«Au pays des sources»: écriture source de signifiance

Rachid Fettah*

Le paysage littéraire marocain donne à voir, certes, une grande abondance en production romanesque, et la scène éditoriale foisonne. Toutefois, du côté du lectorat, cet état de foisonnement apparent demeure profondément marqué d’absence quasi totale du suivi de la part de la critique.

Une telle situation peut être expliquée, d’un côté, au fait que les très rares voix de la critique, vivaces, il y’a quelques années, se trouvant au bout de leurs carrières, se sont finies par se convertir au nouveau mode d’expression littéraire, à savoir l’écriture romanesque. De l’autre, la critique littéraire, en tant que discipline hybride, qui des années durant, n’osait pas dire son vrai nom, elle aussi, au bout de son souffle, avait fini par se donner une sorte de retraite anticipée.

Par conséquent, devant cet état insignifiant des choses, quand on n’est pas doté d’outils adéquats, relevant du domaine scientifiquement bien délimité de la critique, toute tentative tendant vers la réception, au sens de lecture d’une œuvre, s’avère une descente certainement houleuse dans le vide d’un univers inconnu. De ce fait, pour tout lecteur, aborder pour la première fois un texte (roman, nouvelle, poème …), c’est se trouver exactement dans le même état d’hésitation, lourd d’angoisses, qu’éprouve tout écrivain qui confronte pour la première fois le silence blanc de la page.

De ce rapprochement, nait l’idée que l’écrivain quand il ébauche l’écriture et le lecteur quand il amorce la lecture, chacun de sa position, se trouvaient au même  seuil de même texte en phase de naissance, ce qui fait que les contractions intellectuelles de l’accouchement sont ressenties de la même façon, chez l’un comme chez l’autre. Autrement dit, pour que l’âme de cet être-texte naissant s’anime et que son cœur batte, il faut qu’écriture et lecture arrivent à évoluer en deux confluents qui se convergent pour verser dans le même conduit de signification.

Le recueil de nouvelles Au Pays des sources, écrit par Mustapha Guilliz, est une composition de textes, relevant du genre de fiction, suite de récits qui s’étalent sur un étendu renfermant quelques dix nouvelles. Comme impression préalable, les titres choisis sont formulés  de façon, on ne peut plus, très simple, conçus dans des termes pris au premier degré de leur sens. Pourtant, l’intérêt de cette tentative de lecture dans ce recueil de nouvelles (publié comme il se doit sur le compte d’auteur), émane moins, bien entendu, du nom de son auteur, encore dénué de toute aura littéraire, mais, plus par curiosité de simple lecteur, animé surtout par une forte envie d’entrer en  dialogue avec des textes. Ce qui accentue plus cette envie, c’est que étant la première publication de cet auteur, l’écriture y doit être encore en état d’un nouveau terrain, en fraiche, pas encore conquis.

Dans le livre «Lettre à un jeune écrivain» de l’éditrice et écrivaine Claire Delannoy, Fatima Mernissi écrit ce qui suit : «Ecrire, c’est séduire un étranger ! Et séduire est une entreprise difficile» cité en tête de la préface du même livre p.7. Ainsi formulée, cette citation émanant de cette remarquable voix littéraire, laisse entendre l’immense défi que devait surmonter celui qui entreprend d’écrire. En d’autres termes, selon Mernissi, écrire, c’est se doter de cette sorte de pouvoir magique permettant de charmer et de séduire par le biais du simple art de composer des textes.

La définition de l’écriture, telle qu’elle est citée par F. Mernissi ; fait merveilleusement écho à la façon dont les nouvelles, en tant qu’écrits, sont conçues et composées dans Au Pays des sources. Abstraction faite aux sujets évoqués et aux thèmes qui traversent ces histoires, Au fil des récits, M. Guiliz, quoique, étant en sa première œuvre de fiction, ne manque pas de faire montre d’une maitrise infaillible du très bon usage de la langue de l’écriture et d’en faire un vaste espace de création et de créativité, maitrise qui se décline en choix précis et concis des mots, des phrases stylistiquement bien taillées, habillant à juste corps la corpulence sémantique du texte. Le tout s’imbrique pour laisser voir, traits clairs et nets, les contours de la signifiance. Alors qu’au niveau de la narration, pas d’excès ni de démesure, le débit narratif est à la fois bien dosé et bien adopté aux histoires racontées

 Dans Au pays des sources, la texture des textes est conçue de façon à ce que le sens coule et nourrit la signifiance. Sous l’effet alchimique du verbe écrire, la formulation des phrases injectent la semence sémantique qui finit par faire dissoudre le signifié dans le signifiant.

