Le monde ne tourne plus rond

Par Abdelhak Najib

Les humains ont cru- et pour la majorité croient encore- pouvoir détruire la planète sans en payer le prix. Le prix fort, s’entend. Nous avons longtemps épilogué sur le réchauffement climatique, sur le dérèglement du Golf Stream, le phénomène El Nino, le trou dans la couche d’ozone, l’inversion des pôles et le risque de perdre l’atmosphère terrestre… sans parler de tant d’autres catastrophes naturelles annoncées.

Les grandes puissances se sont réunies à de nombreuses reprises pour dialoguer sur les gaz à effet de serre et autres dangers imminents menaçant la terre, mais depuis trente ans, rien de concret n’a été fait.

Nous avons eu droit à des slogans, à des effets de manche alors que les différentes industries polluantes continuent de faire des ravages. Depuis trois décennies des milliers d’espèces animales ont été éradiquées. En vingt-cinq ans, la forêt amazonienne s’est réduite à peau de chagrin.Depuis plusieurs décennies, une mare de déchets de la taille de plusieurs pays flotte dans les océans du globe.La majorité des rivières est asphyxiée par les déchets toxiques que les usines y déversent.Le poisson se raréfie.Les glaciers fondent à une vitesse vertigineuse.Les deux pôles sont les plus touchés et montrent des signes qui n’augurent de rien de bon.

Des tremblements de terre de plus en plus puissants. Des tsunamis dévastateurs, des ouragans, des typhons, des inondations sans précédent.Et la liste est loin d’être exhaustive, parce qu’il faut y ajouter l’invasion des OGM, des pesticides, des insecticides, des produits chimiques mortels et l’apparition de bactéries nouvelles, de virus mutants et surtout d’épidémies qui peuvent très vite devenir des pandémies. Et nous y sommes. Vache folle, grippe aviaire, SRAS, H1N1, Ebola, Sida… et aujourd’hui le Coronavirus, qui est loin d’être un nouveau-né. Les rapports médicaux en parlent depuis quelques années, mais là, c’est la grande infection à échelle planétaire.

On part d’un foyer en Chine, puis c’est l’Europe qui est mise en quarantaine. Suivent les autres continents pour assister à une planète presque déserte.  Les vols sont suspendus partout, dans le monde, les commerces ferment, les écoles sont vidées, les universités se barricadent, les firmes sont en Stand by en attendant l’évolution de ce qui pourrait être la plus grosse catastrophe sanitaire de l’humanité depuis la peste noire. Bref, le monde ne tourne plus rond depuis quelques semaines et les choses empirent. Quelles solutions ? Pour l’instant, il n’y en a aucune qui se profile. Panique, psychose, angoisse, anxiété, dépression, peur et prévision du pire.

Voici pour le constat à froid. Maintenant, on est en droit de nous poser la question du pourquoi d’un tel déclin de l’humanité, censée avoir évolué pour garantir plus de sécurité à plus de sept milliards d’humains qui ne savent plus à quel saint se vouer. La chute a été amorcée il y a de cela plusieurs décennies. Aujourd’hui l’humanité récolte ce qu’elle a semé. Après les guerres, les crises pétrolières et l’effondrement des bourses, nous sommes aujourd’hui face à un danger qui peut décimer par millions voire plus, juste parce que les humains ont pillé la terre. Ils ont détruit leur habitat naturel sans penser aux terribles conséquences.

Nous sommes la seule espèce vivante capable de faire autant de dégâts sans jamais penser aux générations futures. A tous les niveaux, les humains ont saccagé la planète. Les terres agricoles devenues stériles, la surpêche, les exploitations minières à grande échelle, l’épuisement des nappes phréatiques, l’ensablement de plusieurs régions du globe, la désertification, la pollution océanique, la déforestation… tout ceci en faveur de plusieurs industries nocives. Les complexes militaro-industriels, les secteurs chimiques, les industries lourdes qui utilisent des poisons chimiques déversées en toute impunité dans le sol et les cours d’eau de toute la planète.

Ceci a engendré en quelques décennies, ce que beaucoup de sociologues appellent la déshumanisation de la terre. Pour certains d’entre eux, on s’achemine direct vers la robotisation des humains. Ce qui a déjà commencé avec l’ère du tout High-Tech. Ordinateurs, tablettes, Smartphones, gadgets futuristes, réseaux sociaux et contrôle des humains par la technologie, le tout doublé de l’arrivée en puissance de l’intelligence artificielle programmée pour supplanter celle de l’Homme. Autrement dit, le monde qui se construit depuis 40 ans, annonce la fin de l’Homme en tant que centre de la vie sur terre.

