L’exclusion sociale démystifiée

Mohamed  Beniaich*

Le terme exclusion sociale est intrinsèquement problématique. Il représente la principale division significative de la société en tant que division entre des catégories sociales et régions incluses et d’autres exclues.

Toutefois, le concept d’exclusion sociale a été limité par des visions et des conceptions qui diffèrent en vertu des obédiences idéologiques, des orientations politiques et des paradigmes culturels lorsque l’on aborde la problématique et les causes de l’exclusion sociale. La version conservatrice maintient que le problème de l’exclusion sociale est en grande partie dû au déficit moral (les gens qui sont trop paresseux pour trouver un emploi sont aussi trop paresseux pour quitter leur environnement exclusif) et les exigences imposées aux personnes exclues qu’elles doivent donc secouer leur paresse, lassitude, manque d’intérêt ou de volonté, être beaucoup plus fortes et déterminées pour réussir leur inclusion.

Cette approche indique également que les exclus sont la cause du problème et sont donc à blâmer pour leur destin. Ces auteurs, adoptant cette approche minimaliste, opérationnalisent invariablement l’exclusion sociale en tant que description statique des résultats des échecs individuels qui empêchent les démunis de s’intégrer dans l’inclusion sociale, mettant, ainsi, l’accent principalement ou exclusivement sur les facteurs de risques individuels. Pour eux, les exclus socialement sont des «outsiders», des citoyens de seconde zone, incapables de s’adapter à la société et à profiter de ses opportunités socio-économiques.

Ce qui en résulte est une image trop homogène et consensuelle de la société – une vue rose possible parce que l’exclusion sociale est celle dans laquelle l’inégalité et la pauvreté sont pathologiques et résiduelles, plutôt qu’endémiques et structurelles. L’attention est attirée sur les inégalités et les différences entre les inclus.

Notamment, les très riches sont absorbés dans la majorité incluse, leur pouvoir et leurs privilèges se perdent de vue s’ils ne sont pas complètement hors de vue. Dans le même temps, la pauvreté et le désavantage des soi-disant exclus sont discursivement placés en dehors de la société. L’exclusion apparaît comme un problème essentiellement périphérique, existant à la limite de la société, plutôt que comme une caractéristique d’une société, qui délivre de manière systématique et ordonnée des inégalités massives et une privation chronique pour de larges couches sociales.

La solution impliquée par ce discours sur l’exclusion sociale est une solution réductrice: une transition à travers les frontières pour devenir un «intégré» plutôt qu’un «exclu» dans une société dont les inégalités structurelles ne sont pas largement interrogées.

Cette approche est fort peu plausible, insoutenable et, faut-il le dire, totalement erronée, notamment en raison du fait qu’elle ne veut pas concevoir l’exclusion sociale comme un concept multidimensionnel qui est opérationnalisé en combinaison de privation matérielle; accès insuffisant aux droits sociaux; un faible degré de participation sociale et un manque d’intégration normative. Au contraire, les souteneurs de cette politique déshonorante entendent accentuer ce qu’on appelle l’«influence sociale passive», c’est-à-dire la culture qui est synonyme de docilité et encore plus de soumission,  appelant les exclus à accepter un schéma de coopération qui place leurs vies sous le contrôle des riches inclus, les privant d’une participation politique significative et pleine, les privant eux et leurs enfants de la possibilité de bénéficier d’une meilleure éducation, de soins de santé et d’emplois, et les déshéritant d’une part de la richesse produite par leur pays.

L’exclusion sociale est un processus structurel et institutionnel issu des politiques publiques et sociales défaillantes. C’est un problème systémique, en ce sens qu’il implique – quelle que soit la cause – les systèmes sociaux. L’exclusion sociale résulte de la formation de monopoles de groupe, limitant l’accès des exclus aux ressources et aux opportunités sous un ordre social coercitif, imposé par un ensemble de relations de pouvoir hiérarchiques dans lequel naissent l’interaction de classe, de statut et de pouvoir politique qui servent les intérêts politiques des inclus. Les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent» n’est pas un cliché. Le concept sous-jacent est un processus théorique appelé «concentration de la richesse». Sous certaines conditions, la richesse nouvellement créée est concentrée dans la possession de personnes déjà riches.

Si les choses restent inchangées, et si nous satisfaisons des mesures sporadiques, incohérentes et fragmentées, cela aggraverait encore davantage les exclusions, les inégalités sociales et spatiales et la répartition inégale de la richesse et des revenus.

