Alsa Maroc: Saga d’un petit transporteur urbain devenu grand

Avec désormais 6 villes sous sa coupe, Alsa Maroc est devenu le premier transporteur urbain privé du Royaume. Entreprise à l’origine espagnole, Alsa est depuis 2005 détenue par un groupe britannique qui privilégie naturellement la rentabilité, et dont la stratégie d’investissement est aussi versatile que peut l’être celle d’un fonds d’investissement. Cependant les succès engrangés jusque -là par Alsa, laissent entrevoir une lueur d’espoir pour les casablancais…

Décidément, la gestion du dossier d’attribution du contrat de gestion du transport par bus de Casablanca est plein de rebondissements et va de surprise en surprise. Pour l’instant il n’y a qu’une seule chose de sûre: c’est Alsa Transport qui a remporté l’appel d’offres pour devenir le nouveau délégataire.  Mais avec quel matériel roulant ? La question reste entière.

L’appel d’offres pour l’acquisition des 700 bus avec lesquels normalement Alsa Transport devrait assurer ses 10 ans de service, tel que prévu par le contrat, vient d’être annulé.

Vraisemblablement, entre batailles politiciennes et autres problèmes d’ego, l’affaire mettra du temps à se régler. D’ailleurs officiellement et légalement, cela fait plus de 2 ans que la ville a annoncé la rupture de contrat avec M’dina bus, et pourtant ses bus ont bel et bien continué à sillonner les avenues de la capitales économiques (cf encadré).

Toutefois, l’arrivée de Alsa à Casablanca est a priori de bonne augure et devrait permettre de remettre les choses en place.

Un géant pas aux pieds d’argile

Au-delà du bilan plutôt positif enregistré dans plusieurs villes du royaume (Marrakech depuis 1999, Agadir depuis 2010, Tanger depuis 2014, Khouribga depuis 2015), il faut savoir que le groupe Alsa est un groupe plus que centenaire (1890) et présent à travers plusieurs pays d’Europe (Andorre, Autriche, Belgique, France, Allemagne, Hongrie, Italue, Malte, Pays-Bas , Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Suisse, Ukraine)  mais aussi en Chine (1984). C’est dans les années soixante qu’Alsa -Automoviles Luarca SA- devient le plus grand groupe espagnol de transport routier de voyageurs. S’en suivent dans les années 90 plusieurs acquisitions d’entreprises espagnoles leaders, à l’instar de Grupo Enatcar en 1999.

En 2005 ce groupe espagnol, dont l’histoire a démarré sur les routes occidentales des Asturies –nord-ouest de l’Espagne-, connaît un des moments les plus forts de son histoire récente : il passe sous le drapeau britannique après son rachat par National Express Group. Désormais, Alsa entre dans une autre dimension qui va lui donner la force de frappe nécessaire pour accélérer son développement à l’international, notamment au Maroc. D’ailleurs depuis 2005, ce ne sont pas moins de 5 villes marocaines qu’Alsa a ajouté à son arc.

Il faut savoir que National Express Group exploite des lignes de bus (urbain, autocar, transport scolaire) et de train non seulement au Royaume-Uni, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada et en Allemagne. Coté à la Bourse de Londres, ce groupe britannique exerce donc es activités au Royaume-Uni, en Europe continentale, en Afrique du Nord, en Amérique du Nord et au Moyen-Orient, le out grâce à plus de  49 259 personnes employées  pour plus de 3 milliards d’euros de chiffres d’affaires (2018).

La CTM en ligne de mire ?

Bien que le Maroc ne pèse aujourd’hui que pour 2% dans son  chiffre d’affaires total, sa part est appelée à augmenter selon les prévisions du groupe. Celui-ci table sur un CA annuel en 2021 de 157 millions d’euros à horizon 2021, soit une augmentation de plus de 60% en deux ans (vs 53,35 millions d’euros en 2017 et 57 millions d’euros en 2018). Il est vrai qu’avec 2 nouveaux contrats de gestion de transport urbain signés en 2019 (Rabat et Casablanca), Alsa devrait enregistrer naturellement une certaine croissance. Seulement, les ambitions de National Express Group iraient bien au-delà du transport urbain pour s’étendre à d’autres segments. Le géant britannique ne viserait rien de moins que notre fameuse CTM selon Jeune Afrique. Un scénario qui semble plausible vu que le groupe a une expertise et une expérience certaine dans le transport inter urbain par autocar. La CTM reste une des compagnies de transport par autocar des plus modernes du pays au vu des dernières améliorations opérées par le groupe, notamment en matière de montée en gamme. 

Si pour le moment l’information n’est pas confirmée, il n’en reste pas moins qu’avec une nouvelle activité, les revenus d’Alsa ne pourraient que monter en flèche. Reste à savoir si les prévisions établies en matière de chiffre d’affaires pour Casablanca, qui est de loin son contrat le plus important au Maroc, vont se réaliser.

