Témoignages assemblés par Lhoussine Elliaoui

Abdelhamid Ahmady  «Adieu, mon professeur, mon ami»

«Monsieur le professeur», «Monsieur le chef de département», «Maître», Mr Belal», «Si Aziz», de toutes ces appellations, c’est bien la dernière que notre professeur appréciât le plus, les autres étaient soigneusement écartées, à l’occasion, à cause de la distance que suggère leur emploi  et le formalisme qui les sous-entend.

Pourtant si un professeur  de l’enseignement supérieur, dans la jeune université marocaine, méritait le titre de «maître», c’était bien le professeur Aziz.

Militant de la liberté et de l’émancipation sociale, culturelle et économique, son militantisme se reflétait dans chacun de ses actes et s’exprimait dans toutes ses idées.

Mais, militant, il avait maîtrisé, parallèlement, l’art de faire des démonstrations qui obéissaient au stricte critère de la rigueur scientifique et ses analyses ouvertement et sincèrement engagées n’en finissent pas de dévoiler derrière la volonté déclarée de libérer l’homme de son état d’exploité; une méthode de recherche que peu d’esprits scientifiques ont su approcher.

Mais Aziz, au-delà de l’homme politique et de l’enceignant chercheur, était d’abord l’humain : humain dans ses contacts, dans ses amitiés et aussi, et surtout, dans ses rapports avec ses adversaires politiques (mais lui se sentait-il l’adversaire de quelqu’un ?).

En fait mes idées sont dans une confusion, mais je ne saurai rendre tout l’hommage que mérite mon professeur et mon ami.

La dernière fois que j’eu la chance de le côtoyer (à l’occasion de la soirée de clôture du colloque sur «l’économie de la santé»), il m’avait serré la main et dans un élan d’affection me dit : «Tu sais, nous sommes un peuple, heureusement, sentimental».

Aujourd’hui, ce peuple, sentimental te pleure, à travers ses enfants qui t’ont connu, côtoyé, appris de toi et apprécié.

Aujourd’hui, toi, l’ami, tu nous quittes, mais le maître et le professeur sont et en resteront présents dans l’esprit de chacun de nous. Car l’exemple que tu nous a enseigné demeurera  à jamais présent dans nos tentatives de recherches pour continuer la noble mission de chercheur, militant  et conscient, du tiers-monde. Nos condoléances ne vont pas à un groupe de gens en dehors d’autres, mais à nous tous qui voyons partir, avec toi, un sens certain de l’humain, du devoir et un capital de confiance dans la jeunesse de notre cher pays.

Adieu, mon ami, puissions-nous être à la hauteur de ta tâche scientifique que tu as entamée dans notre jeunesse, aujourd’hui, de préserver et d’essayer de la continuer.

***

Abderrahim El Bedoui: «Un hommage au Maître…En toute modestie»

Comme les écrits, les enregistrements restent.

Réécoutons  ces extraits des débats du 20 novembre 1980. Quand un amphithéâtre de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociale de Casablanca abritait la cérémonie de ma thèse d’Etat présidé par le professeur Aziz Belal.

…En conclusion de ma note de présentation, je venais de déclarer que «ce travail a certainement dû passer sous silence certains éléments d’analyse, on n’a pas suffisamment développé d’autres. C’est un mal nécessaire, si l’on veut éviter de se cantonner dans la description et oublier l’effort de synthèse. Si un travail pluridisciplinaire pourra certainement mieux faire, celui-ci aura au moins couté d’y avoir incité!

Prenant la parole, le professeur Belal ouvrit ainsi les débats : «j’ai retenu surtout la conclusion qui met l’accent sur la modestie du chercheur. Vous concevez un travail de thèse de doctorat d’Etat, non comme une fin qui inciterait par la suite au mandarinat institutionnalisé, à la presse intellectuelle, à la prétention, mais au contraire, un commencement, un début, un jalon posé sur une longue route, celle de la recherche, celle de l’enrichissement de la connaissance et par voie de conséquence de la pratique sociale».

A un autre auditoire toute ouïe, Si Aziz (comme il aimait se faire appeler par ses étudiants et ses électeurs) venait de prodiguer un autre de ses précieux conseils, prouvant encore une fois la haute idée qu’il se faisait de la mission  de l’enseignement supérieur, à la fois pédagogique, chercheur et formateur.

Avant sa tragique disparition, d’autres soutenances l’attendaient à Rabat et Casablanca, ses étudiants l’attendaient pour les examens, ses collègues de Casablanca l’attendaient au département qu’il a su diriger avec une sérénité sans faille, ses électeurs l’attendaient pour le voir se pencher sur leurs problèmes pour oeuvrer personnellement à leur solution.

D’autres encore et encore, d’autres l’attendaient. Mais Si Aziz n’est plus. Notre pays, notre capitale économique, notre université, notre faculté viennent de perdre une de leurs figures d’élite.

Universitaire actif, représentant local combatif et militant exemplaire. Plusieurs missions, un même homme, d’une courtoisie sans pareil et d’une ferme volonté de dialogue.

Feu Aziz Belal n’est pas seulement le martyr de la commune de Ain Diab qui doit honorer sa mémoire en donnant son nom à l’une de ses artères. Feu Aziz Belal est aussi le martyr de la recherche scientifique nationale qui doit également se porter à la hauteur de sa mémoire en créant un prix Aziz Belal, récompensant tous les ans un travail de portée socio-économique.

Au moment où l’université devient, pour certains, le lieu du plus grand progressisme verbal et du plus grand conservatisme de fait, au moment où certains «universitaires» se laissent aller à la suffisance, Si Aziz donnait, chaque jour, à chaque réunion, dans chaque conversation, dans chaque direction de recherche, dans tous les séminaires auxquels  il a pris part, deux grandes leçons aussi magistrales que ses cours:

– La plus grande modestie peut aller de pair avec les plus nobles et les plus lourdes tâches.

– Les faits et les actes peuvent vraiment respecter et réellement refléter les paroles et les intentions.

C’est ainsi l’héritage de Si Aziz et c’est tout ce qu’on voulait qu’il nous laisse. Sa mission accomplie, qu’il repose en paix!

Top