Crowdfunding: Enfin la libération des énergies?

Classé parmi les mauvais élèves en la matière, le Maroc s’apprête à confectionner un cadre juridique et légal pour le financement de StartUpet d’entreprises à travers une participation du public ou financement collaboratif. Avec l’avant-projet de loi du gouvernement, le Ministère de l’Économie et des Finances veut remettre les pendules à l’heure, officiellement, mais aussi avoir un œil sur le flot d’argent qui pourrait échapper au système classique…

Avec quatre (4) plateformes de financement collaboratif et à peine 21 projets financés en 2015, le Maroc était placé parmi les mauvais élèves dans le domaine du Crowdfunding selon une étude réalisée par Afrikstart, plateforme de Crowdfunding, en 2016. Par comparaison, l’Afrique du Sud disposait à l’époque (2015) de 21 plateformes qui ont financé 4.581 projets, le Nigeria de 9 plateformes pour 102 projets financés.En France, plus de 234 millions d’euros ont été investis durant l’année 2016 dans des projets via le Crowdfunding, enregistrant ainsi une progression annuelle de 100% selon le cabinet KPMG. Les quelques opérations de Crowdfunding au Marocont été réalisées pour des projets associatifs, culturels et sociaux, souvent à partir de plateformes installées à l’étranger.

C’est dire l’handicap que pose l’absence d’une réglementation claire sur les opérations de Crowdfunding au Maroc et le “manque à gagner“ que constitue cette situation pour les porteurs de projets. La concrétisation de cette loi qui en est encore au stade d’avant-projet donnerait certainement un coup de fouet important à cette activité pour le bonheur des start up innovantes et des PME. La loi sur le Crowdfunding est donc attendue avec impatience par les acteurs du marché marocain.

Au Maroc, l’avant-projet de loi appelle le Crowdfunding “financement collaboratif par le public“, par distinction au financement participatif précédemment adopté pour la finance islamique et le définit comme étant «opération de collecte de fonds via une plateforme électronique dite plateforme de financement collaboratif (PFC), gérée par une société de financement collaboratif (SFC)». Selon le Ministère de tutelle, l’introduction d’une telle loi a pour objectif de «renforcer l’inclusion financière des porteurs de projets, l’appui au développement économique et social, ainsi que la canalisation de l’épargne collective vers de nouvelles opportunités». Elle introduit de fait deux nouveaux acteurs qui sont chargés de porter les opérations et d’en contrôler l’exécution (voir encadré : Une législation complète).

Aux origines

Cet outil, largement utilisé dans les pays anglo-saxons et certains pays de l’Afrique anglophone, a émergé depuis 2010 en Europe, notamment avec Ulule,première plateforme du genre. Mais au Maroc le recours à cet outil de financement est loin d’être d’usage et ce, pour deux principales raisons: d’une part, à cause donc dela législation qui ne le permet pas et, d’autre part, à cause de la méconnaissance du dispositif.Les différents types de financement sont adaptables à toutes les entreprises. Le Crowdfunding a réellement pris son essor à partir de la crise financière en 2008, où les banques ne finançaient plus les entreprises aussi facilement et pour des montants aussi importants qu’auparavant.Ces facteurs, associés à l’explosion de l’utilisation d’Internet,et celle du paiement en ligne, ont poussé le concept à émerger.Le principe est de participer,moyennant une contribution et via une plateforme web, au financement d’un projet. Mais, au-delà de l’argent que l’on peut récolter via de grandes plateformes, le Crowdfunding permet véritablement de construire une image de marque, puisque les donateurs sont indirectement les premiers clients du projet ou de l’entreprise car ils croient déjà en ce produit qui n’en est qu’à un stade de prototype.

En outre la plateforme de Crowdfunding doit inspirer confiance au public. C’est la raison pour laquelle la plateforme prend le temps pour «fairevalider» le projet à travers une petite enquête qui consiste enla vérification du concept etdu respect des copyrights, la validation du business model et au final l’assurance qu’il n’y a pas de fraudes.Mais la pertinence du projet ne suffit pas, à elle seule, à garantir le succès. La communication et la création d’une sorte de buzzautour demeurent importantes,le but étant de le faire connaître auprès du plus grand nombre.En effet, cette communication doit se faire de manière intensive, voire agressive la veille du lancement dudit projet. Bien entendu le relais le plus important utilisé est les réseaux sociaux: il s’agit en réalité de séduire les personnes les plus célèbres et ayant le plus grand nombre de followers, afin qu’elles deviennent prescripteurs du produit que la startup propose.

Au Maroc, les projets associatifs sont les premiers bénéficiaires du crowdfunding et ce canal de financement peut être un levier de développement important dans ce domaine. Plusieurs projets ponctuels et ciblés,portés par des personnes et souvent à caractère social, ont vu le jour via le crowdfunding. Ce fut le cas de Houda Chaloun, une bloggeuse quia réussi à récolter quelque50.000 dirhams pour accomplir un voyage en Antarctique.Avec la réglementation en préparation, le Crowdfunding va pouvoir prendre son envol au Maroc et permettre au Royaume de rejoindre les pays en pointe dans ce mode de financement sur le Continent.

Accroche 1 : La concrétisation de cette loi donnerait certainement un coup de fouet important au Crowdfunding pour le bonheur des start up innovantes et des PME.

336 millions d’euros

C’est le montant collecté via les sites de financement participatif en France en 2017 selon le dernier baromètre de FPF réalisé avec KPMG qui recense une soixantaine de plateformes.

