«Ne me donnez pas de trophées, donnez-moi de l’argent!»

Entretien avec le réalisateur Michel Ocelot

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Une sommité du cinéma d’animation ! Michel Ocelot, réalisateur des œuvres à succès, entre autres,  «Princes et princesses», «Dilili à Paris», «Azur et Asmar» et «Kirikou», a présenté en exclusivité, lors de la 20ème édition du Festival international du cinéma d’animation de Meknès (FICAM),  des images de son nouveau long métrage «Le pharaon, le Sauvage et la Princesse» qui sortira en France en octobre 2022. Ocelot, dont une rétrospective lui a été consacrée dernièrement au musée du Louvre, s’est vu remporter le prestigieux Cristal d’honneur du Festival d’Annecy. Al Bayane l’avait rencontré le temps d’une séance de signature de ses livres dans le cadre des activités du FICAM. Entretien.

Al Bayane : dans les longs métrages d’animation «Dilili à Paris »(2018) et  «Le Pharaon, le Sauvage et la princesse » (2022), il y a un intérêt assez particulier pour les civilisations et leurs cultures. En effet, dans le premier  on y voit la belle époque parisienne et dans le deuxième l’Egypte antique. D’où vient votre passion pour l’histoire et les civilisations?

Michel Ocelot : j’ai commencé avec une enfance privilégiée. En année scolaire, j’étais en Afrique noire et pendant les vacances, j’étais sur la Côte d’Azur. Donc, j’avais deux univers qui ne se connaissaient pas, mais que je connais très bien. J’étais très tôt citoyen du monde. Pour l’Egypte, il y a aussi le côté artistique et même sensuel. En effet, pendant ma première année secondaire, j’ai découvert l’Egypte antique. J’en suis tombé amoureux et je n’ai jamais arrêté d’être amoureux de cette beauté. Et mine de rien, cette beauté sensuelle parce que les corps sont très beaux, les pharaons et les déesses sont beaux.  Effectivement, l’une de ces histoires que je raconte se passe en Egypte, et c’est avec un grand plaisir que j’y retourne.

Vous êtes l’un des créateurs et réalisateurs qui ont travaillé sur l’Afrique : ses contes et ses histoires. Que pensez-vous du traitement artisanal et superficiel de certains contes par des réalisateurs africains ou autres?

D’abord, ne rejetons pas l’artisanal. En fait, ma carrière a été artisanale. Il ne faut pas avoir peur de l’artisanal, il me semble. Ça a été mon cas, d’ailleurs! C’était une manière d’y arriver, alors je n’ai pas de quoi. Donc, il ne faut pas avoir peur de faire de l’artisanal. Ça peut avoir une couleur ou saveur que des choses industrielles qui viennent de l’Amérique. Mais, évidemment, il faut trouver des débouchés parce qu’il faut vraiment faire des séries et des choses intenses.

Que proposez-vous alors aux jeunes réalisateurs  travaillant surtout sur des contes et des histoires africains?

Je recommande aux gens qui veulent faire des histoires africaines de ne pas respecter trop leurs contes. Aujourd’hui, c’est, nous les conteurs et non pas ceux qui sont morts il y a des centaines ou quelques années. En général, ce que j’ai vu des courts métrages africains suivent exactement le contradictionnel et généralement, ce n’est pas bien ficelé. Il ne faut pas imiter le conte, mais trouver des idées. Je recommande aussi d’utiliser nos contes afin de faire quelque chose qui touchera les autres.

Faire du cinéma d’animation est toujours une aventure. Vos débuts n’étaient ainsi  pas assez faciles, notamment avec «Kirikou». Comment avez-vous reçu le succès de cette série de films?

«Kirikou» est un miracle qui a changé ma vie et qui a changé la vie de beaucoup de gens. Ça me dépasse ! En fait, même si j’étais prêt à tout ce succès, mais pas au succès durable, mais aussi profond. Pour «Kirikou», ce n’est pas seulement du succès, mais c’est aussi de l’amour. Et ça dure… C’est un miracle ! Et puis,  mon honnêteté naturelle est devenue tout d’un coup commerciale.

Vous dites que c’est toujours difficile de trouver du soutien et des  bailleurs de fonds pour produire un film d’animation. Comment faites-vous pour financer vos projets cinématographiques?

C’est le producteur qui sait trouver de l’argent en cherchant dans tous les endroits pour trouver les financements. Mais moi, je ne sais pas. Quand on a fait le tour de tout le monde, on a quasiment trouvé ce qu’il faut pour faire un film. C’était insuffisant et parfois j’investis de ma poche pour réussir le projet.

Beaucoup de critiques disent que vos films transmettent des messages de tolérance et de vivre ensemble. Qu’en dites-vous?

Je dis oui. C’est vraiment ce que je veux. Je ne perche pas la tolérance, mais la recherche du plaisir. Je cherche du plaisir en rencontrant des gens différents.  Quand « Azur » dit en mangeant le couscous de sa mère adoptive que c’est bon ; ce n’est pas qu’il est tolérant, mais parce que le couscous est bon.  Et il n’a pas peur de manger du couscous.

Une musique originelle est essentielle pour un film.  Comment choisissez-vous vos musiques?

C’est très important ! Moi, je cherche toujours une musique originelle. C’est toujours des musiques que je commande. C’est toujours des musiques pour mon film avec des spécificités assez précis. Pour Azur et Asmar, j’ai eu la chance d’avoir la collaboration de Gabriel Yared qui savait bien enregistrer les deux bords de la méditerranée. Pour « Kirikou et la Sorcière », c’est Youssou N’Dour. Une très bonne musique aide beaucoup. Et j’essaie toujours de trouver le bon compositeur pour le bon film.

Vous êtes un ami du FICAM qui a consacré une partie importante de sa programmation au marché du cinéma d’animation et de la structuration du secteur. En fait, comment voyez-vous l’avenir de ce cinéma au Maroc notamment avec les jeunes créateurs qui œuvrent pour développer cette filière?

Il faut de la liberté pour faire des œuvres d’art. En effet, développer une industrie du cinéma d’animation prend sûrement du temps. Par ailleurs, il faut aussi peut-être passer par des choses -qui ne me plaisent pas- à savoir des séries systémiques pour la télévision, mais de bonnes séries. C’est une manière aussi d’apprendre le métier et de faire travailler des gens malgré sa qualité.

Aimez-vous des séries, des œuvres en particulier ? Est-il facile de faire ce qu’on veut  dans un monde forcément marchand?

Ce qui m’intéresse, ce sont les œuvres personnelles d’un être humain qui parlent aux humains. Ça m’a pris du temps pour y arriver. Je suis arrivé, mais ça y était dur, et j’aimerai que les autres n’attendent pas si longtemps que moi. J’aime les œuvres d’auteurs, les œuvres  des humains pour les humains. C’est long à développer, mais je souhaite bonne chance à toutes les Afriques.

Vous avez reçu dernièrement le prestigieux Cristal d’honneur  du festival international du film d’animation d’Annecy. Que représente ce prix pour vous ? Quels rôles peuvent jouer les prix en matière du rayonnement et de la promotion d’un film en particulier et du cinéma d’animation en général?

Ça ne sert à rien. J’ai beaucoup de prix… et j’ai toujours des problèmes à trouver des financements. Mes films sont de moins en moins chers, mais je suis content que Annecy me donne une récompense parce que c’est un lieu que j’ai beaucoup aimé et qui m’a aidé avant «Kirikou». Mais, ne me donnez pas de trophées, donnez-moi de l’argent.

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