Le gouvernement ne peut pas fermer les yeux, jouer à Ponce Pilate et s’en laver les mains et, partant, l’exclusion sociale se doit de devenir un enjeu impérieux et majeur de l’agenda politique du gouvernement à mettre en œuvre dans le très court terme, et les phénomènes sociaux auxquels ce terme se réfère et les mesures qui pourraient être prises afin d’y remédier devraient être viables, durables et réalisables, définies de telle manière qu’il ne subsiste aucun doute sur la possibilité de les réaliser concrètement sur le terrain.

Ces derniers temps, il y a généralement un consensus parmi toutes les organisations internationales et nationales que les activités et les opportunités économiques sont concentrées géographiquement, occasionnant des inégalités importantes et une croissance non-inclusive. Et bien que les actions entreprises dans le cadre de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) aient permis l’obtention de résultats manifestement positifs, ils échouent à forger les territoires marocains à la faveur d’un développement régional inclusif, durable et équitable. «L’action publique pourrait gagner en efficacité si les différentes politiques publiques sectorielles étaient plus cohérentes entre elles, que ce soit dans leurs objectifs ou leur mise en œuvre mais force est de constater qu’en l’absence de document de politique générale du développement, la plupart des politiques sectorielles sont élaborées avec des mécanismes de coordination défaillants», tranche Lahcen Daoudi, l' »ex »-ministre délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance. Et d’ajouter, plus loin «Chaque année, le Maroc dépense plusieurs milliards dans des politiques sociales, qui s’avèrent inutiles à cause d’une mauvaise affectation et globalement d’une mauvaise gouvernance».

C’est dans ce sens que Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans son discours du 13 octobre dernier, lors de l’ouverture de la session parlementaire, qu’Il a souligné la nécessité d’adapter les politiques publiques aux préoccupations des citoyens, en fonction des besoins et des caractéristiques de chaque région. …et (d’assurer) un développement équitable, garantissant la dignité de tous, générant des revenus et des emplois, en particulier pour les jeunes».

Pour le souverain, il est impérieux de  » prendre un temps d’arrêt pour engager une réflexion critique qui répond à une exigence du moment…. Aujourd’hui, les Marocains ont besoin d’un développement équilibré et équitable, garant de la dignité de tous, générateur de revenus et d’emplois, notamment au profit des jeunes ; un développement qui contribue à instaurer un climat de tranquillité et de stabilité, et qui favorise une insertion réussie dans la vie familiale, sociale et professionnelle, que chaque citoyen appelle de ses vœux ».

Par conséquent, On croit aussi sincèrement et fermement qu’il y a beaucoup de place pour l’amélioration, notamment en ce qui a trait aux stratégies de développement durable du gouvernement et son action politique dans différents domaines afin de garantir que les initiatives de croissance favorisent l’inclusion sociale des « outsiders ».

Les politiques de croissance favorisant l’inclusion sociale des «outsiders»?

La question centrale qui se pose avec le plus d’acuité et d’insistance est la suivante : Comment les politiques de croissance peuvent-elles favoriser l’inclusion?

Il est fort possible que la forte croissance ne soit pas nécessairement inclusive, car les bénéfices d’une prospérité matérielle accrue ne sont pas toujours partagés de manière égale entre les différents groupes sociaux. Une croissance forte, même soutenue sur plusieurs années, n’est pas non plus une garantie que les groupes sociaux privés de leurs droits auront une voix plus forte dans le processus politique et dans la société en général.

La croissance inclusive implique une croissance globale, structurelle et volontariste, une croissance partagée et une croissance favorable à l’exclusion régionale et sociale. Cela réduit le taux de croissance rapide de la pauvreté et accroît la participation des populations au développement du pays. La croissance inclusive suppose de faire profiter les niveaux de croissance à toutes les couches de la société et dans toutes les régions du pays.

Selon l’auteur de «Governance, participation and in-between», en l’occurrence Ernesto d’Albergo, l’inclusion sociale repose sur quatre variables principales: qui (quels acteurs) est inclus dans l’élaboration des politiques; sur quoi (quelles politiques et enjeux); où (à quelle échelle spatiale) et pourquoi (objectifs et significations de l’inclusion promue en fonction de la stratégie du promoteur, bien que des effets inattendus ou contre-intuitifs soient possibles).On dégage ,donc, deux pratiques principales:

-les pratiques de gouvernance dans lesquelles sont inclus les acteurs privés (parties prenantes, intérêts acquis, entreprises) afin de parvenir à un consensus et d’harmoniser les préférences en matière de développement économique et d’utilisation de l’espace qui génèrent une importante allocation de ressources à une échelle nationale plus large.

