Aquafina à la rescousse pour redorer le blason de Pepsi

Après quelques mois de rodage qui auront donné des résultats satisfaisants, Pepsi s’est résolu à lancer officiellement sa marque Aquafina sur le marché de l’eau minérale. Objectif: reproduire sur le marché marocain le succès obtenu dans d’autres marchés et agripper une part de marché conséquente de 5% dès sa première année. Le tout, avec un timing parfait, post-boycott de Sidi Ali. Le leader du marché, à l’orgueil touché par cette gifle populaire, ne compte pas laisser du terrain et prépare d’ores et déjà une réplique dans l’Oriental. La bataille de l’eau, annoncée de longue date, semble désormais relancée…

«Le lion a maigri et les enfants l’ont pris pour un chien. Mais c’est seulement lorsqu’il a rugi que ces derniers se sont rendus compte de leur erreur», dit un proverbe africain. Assistera-t-on à une reproduction parfaite de ce dicton togolais sur le marché marocain des eaux minérales ? Car parlant d’amaigrissement, le géant marocain Les Eaux Minérales d’Oulmès s’est retrouvé toute côte dehors et “presque totalement décharné“ avec un résultat net part du Groupe 2018 qui a enregistré une baisse de 91,7%, passant de 189,5 millions de dirhams à 15,7 millions de dirhams. Il n’en a pas fallu plus pour que Aquafina sorte la tête de l’eau. Comme un requin attiré par le sang, la marque d’eau minérale de Pepsi Co a jugé le timing parfait pour faire son apparition sur le marché. La formule, éprouvée dans d’autres territoires, est la même : rodage et déploiement. Et après quelque trois mois de rodage, Pepsi Co dont l’embouteillage des produits est réalisé au Maroc par le groupe indien Varun Beverages Morocco (VBM), vient de lancer officiellement sa marque.

Et ce, avec des ambitions d’envergure pour 2019 et pour les trois prochaines années : 5% de parts de marché pour ce premier exercice, 20% de parts de marché d’ici 2021, 50.000 points de vente couverts dans les trois prochains mois et 80.000 points de vente dont 10.000 cafés, hôtels et restaurants d’ici 2022. Il y a encore de la place sur le marché de l’eau embouteillée argue-t-on du côté de Pepsi Co car les Marocains ne boivent toujours pas assez d’eau. Selon des chiffres, les 28 litres d’eau en bouteilles par personne et par an sont bien sympathiques, bien appréciables, non négligeables certes, mais loin des capacités des voisins du sud de l’Europe. En France, ils boivent 118 litres et 176 litres en Italie par personne et par an. Pepsi Co, encouragée par la croissance annuelle moyenne de ce marché de l’eau en bouteille estimée à 14% pour un total de 1,3 milliard de litres n’a donc pas pu résister à l’appel d’air.

Diversification ou nécessité de compenser le soda?

Et ne leur dites surtout pas que c’est un produit de plus sur le marché ! Les promoteurs d’Aquafina vous rétorqueront avec l’argument communication bien rodé : « Nous avons décidé de pénétrer ce marché pour proposer une eau de qualité et non un produit de plus. Notre eau de table se distingue par sa qualité, grâce à la pureté obtenue via un traitement en 7 étapes, et surtout son goût », avance Salaheddine Mouaddib, CEO de VBM. Ah… l’argument de la pureté ! Pepsi Co se targue de posséder l’eau la plus pure du marché, avec le taux le plus faible en sodium, obtenue après un procédé unique en son genre, à laquelle sont rajoutés des minéraux essentiels, pour une formulation équilibrée,… Le tout nécessitant 10 litres d’eau potable pour 1 litre d’Aquafina. Quand même ! Car il faut le savoir, l’entrée des géants des boissons gazeuses s’est faite sur cette base : purifier l’eau potable ou l’eau de robinet, l’embouteiller pour en faire un produit tendance. Exit les sources d’eau classiques. Il y a moyen de se faire vite et bien des billets sans se tracasser avec les sources d’eau. D’ailleurs, l’entrée d’Aquafina sur le marché, présenté telle une opportunité liée au potentiel du marché, l’est-elle réellement ? Pas si sûr.