Soumayya Douieb

 

 

La petite histoire du crowdfunding au Maroc

C’est en 2014 que les premières plateformes de crowdfunding émergent au Maroc malgré l’absence de cadre réglementaire adéquat. Afineety, Smala & Co ou encore Cotizi et Atadamone, ont dû alors s’adapter, d’une manière ou d’une autre, au cadre législatif actuel.
Smala & Co, par exemple, avait pris le parti de se localiser en France pour se soustraire aux contraintes juridiques au Maroc. Objectif : permettre aux porteurs de projets, où qu’ils soient au Maroc, de réaliser un appel public au don en France, dans le cadre de l’ordonnance française d’octobre 2014 relative au crowdfunding, en toute légalité. Mais la plateforme a dû suspendre son activité l’année dernière, suite aux évolutions réglementaires en France. A l’origine de cette suspension figure une ordonnance de l’État français pour renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent, entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Aujourd’hui, il ne reste plus que trois plateformes de crowdfunding au Maroc : Cotizi, spécialiste de la collecte de dons et du lancement de pétitions en ligne au Maroc et dans la région MENA, Afineety, plateforme d’equityCrowdfunding, et Wujuj, plateforme marocaine de prévente pour la région MENA.
Le projet de loi actuel est le fruit de la collaboration entre le ministère de l’économie et des finances et la Fédération marocaine de crowdfunding, constituée notamment par Afineety et Wujuj. Cette Fédération s’est constituée en 2017, avec une mission claire : développer le crowdfunding au Maroc. En plus d’informer les citoyens, les entrepreneurs et les acteurs économiques et politiques sur ce type de financement, il s’agit pour la fédération d’accompagner le développement des premières plateformes de financement collaboratif, d’attribuer un label de confiance aux opérateurs et surtout d’être une courroie de transmission entre les autorités de régulation et les opérateurs. «Officiellement, jusqu’à ce jour, le crowdfunding ne peut pas opérer au Maroc puisqu’il n’existe pas de réglementation pour réguler cette activité de financement. Il n’y a donc pas encore d’opérations de crowdfunding en investissement. En revanche, sur ces quatre dernières années, il y a eu quelques opérations de crowdfunding en dons réalisées pour des projets associatifs, culturels et sociaux, et ce à partir de plateformes qui opèrent en France», a déclaré à la presse Emmanuel Exposito, directeur général délégué en charge des opérations à Afineety, une plateforme de crowfunding marocaine et membre de la Fédération marocaine de crowdfunding –CMF.

Une législation complète

Cet avant-projet de loi est le résultat de plusieurs années de consultations, de tractations et de travaux entre les acteurs du Crowdfunding et les autorités. Il traduit également une première concrétisation des intérêts des différentes parties prenantes à ce projet de réglementation de la pratique du Crowdfunding au Maroc.
Le texte de l’avant-projet de loi sur le “financement collaboratif“ instaure la création du statut de gestionnaire de plateformes de financement collaboratif (PFC), statut réservé aux sociétés de financements collaboratifs (SFC). Il définit également le dispositif d’agrément des SFC et de supervision des activités de financement collaboratif. Cette supervision sera administrée par Bank Al Maghrib pour ce qui concerne les activités de prêt et de don. L’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) quant à elle prendra en charge la supervision des activités d’investissement en capital. L’avant-projet prévoit également les procédures et les modalités de création et de fonctionnement des PFC, la définition des engagements et des obligations des SFC en matière d’information du public, de publicité et de reporting. Celui-ci fixe aussi les règles à respecter en matière de vérification préalable des projets à financer, de sécurisation des transferts et de protection des contributeurs. Autre élément important dans cet avant-projet de loi : il établit des plafonds en termes de montants à lever par projet et par contributeurs pour les différentes formes de financement. Enfin, le texte définit les règles spécifiques à chacune des trois formes de financement collaboratif : l’investissement, le prêt et le don.

L’expérience française

Grâce à l’ordonnance Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif, le Crowdfunding a réussi à prendre pied en France et à prospérer depuis lors de manière fulgurante. En 2017, ce sont 336 millions d’euros qui ont été collectés via les sites de financement participatif selon le dernier baromètre de FPF réalisé avec KPMG qui recense une soixantaine de plateformes. Un bond de 44% en un an et une progression ininterrompue puisqu’en 2013, le montant collecté n’atteignait que 78,3 millions d’euros. En 2017, 2,6 millions de participations financières à un projet ont été enregistrés. Les projets financés par le don sans récompense ont par exemple collecté en moyenne 4.000 euros. Plus de 1,6 million de personnes ont permis de financer 24126 projets (21375 en 2016). Le prêt participatif, ou crowdlending, a amassé le plus de financements. Il  représente 58,1% (soit 195,3 millions d’euros) de la collecte totale, loin devant le don et ses 24,6% (82,8 millions d’euros) et le crowdequity, ou prise de participation sous forme de capital, pour 17,3% (58 millions d’euros). Aussi, et comme en 2016, le secteur économique capte la majorité des financements issus du crowdfunding avec 261 millions d’euros collectés (77,7%). Les projets immobiliers et environnementaux concentrent deux tiers des projets. Les secteurs culturel et social ont respectivement collectés 45 (13,4%) et 30 millions d’euros (8,9%) en 2017. S’il y a encore de la pédagogie à faire auprès du grand public, mais aussi des acteurs plus traditionnels du financement et des acteurs économiques, le Crowdfunding a réussi à élargir sa base et atteindre des secteurs de plus en plus variés.

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