. (Louis Massignon pense qu’il n’y avait pas de pratique de mutilation, mais perforation du canal de la verge, ou tathqīb al-iḥlīl ; la chaînette était le « verrou », ou qufl, de la chasteté.)

Les qalandariyya sont mis en scène dans un conte des Mille et Une Nuits, et le voyageur Ibn Baṭṭūṭa, au XIVe siècle, rapporte une histoire dans le même style sur l’origine de cette confrérie : le fondateur, ayant été attiré dans un piège par une vieille femme qui agissait en faveur d’une coquette et servait ses intérêts, ne trouve d’autre moyen d’échapper à ces manigances que de se raser la tête et de se présenter dans un état parfaitement déplaisant. Cette anecdote, assez humoristique, montre bien ce qui frappait dans les coutumes des qalandariyya, et laisse deviner une critique amusée qui nous rappelle que de telles pratiques étaient peu appréciées en Islam.

Il faut dire que la particularité des Qalandarī — ou Qalandar — est un mode de vie prônant l’ascèse mais surtout une extrême liberté. Apparu au xie siècle, des Qalandar se sont succédé particulièrement dans les pays du grand khorassan ainsi que du sous continent indien.

Apparu en reprenant les concepts des malamatī et en reprenant des concepts de l’hindouisme, les Qalandar ont toujours formé une communauté éparse et très peu organisée.

En effet, le courant est connu pour être une forme d’antinomie du soufisme en contestant les formes de hiérarchie dans l’islam. L’origine du mot Qalandar est inconnu mais le courant est apparu en Asie mineure au cours du xie siècle avec pour premier représentant notable Baba Taher dont le surnom « le nu » montre la caractéristique majeure du mode de vie Qalandarī. « Je suis ce paria qu’on appelle qalandar, rien ne m’appartient, et je n’ai ni toit ni foyer ; le jour, je vagabonde de par le monde, et la nuit, j’ai une brique pour oreiller », dixit  Baba Taher.

Au XIIE siècle, la vallée du Sind connaît un des principaux émissaires du soufisme et des Qalandar. Il s’agit de La’l Shahbaz Qalandar, né en Afghanistan, ce dernier traverse toute sa vie les pays de l’Asie mineure à la recherche de Dieu à travers des excès et des provocations fréquentes. Il est aujourd’hui vénéré par plusieurs croyants et de religions dans son sanctuaire de Sehwan.

Une confrérie très critiquée

Dans la même période, Jamâl al-Din Sâvi relaie le Qalandariyya en Égypte et en Syrie. Au xive siècle les Qalandar sont vus comme d’authentiques ascètes par le poète Hafez. L’extension des empires successifs (tel que les safavides, moghols ou ottomans) et les vagues d’expansion et de conquête (comme les mongols dans la vallée de le l’Indus) permettent une large diffusion des Qalandar dans le monde. Ces interactions entrainent ces derniers à créer des alliances avec d’autres courants comme le prouve le Chishtiyya- Qalandariyya.

Au xviie et xviiie siècles, le mouvement Qalandar vit une expansion majeure avec notamment trois personnages qui marqueront et affirmeront le Qalandariyyah dans l’époque moderne. Il s’agit de Mashrab (1640-1711), Zalīlī (1676-1753) et Nidā’ī (1688-1760).

Très peu de recherches sont faites sur ce courant, de même, les écrits qui nous parviennent aujourd’hui sur leurs pratiques sont issus des adversaires des qalandar, ce qui explique la faiblesse de la littérature concernant les personnages majeurs. Le spécialiste de l’Iran Fritz Meier invoque le terme de pir en ce qui concerne Bâbâ Tâher, ce qui signifie que les qalandar peuvent avoir une relation d’élèves et maîtres, ce qui est faux en l’occurrence.

Le Qalandariyya est critiqué par les branches de l’islam en raison du comportement des qalandarī qui ne respectent pas la charia et consomment de l’alcool et de l’opium. De même, les qalandar sont vus comme des entités antéislamisques voire organisées par des religions tierces pour désorganiser l’Islam. Les qalandar sont fréquemment assimilés aux malamati mais contrairement à ces derniers, ils ne se cachent pas parmi la population et cherchent à se faire voir.

Le qalandar rejette toute relation avec le pouvoir politique et religieux, il ne répond à aucun maître spirituel et aucun cheikh.

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