Selon une enquête réalisée par le mensuel E&E, le contrat table sur 100 millions de voyageurs répartis sur une soixantaine de ligne (45 viennent d’être confirmées) et 730 millions de dirhams de chiffre d’affaires par an. Seulement voilà, pour y arriver faudrait-il encore qu’Alsa puisse disposer des 700 bus prévus en temps et en heure. Et a priori, c’est plutôt mal parti…

Il a été convenu que durant la période transitoire, l ‘Etablissement de coopération intercommunale–ECI- commande 400 bus d’occasions (dont 245 à sa charge) pour entrer en circulation dès janvier 2020.  Selon une source de la Wilaya interrogé par un support de la place, «c’est un processus difficile car impliquant un effort de prospection en Europe (…) Certains fournisseurs tentent de liquider leurs vieilles flottes en nous faisant miroiter leurs marques ». D’autres sources avancent que ces bus ont d’ores et déjà été achetés et qu’ils seraient livrés d’ici la fin du mois. Pour l’instant Alsa fonctionne avec les 250vieilles reliques de M’dina bus, que ses équipes tentent tant bien que mal de remettre en l’état.

Pour ce qui est des 700 bus neufs qui devraient progressivement entrer en circulation, 35O seront financés par le FART – Fonds  d’Appui aux Réformes  de Transport- et 350 par Alsa. Sauf que jeudi dernier l’appel d’offres vient d’être annulé par Imane Sabir, la présidente de l’ECI. Raison invoquée : excessivité des offres de prix reçues. Cette décision ne concernerait a priori que les bus devant être acquis par l’ECI et financé par le FART. Selon des sources concordantes, Alsa devrait désormais se charger de l’acquisition de l’ensemble 700 bus car bénéficiant d’une meilleure force de frappe et donc d’un meilleur pouvoir de négociation.

Selon les termes prévus par le contrat, la première moitié des 700 bus devaient être livrés à graduellement entre mai 2020 et juillet 2020. Aujourd’hui, cela semble plutôt compromis.

Une chose est sûre, la tâche ne sera pas des plus faciles pour Alsa, entre jeux d’influence et autres règlements de compte.  Sans compter qu’Alsa Al Baida aura toujours dans ses pattes Chennaoui et Luxe transport qui opèrent dans l’illégalité depuis plus de 10 ans. Interrogé par la presse à ce sujet, la réponse de Abdelaziz Omari, maire de Casablanca, a de quoi laisser pantois :  «Ce que je peux dire, c’est que nous n’avons pas signé de contrat avec ces opérateurs. Cela dit, il est vrai qu’ils opèrent depuis très longtemps dans la ville de Casablanca». Vraisemblablement, la ville ferme les yeux car pour l’instant cela arrange tout le monde qu’ils assurent plus d’un million de déplacements quotidiens…

Soumayya Douieb

M’dina bus : chronique d’une descente aux enfers…

2004:Entrée en service de M’dina bus, avec 518 bus en circulation

2008:Apparition des premières tensions entre la ville et M’dina Bus, car le délégataire n’aurait toujours pas mis en circulation les 200 bus prévus pour 2006  sur un total de 800 à terme et la ville n’a pas procéder à l’amélioration de l’environnement de la compagnie , notamment à travers la lutte contre la concurrence  et en garantissant des couloirs dédiés.

Grèves des salariés en raison du non versement des cotisation CNSS, CNOPS et CIMR

2009:Changement du tour de table avec l’arrivée de la CDG 34%, qui injecte 2 milliards de dirhams (Transinvets 46%, RATP 20%) et le retrait de Financecom qui détenait 14% de M’dina bus

Le Ministère de l’Intérieur injecte lui aussi des liquidités sous pression des services économiques de l’ambassade de France.

2012:Arbitrage du ministère de l’intérieur qui va mandater le cabinet Valyans pour une mission d’évaluation du contrat.

Le ministère de l’intérieur va injecter de nouveau 300 millions de dirhams

M’dina bus déclare un déficit d’exploitation de 120 millions de dirhams par an

Accord selon lequel M’dina bus devait investir 400 millions de dirhams, en contrepartie la commune urbaine devait encore une fois mettre en place des couloirs dédiés, assainir l’environnement d’exploitation, mettre un terme à l’activité des autres concessionnaires, grands taxis,…

2016:La ville mandate le cabinet KPMG pour la réalisation d’un audit sur l’exécution du contrat avec M’dina bus. Conclusions refusées par la ville, car tous les chiffres servant de base à l’étude ont été fournies par M’dina bus Soumayya Douieb

2017:Rupture du contrat avec M’dina bus basée sur le constat de la dégradation de services.

Lancement de l’appel d’offres pour la sélection de nouveaux opérateurs par l’ECI – Établissement de Coopération Intercommunal- nouvellement créée.

2018:Arrêt de l’exécution du marché de l’appel d’offres suite au recours de Mdina Bus  au Tribunal administratif (Cour d’Appel du tribunal administratif) (juin 2018, arrêt en décembre)

2019:Lancement d’un nouvel appel d’offres pour l’acquisition de 700 bus et la sélection d’un nouveau prestataire

Mdina Bus attaque en justice la ville de Casablanca. Il est même question de poursuivre Alsa Transport

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