Par Moha Souag

Dans un jeu présenté par une chaîne de télévision française, il s’agissait, pour un groupe de joueurs, de viser une cible avec un arc et une flèche. Le gagnant serait celui dont la flèche était la plus proche du centre de la cible. (La règle est dictée par l’animateur).

Le gagnant de chaque tour de tir, parmi les quatorze aventuriers, devait éliminer l’un de ses adversaires en brisant une des flèches prises dans le carcan du joueur. Et ce perdant devait se retirer du concours de tir. Le jeu continuait ainsi jusqu’à l’élimination de tous les joueurs pour n’en garder qu’un seul gagnant. Ce dernier avait droit à une bourse remplie d’une somme d’argent, somme qu’il avait le droit d’aller dépenser dans la ville ou le village le plus proche du camp des aventuriers.

Au début, le problème qui s’était posé au premier joueur qui avait gagné était le choix d’un critère d’élimination: comment désigner celui ou celle qui devait quitter le jeu? (Aucune directive n’a été donnée par l’animateur). Donc c’était au premier vainqueur qu’incombait la tâche de décider et donc de légiférer. Désignant ce joueur par Alfa. Ce dernier décida d’appliquer une règle qui paraît de prime abord logique, celle d’éliminer le joueur dont la flèche était la plus éloignée du centre de la cible par rapport aux autres flèches.

Décision qui semblait à première vue objective et qui pourrait éviter de soulever des contestations  et des inimitiés parmi les éliminés. Mais ce n’en était pas le cas. Certains joueurs éliminés avançaient que leur flèche était mieux placée que celle de tel ou tel autre joueur. Il fallait un instrument de mesure pour en avoir le cœur net, cependant ceci n’était pas prévu. Ainsi de mauvais ou de bon cœur, dans les jeux, les règles doivent être appliquées sérieusement sinon le jeu ne serait plus du jeu. Donc le premier gagnant avait résolu ce problème en créant la règle de la flèche la plus éloignée du cœur de la cible. Il s’est avéré que Alfa avait gagné sept ou huit tirs.

Donc il a été appelé à éliminer autant de joueurs que le nombre de tirs gagnés. Lorsqu’il ne resta plus que quatre joueurs, Alfa et trois autres, il perdit. La flèche d’Alfa était loin de la cible mais pas aussi loin que celle du gagnant. Donc il ne devait pas être éliminé selon la règle qu’il avait lui-même établie et qui a été appliquée par tous les autres gagnants. Toutefois  le vainqueur de cet unique et seul tir décida d’éliminer Alfa qui a gagné huit fois. Ce joueur, Alfa, qu’on aurait dû féliciter et récompenser pour le nombre de ses victoires et qui a montré sa dextérité et son habilité fut écarté du jeu par le nouveau gagnant. Le gagnant d’un seul tir élimine celui qui en a gagné huit.

Lorsque l’animateur lui demanda les raisons de sa décision d’éloigner Alfa du jeu. Le nouveau vainqueur expliqua qu’il devait éliminer Alpha car il était le plus adroit et donc avait beaucoup de chances de l’éliminer et de gagner la partie. La présence d’Alpha dans le petit groupe  réduisait la chance des autres de gagner et leur enlevait tout espoir. Donc il préférait garder des joueurs aussi maladroits que lui, ceci  donnait au vainqueur de la partie autant de chance qu’aux autres de gagner. Effectivement, il n’en resta que quatre puis deux et finalement celui qui a éliminé Alfa perdit à son tour et ce fut au autre joueur qui avait gagné.

Je n’ai aucune prétention de tirer des conclusions psychologique ou philosophique de cette séquence et encore moins de l’esprit du jeu en lui-même. J’écris cela parce que trois points ont interpellé ma curiosité.

Le premier est cette facilité d’éliminer qui on veut dans le groupe de joueurs sans aucun recours à une règle de jeu préconçue, connue et admise de tous. Le choix est laissé au gagnant de suspendre qui il veut sans tenir compte d’aucune loi. Donc c’est de l’arbitraire. Alfa aurait pu éliminer un joueur ou un autre pour des raisons d’incompatibilité, de physionomie ou d’autres choses à chaque fois qu’il gagnait. Ceci m’a fait penser aux divers pouvoirs symboliques accordés par internet ou l’on peut supprimer, effacer, signaler qui l’on veut sans conséquence et tout simplement en cliquant sur un bouton.

Le second est l’occasion donnée à un médiocre qui a gagné le pouvoir par hasard ou par un coup de chance d’éliminer quelqu’un de meilleur que lui. La jalousie, la peur de la comparaison, la puissance de l’argent ou du soutient familial, tribal ou de la secte peuvent aussi soutenir les médiocres.

Le troisième est qu’on a beau s’entraîner, développer ses capacités  cela ne sert à rien puisque n’importe quel individu peut vous éliminer parce que vous êtes dans un moment de faiblesse. Si l’effort n’est ni reconnu, ni fructueux ni  valorisant cela ne sert à rien de se dépenser.

Ce jeu remet aussi en question toutes ces idées qui voulaient que le travail soit la chose la plus importante dans la vie d’une personne et dans la société. Il est à l’image de ce qui se passe dans une société où celui qui possède le pouvoir du moment agit selon ses intérêts et non selon la justice.

Pour conclure, je me pose la question de savoir comment ces jeux sont-ils concoctés et dans quels perspectives pour chacun des protagonistes : qu’y trouvent le joueur, le téléspectateur, la chaîne de télévision et enfin la maison de production? Il y a des sommes d’argent colossales en jeu (et en joue) mais pas seulement.