Car cela fait bien des années que l’entreprise bien connue pour ses boissons gazeuses a entamé cette “diversification“ contrainte et forcée vers l’eau. Dans le sillage d’ailleurs de son aînée du même marché, Coca Cola Company. En effet, et ce n’est plus un secret, la guerre menée contre l’obésité à travers des campagnes rudes contre le sucre, avec les boissons gazeuses en tête de liste, a laissé des traces et creusé des sillons dans la bourse des géants du soda. Des clients qui boudent les sodas, symbole (en compagnie des fast-food) de la “malbouffe“, et qui optent pour des produits plus sains voire naturels sont désormais légion. Et ce cauchemar des majors des boissons gazeuses, qui ont vu leurs ventes s’éroder avec insistance depuis quelques années, a fini par les pousser sur les routes de l’eau. La contre-offensive lancée par Coca Cola et Pepsi, avec pour objectif de se refaire une virginité et “payer amende honorable“, est passée par une volonté de se positionner désormais comme des champions de l’eau.

En filtrant l’eau potable déjà existante et à coups de publicité. D’ailleurs, 2016 a été la première année durant laquelle les ventes d’eaux ont dépassé celles des sodas aux Etats-Unis. Sur une période de dix ans, ces ventes ont explosé de 50% alors que durant la même période, les ventes de boissons gazeuses prenaient l’ascenseur, dans l’autre sens, sous l’effet des campagnes anti-obésité. À l’époque, le marché américain était évalué à 21 milliards de dollars et s’était retrouvé nouveau terrain de bataille entre Coca Cola Company et Pepsi Co. Le marché de l’eau, porté donc par le dynamisme du marché américain, croîtrait en moyenne de 6,2% entre 2012 et 2018 et pèserait 210 milliards de dollars.

Ce qui n’a manqué de taper dans l’œil des deux géants mondiaux du soda qui y voient désormais un marché bien plus lucratif que celui des sodas. D’autant plus qu’à l’instar des produits de luxe, l’eau est en train de devenir un produit d’image, celui de la santé et du bien-être. Tendance rapidement captée par Coca Cola et Pepsi qui font feu de tout bois pour s’accaparer les places proéminentes sur ce filon. Et cette tendance de lutte contre l’obésité et de retour à des produits sains, arrivée avec quelques années de décalage au Maroc, est-elle en train de rattraper les géants de la boisson gazeuse sur notre marché ? Il faut croire que oui. Les ventes de soda sont en recul et celles de l’eau connaissent une ascension fulgurante. Pepsi Co veut donc là réaliser le même tour de force qu’effectué ailleurs : retourner ou habiller (c’est selon) une chute des ventes de soda et la nécessité de se rattraper ailleurs avec une logorrhée sur l’opportunité dans le secteur et la toute belle qualité de son eau. Ses “antécédents“ sur le marché américain, libanais, etc. plaident pour lui, l’eau étant devenu le segment sur lequel Pepsi (et Coca Cola) progresse le mieux en terme de chiffre d’affaires.

Oulmès blessé, mais Oulmès dans l’Oriental

D’ailleurs, la confiance et les ambitions qu’affichent Pepsi Co pour Aquafina sur le marché marocain donnent à réfléchir ! Tiennent-elles à une autre arme, le Bubbly, que l’entreprise garderait en bandoulière pour l’instant et qui pourrait attaquer de front le leader du marché Oulmès ? Car dans d’autres pays, l’introduction de Pepsi Co sur le marché de l’eau ne s’est pas arrêtée qu’à l’eau plate ; elle s’est accompagnée du lancement de cette marque d’eaux gazeuses (Bubbly), déclinée en canettes colorées, dont on dit que les marges sont encore plus pétillantes que les bulles. En attendant cette éventualité, l’entrée d’Aquafina pourrait bien faire bouger quelques lignes. Sur ce marché concentré entre les mains d’un petit nombre d’entreprise (oligopole), Les Eaux Minérales d’Oulmès, Sotherma et Al Karama cumulent à elles seules environ 90,4% des ventes en valeur à fin décembre 2016. En cette année, le marché avait généré un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dirhams. Et le leader ne compte pas se laisser saigner sans réagir.

