Couleurs exaltées et sublimées

L’évolution de l’œuvre singulière de Mansouri Idrissi semble résister à un classement définitif.  Les approches sont diverses : néo impressionnisme, hyper impressionnisme, impressionnisme contemporain, lyrisme, onirisme, mysticisme, spiritualité,… L’absence du consensus critique montre que cette œuvre comporte des éléments constitutifs d’une «nouvelle démarche plastique».

Libérée de tout appui ou référence extérieure, l’œuvre tient par elle même. Tout cela évidemment est conforme au principe de Vassily Kandinsky sur l’abstraction plastique. Mais le travail de Mansouri Idrissi explore avec force cette voie.

A travers une recherche chromatique intensive, il traite la couleur de manière paroxystique, exaltée et sublimée. La couleur devient signifiant, signifié et référent. Elle est au service d’elle même. Elle constitue la «centralité» et le «cœur» de l’œuvre. Une exubérance de couleurs agencées, ordonnées d’une manière éblouissante. Une rare maitrise des nuances et des teintes. Une fragmentation infinie et fascinante des tons et des carnations.

La technique picturale de Mansouri Idrissi donne l’impression que la «matière » posée sur la toile est une «émanation» vaporeuse et éthérée.  La couleur semblant flotter ou planer à «quelques millimètres» au dessus de la toile, comme en état de « grâce». A chaque regard porté sur le tableau, on perçoit une résonance autre, constamment renouvelée.

Son œuvre pourrait être abordée, avant tout, comme une «équation chromatique».  Mais elle comporte d’autres dimensions qui viennent après cette équation fondatrice. Elle porte aussi les signes d’une «équation spirituelle» issue de l’«équation chromatique» première.

Face à la beauté des couleurs, Vassily Kandisky a employé la notion de «friandise». Paul Klee a complété par un autre énoncé célèbre «friandise chromatique ». Le travail de Mansouri Idrissi autorise d’employer la formule «friandise spirituelle»…suscitant chez le spectateur allégresse de l’âme, méditation et résonances spirituelles. Cette expérience pose d’abord la question essentielle du «mystère de la lumière et des couleurs» …   et ensuite la question du « mystère de la vie, de la spiritualité et des origines».

Mansouri  est né au cœur de la vieille ville de Rabat. Son père était imam de la mosquée Al Fallah, une des plus anciennes de la médina. On peut l’imaginer, encore enfant, montant plusieurs fois par jour au haut du minaret (et il l’a confirmé)  pour contempler le fascinant panorama coloré, enluminé et changeant de la vallée de Bouregreg.

Lors de sa prime jeunesse,  son imaginaire s’est déjà définitivement imprégné de ce rapport entre  «couleurs» (celles de la vallée)  et «spiritualité» (émanant du lieu  d’observation). Une vision offerte  du haut d’une construction dédiée au culte  et non pas d’un banal édifice.

L’œuvre est aussi reconnaissable  par ces formes, ces silhouettes qui survolent sur  la toile. Probablement  des émanations de mémoire, des réapparitions d’êtres ou d’entités enfouis  dans les tréfonds de  l’imaginaire de l’artiste. Happées vers le haut, ces formes  évoquent aussi élévation et transcendance.

Ces multiples imprégnations ont généré une immense accumulation esthétique. Un capital de créativité affiné par une solide formation académique en arts plastiques. Face à la toile, son imaginaire est d’une telle amplitude qu’il lui suffit de faire remonter les lumières et couleurs de ses origines – en une sorte de transe mystique créative – pour saisir l’idée initiale de la composition.

C’est pour cela que l’acte de peindre chez Mansouri Idrissi relève de l’«évidence». Il n’est pas dans la recherche esthétique «douloureuse». Il a déjà mille tableaux dans l’esprit. L’acte de création chez Mansouri Idrissi est surtout une question d’émergence d’éléments esthétiques et spirituels qui sont déjà là dans sa mémoire et travaillés par son imaginaire.

Il peut très bien faire sienne cette formule de Paul Klee : «La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre».

Azzeddine Hachimi Idrissi

(Artiste peintre, chercheur)

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