Khalid Naciri: «En hommage à celui pleuré, seul, à quatre mille kilomètres d’ici»

Les mots ont cette double caractéristique d’être aussi bien un vecteur d’expression et de signification que de phrases, parfois en deçà de ce qu’elles voudraient bien dire, un peu vaines en quelque sorte.

Parler de la disparition si tragique d’Aziz Belal est sans doute l’une des entreprises d’écriture les plus difficiles, parce que les mots demeurent désespérément incapables de traduire les sentiments de celui qui veut en parler.

C’est mon cas ici, comme est celui de tous ces camarades et ses amis qui l’ont connu et aimé, peut être sans s’en rendre compte jusqu’au jour, où, apprenant la terrible nouvelle, ils s’aperçoivent que la blessure de la disparition est tellement profonde, tellement intense, tellement bouleversante que cela ne peut signifier qu’une seule chose, c’est qu’il occupait une place immense dan nos cœurs à tous

J’ai appris la nouvelle alors que j’étais en mission en Bulgarie, quatre jours plu tard, Aziz Belal était déjà mort à Chicago. Et enterré à Casablanca, salué par la tristesse profondément sincère de ses milliers de camarades et amis, des dizaines de milliers de ses concitoyens qui l’ont pleuré, subitement terrassés par son départ définitif.

C’étaient des camarades, étudiants à Sofia qui m’ont rapporté ce soir du 28 mai la catastrophe, informés par des étudiants marocains qui avaient été le jour même à l’ambassade du Maroc.

Mes camarades au Maroc avaient alors sur moi «l’avantage» d’être sur place, de se dire leur douleur, de se réconforter mutuellement, ou tout simplement de se voir sans-même pas parler. Les catastrophes, dit-on, sont moins difficiles à supporter lorsque ceux qu’elles touchent se réunissent et se soutiennent.

Un vide immense et une blessure dans nos cœurs

Pour moi c’était la triple douleur de la séparation brutale d’un être très cher pour qui j’avais une amitié et un respect absolus, de la nouvelle apprise alors qu’il était déjà retourné à la terre et surtout de me retrouver seul dans la solitude d’une chambre d’hôtel, avec personne à qui confier la nouvelle pour qu’il la partage avec moi. J’en avais pleuré toute la nuit, à quatre mille kilomètres de mes camarades, de ses camarades, de ses amis, de ses collègues et étudiants, de cette ville de Casablanca qui lui avait réservé un adieu grandiose, de ce Maroc qu’il avait aimé et servi avec tant de passion, d’intelligence et de lucidité.

Cette nuit fut pour moi, ainsi que les journées et les nuits qui suivirent, des plus pénibles. Puis, je reçus quelques jours de retard des exemplaires du journal «AL BAYANE», pour y lire et voir comment il fut accompagné à sa dernière demeure.

Al Bayane en deuil, le titre rouge si caractéristique de notre Al Bayane, était noir, les photos des cérémonies funèbres, si poignantes, mais si dignes en même temps. L’éloge funèbre prononcé par notre camarade Ali Yata, si merveilleuse.

Voilà, j’en étais condamné à voir Al Bayane avec une semaine de retard et d’imaginer une réalité dont j’étais absent. Et à la lecture du journal, de ne rien pouvoir faire que de pleurer celui que j’avais vu à Rabat la veille de son départ à Chicago, si plein de vie et d’espoir, celui que plus personne ne verra jamais, de celui qui est mort dans l’accomplissement de sa mission d’élu de Casablanca qui continue de parler de lui avec regret.

Il est des moments, où, quoiqu’il nous en coûte, on ne peut pas ne pas parler à la première personne du singulier, on ne peut pas empêcher les sentiments de s’exprimer. Tout ce que mérite Aziz Belal n’est certainement pas dit ici. Les mots nous jouent parfois des tours, parce qu’il y a des choses que les mots, quels qu’ils soient, n’expriment pas.

Aziz était l’un des plus grands. Il est parti en laissant autour de lui un vide immense et une blessure dans nos cœurs qui continuent de pleurer Aziz l’inoubliable.

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