Un art engagé pour un public raffiné

Carton plein pour les concerts de Hiba Tawaji et Oussama Rahbani qui se sont produits pour la première fois au Maroc les 17 et 18 mars à Casablanca et à Rabat. Très connus dans le monde arabe à travers leur musique engagée, les deux artistes traitent des sujets liés à la liberté, la justice, la lutte contre la guerre, la famine et tous les fléaux causés par l’Homme.

L’engouement des spectateurs pour le concert de la soprano et du compositeur et musicien libanais a contraint les deux artistes à proposer deux concerts à guichet fermé qui ont accueilli un public conquis, dans une ambiance digne d’un art qu’ils ont qualifié de posé. Durant leur courte présence au Maroc, Al Bayane a pu s’entretenir avec eux.

Al Bayane : Pourquoi avoir pris tout ce temps pour organiser un premier concert au Maroc?

Hiba Tawaji : Nous avons reçu de nombreuses propositions, mais cela ne s’est jamais concrétisé à cause de plusieurs facteurs. Aujourd’hui, nous sommes heureux d’être ici. Espérons que cela soit le début d’une série de concerts au Royaume.

Oussama Rahbani : Je crois qu’il était temps d’être là avec Hiba, surtout qu’il y’avait beaucoup de demandes de la part des mélomanes qui sollicitaient que nous nous produisions ici.

Aujourd’hui, la scène musicale dans le monde arabe regorge d’artistes sans répit qui marquent leur présence sur la scène médiatique. Pourquoi vos apparitions sont-elles très rares ?

H.T : Nous sommes très sélectifs à ce niveau-là. Il faut dire que c’est seulement quand nous avons des choses à dire et quand les émissions sont à la hauteur que nous sommes présents sur les écrans. Autrement, nous travaillons dans les coulisses. Cela dépend de notre actualité. Il est toujours bien d’être sélectif et de ne pas être présent toujours et partout. Je crois que l’artiste doit créer le mystère chez le spectateur. C’est bien pour son image.

O.R: Souvent, nous avons un programme assez chargé, entre les concerts et les enregistrements. Actuellement, nous travaillons sur un double album qui est assez grandiose comme projet, et ce n’est pas un travail facile surtout que nous visons la perfection de l’art à l’état pur. Je dirais que nous sommes à la fois, proches et loin des médias !

Dans l’une de vos précédentes apparitions dans un talk show, vous avez souligné que si ce n’est pas avec Oussama Rahbani que vous travaillez, vous risquez d’arrêter le chant. Pourquoi?

H.T : J’aime beaucoup chanter. C’est ma passion et mon rêve à la fois, mais dans le monde arabe, ce n’est pas facile de chanter et d’être bien entouré. Il faut savoir que quand j’ai décidé de faire du chant ma profession, c’est Oussama qui en a été la cause, parce qu’à part lui, je ne voyais pas dans le tableau musical arabe quelqu’un qui pourrait ressembler à ce que j’avais envie de présenter. J’ai toujours eu de l’admiration pour le travail qu’il fait et la musique qu’il présente. Il est non seulement un grand musicien, mais aussi mon idole. C’est lui qui a concrétisé mon rêve dans le monde arabe ! Il a su exploiter ma voix et la faire évoluer ! C’est aussi avec lui que j’ai pu créer mon identité artistique.

En parlant d’identité artistique, est-ce quelque chose d’inné ou qui se travaille?

H.T : Je crois que ça pourrait être les deux ! Parfois, nous avons la chance d’avoir directement une identité musicale et d’autres fois, on a du mal à la découvrir ! Je pense qu’il faut savoir la chercher, la forger et aussi y travailler pour pouvoir la mettre en avant.

O.R: Personnellement, je pense que l’identité artistique se base sur un caractère et un tempérament. Certes, nous pouvons travailler dessus, mais il faut la base. Aujourd’hui, nombreux sont les artistes qui ont de belles voix mais pas d’identité artistique. Avoir une identité musicale est un vrai défi et d’ailleurs, c’est ce qui fait la spécificité de Hiba Tawaji !

Depuis le début de sa carrière, elle a su se faire une identité à travers sa première chanson «Metel El Rih». Elle a pu se positionner à un très haut niveau d’interprétation avec non seulement sa voix mais aussi son charisme. C’était ça son point fort.

Vous présentez un art engagé. Dans la forme, plusieurs vous comparent à la légende de la chanson arabe Fayrouz, et aussi à Julia Boutros ou encore à Majida Roumi. Qu’en dites-vous?

H.: Tout d’abord, je trouve que Fayrouz est une Diva exceptionnelle que personne ne peut approcher. Elle est intouchable et invincible. Tout artiste est inspiré par son parcours avec les frères Rahbani.

Pour ce qui concerne Julia Boutros ou Majida Roumi, je trouve que nous faisons partie de l’école Rahbanienne, c’est-à-dire la musique engagée avec des mélodies et des thèmes différents que nous trouvons uniquement dans cette grande école musicale. Je trouve aussi que cette ressemblance se limite uniquement dans la voie choisie, mais pas dans le fond puisque chacune de nous a sa propre identité, totalement différente de l’autre.