-les pratiques participatives, dans lesquelles les acteurs porteurs d’intérêts et de valeurs orientés vers des biens communs contribuent à introduire dans les politiques publiques un souci plus marqué de la durabilité sociale du développement économique et de l’inclusion sociale.

Il est largement admis dans la littérature sociale que la participation du public peut créer un capital social: les activités d’engagement rassemblent les gens, renforcent et étendent leurs réseaux sociaux, favorisent la confiance et les valeurs partagées et permettent ainsi de nouvelles actions collectives ou communautaires. Le sociologue français Pierre Bourdieu a été l’un des premiers théoriciens à s’intéresser au capital social: «Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe (…) d’agents (…) dotés de propriétés communes (…) aussi unis par des liaisons permanentes et utiles». Ce capital social devient aussi un élément identitaire, structurant du groupe, générant de la réciprocité et donc de la dette.

Cela a été corroboré par Osmani qui montre comment: «Dans les sociétés fragiles» une large participation aux affaires publiques est encouragée comme moyen de créer le capital social nécessaire pour avoir un effet positif sur la croissance économique. Encourager des taux plus élevés de participation au marché du travail, accroître les résultats scolaires et professionnels, améliorer les résultats scolaires et le développement intellectuel des enfants et améliorer l’efficacité du gouvernement, entre autres choses.

Il est largement admis, aussi, que diverses formes d’engagement et d’implication des citoyens peuvent contribuer à la cohésion sociale – souvent considérée comme un élément fondamental des communautés fonctionnant bien, essentielle pour instaurer la confiance et le respect des autres, réduire la criminalité et créer un sentiment d’appartenance et de bonne citoyenneté.

Les travaux de la conférence co-organisée par le Département des affaires économiques de l’OCDE et la Banque Mondiale s’inscrivent dans cette veine. Rendre la croissance plus inclusive et plus durable et finalement comment atteindre cet objectif était l’une des questions débattues lors de la conférence. Tous les groupes d’intervenants ont insisté sur l’importance de permettre aux parties prenantes de partager les avantages d’une richesse accrue et de promouvoir le bien-être. Au niveau politique, la création de conditions propices à une croissance inclusive appelle un changement institutionnel et une adaptabilité aux conditions économiques en évolution, un processus où la coexistence d’anciennes et de nouvelles institutions crée souvent des tensions qui doivent être résolues par le processus politique. Mushtaq Khan développe cette argumentation dans son intervention qui décortique les effets délétères de la mauvaise gouvernance, la mauvaise gestion des ressources nationales et de la faiblesse de la capacité institutionnelle, et l’absence d’une culture de la transparence dans les pays en développement.

Les politiques favorables à la croissance sont connues pour avoir un impact concomitant sur l’inclusion. Les synergies entre les différents départements gouvernementaux dans un processus solidaire, homogène et fort, le soutien à l’innovation, la recherche et le développement scientifique, et à la croissance verte et les initiatives visant à promouvoir le développement social présentent un intérêt particulier pour cette conférence. Les engagements dans ces différents domaines d’action sont prometteurs pour créer un environnement économique favorable dans lequel les groupes sociaux partagent les avantages d’une performance économique améliorée et d’une croissance plus forte.

Pour conclure et comme il ressort manifestement de diverses études, notamment «l’étude dans le cadre de la réflexion prospective sur le Maroc 2030» menée par le Haut-Commissariat au Plan que les coûts économiques et sociaux de la pauvreté sont déjà considérables et qu’ils continuent à handicaper l’ensemble des composantes de la société, à moins que ne soient édifiés les fondements d’un futur inclusif des perdants du processus de développement.

La lutte contre la pauvreté et son corollaire l’inégalité et l’exclusion gagnerait à être localement repensée et qu’en général, le développement humain et l’équité sociale sont les clés du futur souhaitable du paysage social national.

* (ex membre du CC du PPS)

One Comment;

  1. Farid Bennani a dit:

    Une réflexion très profonde et édifiante à plus d’un titre.merci

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