Réforme des médias: entre les contraintes du marché et les défis de la profession

La réforme du secteur des médias nécessite un consensus national, ont appelé les participants à la journée d’étude organisée, samedi 8 avril à Casablanca, par la Fédération Nationale de la Presse et de la Communication. Placée sous le thème «Les transformations et les contraintes du métier du journalisme», cette rencontre fut l’occasion de débattre des multiples défis à relever pour booster ce secteur, indispensable pour la consécration du processus démocratique.

«Il est vrai que le Maroc figure parmi les premiers pays arabes adoptant une Loi très libérale régissant le secteur, mais il est fort de constater qu’il y avait des régressions, surtout après le limogeage du gouvernement d’Abdellah Ibrahim, les événements de Khénifra et Moulay Bouâaza en 1973», a souligné Ali Karimi, professeur à la Faculté de Droit de Casablanca.

Selon l’intervenant, l’évolution du champ médiatique était tributaire à la fois des facteurs endogènes et exogènes, notamment les législations onusiennes (Pacte international relatif aux droits civils et politiques), la montée des partis démocrates en Occident et la chute du mur de Berlin marquée par la prolifération de l’idéologie libérale. Abondant dans le même ordre d’idées, le professeur a indiqué que l’ouverture politique entamée en 1990 a permis l’élargissement de la marge de la liberté de la presse et la mise en place de plusieurs textes juridiques, en l’occurrence le nouveau Code de la Presse. Cependant, le spécialiste des médias a regretté que les peines privatives de libertés aient été transférées vers la loi 73.15, tout en mettant l’accent sur le fait que la démocratisation du champ médiatique devrait aussi être conditionnée par le renforcement des règles déontologiques de la profession.

Réhabiliter la presse partisane

De son côté, Mohamed Talal, professeur de l’enseignement supérieur a axé son intervention sur les contraintes du secteur, soulignant dans ce sens que la presse y compris «indépendante» n’a pas contribué à élargir le cercle des lecteurs et ce, depuis l’Indépendance. Cela s’explique du fait que «nous sommes encore une société marquée par la tradition orale», a-t-il laissé entendre. Autre point non moins important relevé par l’intervenant, est celui en relation avec les quotidiens nationaux qui n’arrivent toujours pas à instrumentaliser les nouvelles technologies pour assurer un pluralisme de l’information et le développement du journalisme de proximité, indiquant dans ce sens que la presse, dite indépendante, ne peut se substituer à la presse partisane qui devrait être réhabilitée dans son rôle, a-t-il précisé.

Par ailleurs, Mohamed Talal s’est interrogé sur le devenir du secteur de l’audiovisuel, encore à la case départ. «Le modèle économique des chaines publiques ne peut pas être avancé comme prétexte pour refuser l’octroi des agréments de diffusion. Cela est en manque d’une véritable volonté. Il s’agit d’une politique publique inachevée», a-t-il martelé.  Cela étant dit, la réforme du secteur des médias requiert la mise en place de trois conditions, à commencer par l’implication de tous les acteurs concernés (Etat, partis politiques, société civile…). A cela s’ajoute l’adaptation des lois avec les développements technologiques en cours, et au final, la mobilisation des ressources financières adéquates. In fine, les médias doivent être traités au même titre que l’éducation ou la défense nationale, car en fin de compte, il s’agit d’un secteur stratégique permettant le développement de l’Etat et la création d’une opinion publique consciente et responsable, a conclu Mohamed Talal.

La valeur de l’information

Abderrahim Tafnout, journaliste à la chaine 2M, a considéré que la liberté d’expression et la construction d’un Etat fort et démocratique ne pourraient se faire que par la mise en place d’un champ journalistique garantissant le droit d’accès à l’information. Inscrivant son intervention dans une démarche bourdieusienne, Tafnout a regretté le fait que le journaliste s’est transformé en un «agent de communication» au lieu de remplir dûment sa mission, celle d’informer la Cité. «Le journaliste doit être au service de la raison publique. Son rôle consiste à enquêter et sensibiliser l’opinion publique, voire à dénoncer les déviations éthiques et les défaillances de gouvernance», a-t-il déclaré avec insistance.

Même son de cloche chez El Arbi Riyad, journaliste au quotidien Ittihad Ichtiraki, qui a évoqué dans son exposé les contraintes auxquelles se heurte le journaliste de la presse locale. Outre la difficulté de l’accès à l’information, la presse locale n’est pas souvent la bienvenue. En termes plus clairs, « le journaliste de la presse locale, censé éclairer les citoyens de la ville, n’est pas souvent le bienvenu. Il s’agit d’une persona non grata suscitant la méfiance des responsables de la cité, alors que dans le monde entier, la presse locale est le précurseur des valeurs de la citoyenneté».

Au final, Najib Amrani, rédacteur en chef du journal Al Bayane, a traité de la problématique des genres journalistiques entre les dispositions de la profession et les contraintes des institutions. Pour le conférencier, outre la difficulté d’accès à l’information, il se trouve parfois que la formation des journalistes laisse amplement à désirer, notamment lorsqu’il s’agit des sujets qui nécessitent une formation très pointue, comme c’est le cas de l’analyse financière. En d’autres termes, parfois les journalistes ne savent pas à quel Saint se vouer, surtout quand il s’agit d’analyser et d’interpréter des bilans financiers ou le traitement d’une affaire judicaire. «La valeur de l’information dépend grandement d’une formation solide du journaliste», a-t-il conclu.

Khalid Darfaf

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