C’est la fin avérée de l’homme qui pense, de l’homme qui réfléchit, de l’homme qui évite le pire, de l’homme qui pense à toutes les générations futures. Et enfin de l’Homme qui construit des civilisations viables et qui durent dans le temps. Ceci a eu de graves et profondes répercussions sur les valeurs humaines. Jamais l’humanité n’a été aussi bas sur l’échelle des valeurs. Sur le plan individuel, les dérives sont si graves qu’il faut les souligner encore une fois ici : hypocrisie, haine, colère, rage, volonté de se détruire les uns les autres, jalousie maladive, attaques personnalisées, égoïsme, égocentrisme, mensonge, cupidité, désamour…

Comment vivre dans un monde aussi pourri, aussi noir, aussi obscur où souvent aucun espoir de lumière n’est permis ? Comment revenir à des fondamentaux simples pour un vivre-ensemble plus serein et plus humain ? Comment échapper à la frénésie des multinationales qui se fichent de la vie des humains et ne pensent qu’aux bénéfices ? Comment dialoguer entre les cultures sans haine ? Comment enfin sauver la planète, qui reste, en définitif, notre unique habitat ? Personne ne peut avancer de réponse certaine et nous garantir ce virage à 180 degrés pour sauver ce qui encore peut l’être.

Mais dans ce noir absolu, il reste un espoir : celui qui mise sur l’humain en nous. Parce quequoi qu’il en advienne, l’Homme refusera de tuer la terre et de se condamner à une fin certaine. Mais pour y arriver il faut revoir nos cartes. Il faut faire le solde de tous comptes et changer sa perception de la vie sur terre et de son sens. Nous y reviendrons plus bas.

Ce qui reste certain, c’est que dans les temps de grave crise, émergent toujours deux catégories de personnes: les prédicateurs autoproclamés qui font feu de tout bois et les faux savants qui conseillent à tour de bras. Puis il y a une troisième sous-catégorie, celle des nihilistes qui ont un compte à régler avec la vie elle-même. Ces derniers sont les fouteurs de troubles. Ils jubilent quand ça va très mal et attendent les catastrophes comme d’autres attendent une bonne nouvelle. Aujourd’hui, au Maroc, après la mascarade des sorties nocturnes pour combattre la pandémie en criant dans les rues, nous avons compris que d’un côté, il y a une grande prise de conscience pour sauver les Marocains avec des mesures strictes et une implication rigoureuse des forces de l’État, sans oublier les sacrifices consentis par tous les membres du corps médical marocain.

De l’autre côté, il y a le fatalisme, l’ignorance et l’inconscience qui luttent contre le bon sens, qui font barrage à la logique et créent des scènes comme celles d’hier soir. Scander l’hymne national est un acte noble qui signifie que nous sommes en tant que citoyens marocains, profondément solidaires et solides face au danger de cette grave pandémie. Transformer cet instant de grandeur en marche nocturne en groupes serrés, c’est se mettre en danger et menacer la vie de tous les Marocains. Ce n’est pas une marche de solidarité, c’est une marche funèbre qui sonne comme une alerte au milieu de la nuit, au cœur de la peur qui touche tous les citoyens.

Jusqu’à ce jour le Maroc a fait un sans-faute exemplaire dans la lutte contre cette pandémie. Nous avons pris les devants. Nous n’avons pas été attentistes. Nous avons réagi vite et avec efficacité. Il nous faut saluer le travail excellent des médecins, des chercheurs, des infirmiers, des services de police, de l’armée, de la gendarmerie, des forces auxiliaires, des fonctionnaires de l’état qui sillonnent les rues demandant aux citoyens de se protéger et de protéger les autres en restant chez eux. 
Restons chez nous. Respectons les règles de confinement. Respectons tous les protocoles mis en place pour le bien de tous. Écoutons les responsables qui savent de quoi ils parlent. Suivons leurs conseils. Tournons le dos aux charlatans de tous poils et aux agitateurs.

Restons chez nous. Retrouvons-nous. Passons du temps de qualité en famille. Jouons avec nos enfants. Parlons avec nos conjoints. Rapprochons-nous. Aimons-nous. Lisons. Regardons des films. Cultivons-nous. Profitons de ce confinement pour faire le point, pour arranger ce qui encore peut l’être, pour reprendre une vie saine. Débarrassons-nous des mauvaises habitudes. Faisons de l’exercice chez soi, mangeons mieux, écoutons de la bonne musique, nourrissons nos âmes de beauté et de sérénité.

Les temps sont graves ; il ne faut en aucun cas se leurrer. La vie des uns et des autres est en jeu. Ne jouons pas avec la vie. Ne bradons pas ce qui est un don, ce qui est un miracle: vivre et laisser vivre, dans la cohésion, dans la solidarité, dans le bon sens.

On le sait, l’espoir est plus fort que toutes les peurs. On reverra nos villes avec leur frénésie habituelle. J’espère juste que nous n’allons pas oublier que nous avons failli tout perdre. N’oublions pas que la véritable vie est dans les choses simples. Cette pandémie qui nous frappe de plein fouet est une immense leçon de vie. J’espère que beaucoup d’entre nous ont pu apprendre quelque chose.

J’espère surtout que nous avons pu prendre le temps de nous retrouver dans ce que nous avons de plus beau et de plus vulnérable: notre humanité.

J’espère que pour beaucoup d’entre nous, on aura enfin compris que les artifices et la fuite dans la futilité ne sont d’aucun secours dans ce face à face avec l’inéluctable.

Ne dure que l’essentiel. Seule la simplicité peut nous rendre un peu de nos âmes égarées. Tout le reste ne fait que polluer nos esprits et nous brouiller quand nous avons besoin d’y voir plus clair.

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