Déjà, dans le sillage du boycott de l’année dernière, Les Eaux Minérales d’Oulmès (LEMO) avait réagi en lançant l bouteille d’eau de 2 litres de sa marque Sidi Ali. Puis, le groupe a tenu à présenter une bonne mine en avançant que le boycott qui aurait été la seule cause de la débâcle de ses résultats n’a pas remis en cause sa stratégie et sa politique de développement. LEMO avait diffusé un peu plus tôt cette année un communiqué dans lequel le groupe réaffirma sa confiance à consolider sa position de leader, à poursuivre sa stratégie de développement au niveau national et international et à améliorer sa rentabilité. Une réorganisation est annoncée mais aussi l’ouverture dans le courant de cette année d’une nouvelle usine, la 3ème du groupe, dans la région de l’Oriental. Celle-ci sera dédiée au segment « eau de table » et permettra à LEMO de couvrir l’ensemble du pays.

Quant à Aquafina, Varun Beverages Morocco a investi 60 millions de dirhams dans le développement de sa ligne de production, avec une capacité de production de 35 à 40 millions de litres cette année et une cinquantaine d’emplois à la clé. L’objectif étant de tripler cette ligne de production pour atteindre 170 millions de litres d’ici 2021. Des quantités produites qui nécessiteront, selon les généreux traitements offerts par Pepsi Co, 350 à 400 millions litres d’eau potable cette année et quelque 1,7 milliards de litres en 2021. Existe-t-il un plan pour la réutilisation ou le recyclage des 9 litres d’eau perdues dans le processus ? Aucun mot sur le sujet. En France, une estimation faite en 2016 expliquait avec l’exemple de la marque Cristaline (eau parmi les moins chères du marché) que celle-ci coûtait aux alentours de 14 centimes d’euro le litre, soit 46 fois plus chère que l’eau de robinet de Paris (0,3 centime).

Thomas Sankara, Président du Burkina Faso, en son temps urgeait ses concitoyens à «choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous». À partir de cette année 2019, ce sera choisir entre Aquafina pour quelques-uns et l’eau potable pour tous. Enfin, si l’on peut se permettre un tel syllogisme!

Petite histoire de la naissance d’Aquafina

Argument choc d’Aquafina sur les marchés où cette eau est présente, la pureté de son eau serait en fait née d’un échec commercial sur un autre produit du groupe. On est en 1994 lorsque Pepsi, qui court derrière Coca Cola et cherche à refaire son retard, eut l’idée d’innover en créant le coca transparent. L’idée, originale par ailleurs, viendrait d’une nouvelle demande du marché concernant la pureté du produit. Deux années de recherches et d’études de marchés positives plus tard, Pepsi Co lancera la marque Pepsi Cristal en Amérique du Nord. Mais le produit connaît un flop et ne rencontre pas le succès escompté. Les consommateurs n’y retrouvent pas la saveur du Coca. Consommateurs pas prêts et études réalisées à de petites échelles auront creusé le tombeau de cette prouesse technique. Conséquence, l’entreprise va lâcher du terrain face à son concurrent de toujours. Mais quand il a fallu basculer dans l’eau embouteillée, Pepsi s’est appuyée sur ce principe de pureté pour lancer son Aquafina. Comme quoi, on peut toujours transformer un échec en succès…

Soumayya Douieb

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