O.R : Je crois que l’art avant les frères Rahbani n’avait pas la même place qu’il occupe aujourd’hui. Les frères Rahbani et Fayrouz ont apporté une pensée posée à l’art, avec les thèmes qu’ils choisissaient et l’originalité de la mélodie qu’ils présentaient. Ce n’était pas un art qui se présentait dans des restaurants ou dans des soirées d’hôtels. C’était un art justement engagé ! Personnellement, j’ai grandi dans cette école vu que je fais partie de cette famille et Hiba en connait bien l’histoire. Les frères Rahbani et Fayrouz ont tracé un nouveau chemin de la chanson dans le monde arabe, et il y’a eu des artistes qui se sont intéressés à cette pureté d’art, entre autres Julia et Majida!

Votre participation à « The Voice» ne vous a t-elle pas fait peur, sachant  que vous étiez déjà une célèbre artiste dans le monde arabe. Parlez-nous de cette brave expérience!

H.T : A vrai dire, c’est le directeur de casting de l’émission «the Voice France» qui m’a repérée sur internet et a vu que je chantais en plusieurs langues. Il m’a contactée par la suite pour me proposer de participer à l’émission. Il faut dire qu’au début, j’ai dit un «Non» catégorique. C’était un énorme risque à prendre. Après, Oussama m’a conseillée de prendre mon temps pour réfléchir. Après un moment de réflexion, plusieurs facteurs m’ont poussée à accepter, entre autres, le fait que j’avais 26 ans et que j’avais encore envie de m’aventurer pour aller plus loin. En effet, c’est vrai que je pratique la musique orientale, mais je chante tout autant la musique occidentale. Donc, j’avais aussi envie d’exploiter cet aspect de ma voix, de ma personnalité et de mes rêves. Par ailleurs, aller à la découverte d’un nouveau public, celui de «The Voice», qui ne me connaissait pas, allait m’ouvrir de nouvelles opportunités. J’ai fini par dire oui et je suis allée en demi-finale.

Grâce à « The voice », un nouveau public m’a découverte dans le monde francophone. Aujourd’hui, il y’a de nouvelles personnes qui s’intéressent à ce que je fais. J’ai aussi signé avec le label «Universal musique France» avec qui je prépare un album en français et une comédie musicale qui porte le nom de  «Notre dame de Paris» dans laquelle je joue le rôle d’Esmeralda!

O.R : Je crois que pour son âge, Hiba a presque tout accompli dans le monde arabe, entre les comédies musicales, des studios albums, et deux lives album, des concerts avec l’orchestre symphonique. C’était le temps de chercher à conquérir un nouvel horizon. Aujourd’hui, nous avons aussi un nouveau rêve, celui d’aller plus loin que l’Europe…

Oussama Rahbani, vous avez fait partie de plusieurs éditions de la « Star Ac Liban » en tant que consultant de cette émission, pourquoi ne l’êtes-vous plus? Comment voyez-vous les émissions de découverte de nouveaux talents  dans le monde arabe aujourd’hui?

Le monde arabe n’est pas habitué à ce genre de critique. Dans le milieu artiste, il y’a des gens qui sont très naïfs, très faibles et qui n’ont pas de caractère ! A mon avis,  ces gens-là ne peuvent pas continuer ou tracer un chemin d’artiste. Dans la vie, nous recevons beaucoup de chocs, spécialement dans ce domaine ! Personnellement, je suis très exigent quand il s’agit de l’art ! Quand je fais de la critique ce n’est pas pour humilier mais pour pousser les gens à faire mieux. Rares sont les gens qui le comprennent!

Si nous voyons aujourd’hui Hiba Tawaji à cette place, c’est parce qu’elle sait ce qu’est un travail exigent. Elle sait accepter la critique et prendre les conseils. Elle sait écouter pour apprendre et non pour répondre.

Les chanteuses et chanteurs du Moyen-Orient ne sont pas des compositeurs comme à l’international. Rares parmi eux connaissent l’histoire de la chanson, la technique de la voix, la technique de la musique et l’instrument. Pour moi, des gens qui n’ont pas un grand bagage musical ne peuvent pas occuper la place de consultant ou de juge dans une émission de découverte de jeunes talents. Dans le monde arabe, être juge dans une émission est devenu une tendance.

Après les comédies musicales et le théâtre, peut-on voir Hiba Tawaji au cinéma?

H.T : A la base, mon parcours universitaire a été consacré aux études de cinéma et de réalisation. J’aime beaucoup le cinéma mais j’attends la bonne occasion. Jusqu’à présent, je n’ai pas encore repéré un scénario au même niveau que la musique que je présente. Une fois il est là, je répondrai présente.

Vos nouveautés ?

Un nouvel album «Hiba Tawaji 30» déjà sorti en digital et qui sera bientôt disponible en copie physique. Nous lui avons choisi ce nom pour plusieurs raisons, entre autres en décembre 2017, je soufflerai mes 30 bougies, l’album contient 30 chansons et aussi parce qu’Oussama a voulu travailler 30 heures pour finaliser cet album dont la signature est prévue le 30 mars au Liban.

Omayma Khtib

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