«At Eternity’s Gate»…dans la peau de Vincent van Gogh

DNES à Marrakech Mohamed Nait Youssef

On a eu du mal à trouver l’expression pour décrire ce film. C’est plus qu’un film, c’est un chef d’œuvre. «At Eternity’s Gate» (110 minutes) a été projeté, vendredi 30 novembre, en avant première dans le cadre de la cérémonie d’ouverture de la 17ème édition du FIFM en présence de son réalisateur Julain Schnabel.

L’histoire du film fouille dans la vie et le vécu d’une figure de proue de la peinture universelle, Vincent van Gogh. Un personnage complexe, unique, fou, doué et qui échappe à toute classification. Ces sont en effet les dernières années de sa vie, exactement vers 1888, que le peintre avait quitté l’ambiance et le climat sombres du Nord à la quête de la lumière, des lumières et des couleurs à Arles en France.

C’est la méditerranée avec sa beauté des visages et  paysages. On pourrait dire que le peintre est arrivé au summum de la création et son imaginaire  le pousse d’aller loin, au-delà parfois  de la création. En effet, il faudrait un réalisateur doué, exceptionnel pour saisir l’âme  créative et artistique transcendantes de ce peintre inclassable.

Le mouvement de la caméra est parfaitement maîtrisé pour rapprocher le personnage : ses traits, ses rides, son visage fatigué mais qui nous parle. Un peintre qui cherche la lumière et un regard assoiffé à la couleur loin des espaces ténébreux. Dans son atelier, il s’enferme pour peindre et trouver une forme à la couleur dans la toile. La caméra dont le mouvement accélère le temps, remplace parfois ce monologue intérieur et laisse à l’image le pouvoir de dire ce qui demeure caché dans le regard étrange et créatif de l’artiste.

Dans la nature, son refuge d’ailleurs, il s’évade, il se cherche, parfois il court derrière une lumière jaune, un crépuscule ou encore une odeur de la terre. Comment peut-on peindre sans vivre et sentir les détails de l’univers, du Cosmos ? Certes, il y a quelque chose de mystérieux, d’inexplicable  dans la destinée de ce peintre. Pourtant, il aimait sa destinée, une sorte d’«Amor fati»… pour reprendre l’expression nietzschéenne. Le film donne tantôt l’envie de rire, de pleurer, d’apprécier les petites choses de la vie. Grosso modo, un condensé d’émotions.   Dans le film comme dans sa vie, le personnage principal est à la recherche de l’éternité dans un monde éphémère. Des heures de marche dans les champs et ce plan large qui nous dessinent un homme solitaire dans le monde, livré entièrement à son sort et puis un regard paronymique sur la nature surgit pour trouver l’angle et l’emplacement idéal pour en faire un dessin et se retrouver dans l’immensité  de l’univers. Tout se voit dans ses yeux bleus… ce bleu ciel dégagé, ce bleu  présent dans ses œuvres. La couleur de la méditerranée et d’amour tièdes retrouvés.

Dans les altitudes, il écoute les échos de ses profondeurs ontologiques, d’un homme vagabond bien entendu. Le film est bien fait, bien pensé, bien écrit et filmé… les images sont poétiques. On se souvenait de cette scène du coucher du soleil qui se noyait dans ses regards. Les images parlent parfois au milieu du silence et absence du dialogue.

En effet, dans les détails se cachent le beau. L’artiste dont regard curieux, assoiffé parfois instable cherchait du mystère dans les racines d’un arbre qu’il lui donne une nouvelle vie sur la toile. Le bleu est toujours présent. Ainsi, il faudrait comprendre et sentir le mouvement du vent, des vents et des nuées pour aimer le film! Le sentir véritablement.  Il faut le dire, l’acteur a bien incarné le rôle dont le réalisateur a pu nous dévoiler les zones d’ombres du personnage où tout se  lit sur son visage. Et ce n’est pas facile!

Un regard éternel posé sur le monde. Entre  peinture et cinéma, image, lumière et musique de Tataina Lisovskaya… on oublie parfois la vision effrayante du monde, dure et tourmentée du peintre. Au fil des événements et du temps existentiel qui passe l’histoire devient de plus en plus captivante avec notamment le visage de l’acteur qui crève l’écran.

Le film ne manque pas de scènes absurdes, des dialogues intenses où le questionnement est de mise entre autres Dieu, don, beauté, religion, univers et peinture.  Par ailleurs, dans le film, le réalisateur s’intéresse aux détails les plus minutieux comme la main du personnage en train de peindre, trouver la touche et la couleur exactes et fines pour ses tableaux.
Le film est une leçon de  vie, d’art et de manière! «At Eternity’s Gate» est aussi le titre de un des tableaux majeurs de Vincent Van Gogh. Un coup de cœur à voir…

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