Pour revenir aux titres proposés, la première nouvelle, tout court, intitulée « La caisse », en tant que terme simple et  banal de la langue, ce titre donne l’apparence d’être dépourvu de toute profondeur sémantico-significative. Mais après la lecture de l’histoire de « La caisse», le lecteur, ayant la patience de s’attarder pour gouter à la saveur sémantique des mots, peut aisément se rendre compte de la grande importance de la signification, qu’occupe le mot «La caisse» qui se transcende et se délie dans les profondeurs du récit. Dès lors, le mot simple «La caisse» se transmue en véritable foyer de sens, au point d’inonder la totalité du récit. De cette manière, tous les titres de ces nouvelles opèrent selon cette dialectique allant du superficiel, au sens de banal, au plus profond, au sens de consistant.

Outre ce travail minutieux sur les mots, suite d’opérations de verbalisation, la lecture dans Au Pays des sources dévoile aussi que l’expression adoptée par l’auteur, pour narrer, révèle une manière hautement subtile de dire, en écrivant l’histoire, une démarche qui se calque sur l’art du conte, art extraordinairement pur puisqu’il se ressource dans l’univers de l’innocence et de la candeur. L’expressivité devient un reflet limpide du contenu de l’histoire.

En ce qui est de la thématique, l’ensemble des sujets abordés dans chacune de ces nouvelles, s’articulent autour des thèmes qui, s’ils ne se basent pas sur des faits réels, du moins, laissent entendre des échos qui retentissent dans l’imaginaire collectif marocain. Pour paraphraser l’intitulé du recueil, Au Pays des sources, comme l’une des voies royales qui devraient mener, droit, à la lecture-interprétation, il s’avère instructif de lire chacun de ces récits à la lumière d’une notion-source. En d’autres termes, au fil des lectures dans ce recueil, chaque nouvelle devient une source intarissable de petites leçons tirées de la vie des petites gens, de ces personnages, évoluant dans des vécus, on ne peut plus, très ordinaire.

Si Claire Delannoy, surtout par sa vocation de dénicheuse de jeune plume, dans sa «Lettre à un jeune écrivain», parle des sept règles d’or d’un manuscrit, écho du neuvième commandement de Vizinezey à la boite à outils de King», dont elle veut faire la clé magiquement privilégiée du succès d’un grand écrivain. Mustapha Guiliz, doté par son seul art de conter, en écrivant Au Pays des sources, a fait preuve qu’il ne peut compter que sur la simplicité candide par laquelle il arrive à insuffler la signification dans ses textes. Justement, à propos de cette candeur, expression de l’état d’enfance, la romancière irlandaise Edna O’Brien souligne que : «un écrivain ne doit jamais perdre l’état d’enfance.

Ce n’est pas de l’immaturité, de la sensibilité, mais une manière de regarder les choses comme si on les voyait pour la première fois» in Lettre à un jeune écrivain p.33. Ainsi soulignés, ces propos résument à merveilles le sens de l’écriture telle qu’elle est conçue dans l’ensemble des nouvelles dont se compose le recueil Au Pays des sources. Ces textes conservent intact, quelque part, comme expression profonde, le regard et l’intuition d’un enfant. De ce fait, ils nécessitent une lecture qui doit inévitablement passer par le filtre des éléments personnels, relevant, sans doute du vécu de l’auteur. Ces tranches du vécu qui pourraient constituer une espèce de d’autobiographèmes.

Pour clore cet essai de lecture dans le recueil de M. Guiliz, il faut dire que ces nouvelles se dotent des allures scripturales alliant une profonde signifiance au vaste étendu esthétique. L’acte d’écrire s’y traduit par un travail bien concentré sur la langue. Comme dans un laboratoire, sous l’effet de l’alchimie de verbe, le simple et le beau s’entrecoupent  au beau milieu de ce Pays des sources et des merveilles Tout court, quelques lectures, écoutes sereines du silence des mots, dans ce recueil, révèlent qu’ Au Pays des sources demeure une vraie œuvre littéraire, au sens plein du terme.

*(chercheur en littérature)

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