La crise et après…

Brahim Mouradi*

La crise de la crise

Nous y prêtons plus que jamais attention : Le monde est devenu affreux et horrible. La crise que nous sommes en passe de parcourir s’avère exceptionnelle et sans précédente. Covid19  perturbe de nouveau les comptes et redistribue les cartes.

Tout le monde est jeté dans l’embarras. L’incertitude nous enserre, les mensonges que l’on a considérés comme étant des vérités s’effondrent, s’exténuent peu à peu et meurent, partant, l’Homme se trouve écœuré,  esseulé, orphelin, sans père ni repère.  Ce moment inédit nous pousse à penser et re-penser, dans la perspective de l’autrementisme en se servant des mots de Boris Lobatchev, notre présent avant de prétendre notre avenir, il appert évidemment que l’Homme doit s’occuper de l’urgence et différer l’essentiel.

Quand la vie de l’Homme est en butte à l’extinction certaine, l’urgence doit se tailler la part du lion  parmi les préoccupations de nos responsables. Ainsi voyons-nous tous les pays s’apprêter à savoir comment être à même d’envisager le pire, l’incertain, le destin inconnu. Les économies partout à travers le monde s’affalent,  chaque pays s’isole du monde et fait face tout seul à son sort, des citoyens se confinent en pleine angoisse et perplexité, ce qui crée chez eux des maladies psychiques: troubles mentaux, stress, peur,  d’autres n’ont même  pas pris au sérieux la question de l’isolement sanitaire et ses enjeux, peut-être ne sont-ils pas suffisamment conscients de son importance et cela met en exergue la question de l’enseignement et le rôle de  l’appareil scolaire dans la conscientisation des sociétés, la majorité des gens qui travaillent dans l’économie informelle ont failli en perdant leurs revenus après l’arrêt total de leurs activités, cela les expose à la famine.

Les pirateries maritimes, sous prétexte de soigner la vie de l’Homme, augmentent en donnant naissance à des crises diplomatiques entre les pays,  le taux des morts accroît au jour le jour, partant, notre planète prend apparence d’un cimetière. L’espoir d’un lendemain meilleur n’existe que pour apaiser, psychiquement, le fiasco qui nous écrase. En gros, la vie humaine change de l’essence et de l’apparence. L’homme est devenu la créature la plus faible de la nature. Ce qu’a dit Pascal il y a longtemps s’est confirmé et a pris forme nettement dans cet aujourd’hui.

De nombreuses questions s’imposent et harcèlent l’esprit de cet être le plus cacochyme qui soit. Il est loisible de parler d’une troisième guerre mondiale, mais cette fois-ci, cette guerre ne sera plus menée contre le terrorisme et le barbarisme mais contre un virus ; une toute petite composante de la nature. Mais, bienheureusement, toute l’humanité s’affaire à trouver des issues possibles pour sortir de cette crise. On peut parler à cet égard du retour de l’union de l’humanité qui était précédemment déchirée pour plusieurs raisons.  Pour être humain et humaniste, on a besoin de crises, dira-t-on.

Le besoin à la crise

Bien loin de la considérer comme faisant partie de l’espérance, du salut et des jalons conduisant à la bonne voie,  cette crise renverse de fond en comble la vie de l’homme à bien d’aspects. Pourtant, toute crise est un appel qui veut dire que la démarche, précédemment adoptée,  n’est pas idoine, que le chemin suivi ne mène nulle part, que l’avenir deviendra tôt ou tard ténébreux, labyrinthique et dédaléen. L’homme d’après Covid19 n’est sûrement ni celui qui y patauge actuellement ni celui qui s’en sortira, espérant, sain et sauf : les visions changeront car les lunettes doivent changer.

La pandémie de Covid19 interroge l’homme sur ses comportements et avec soi-même et avec Autrui et avec la nature. Toute crise n’est en principe qu’un indicateur qui montre à l’être humain ses lacunes, ses erreurs, ses faiblesses et, par ailleurs, des nouvelles trajectoires à suivre. Auparavant, l’homme était à la merci de la nature, à chaque instant, il se trouvait menacé par des tempêtes, des tremblements de terre, des incendies, des inondations, etc. Cependant, avec Descartes, ou ce que l’on pourrait appeler l’ère de la modernité, on commence à se croire les maitres et les dirigeants de la nature.

Cette connerie dont on était, consciemment ou inconsciemment, proie, nourrie de l’arrogance rationnelle, se traduit sous formes des conséquences néfastes : l’homme a détruit sa maison, son abri, sa mère affectueuse. Le progrès de la science surtout chimique fait jaillir des armes dangereuses qui peuvent d’un seul coup supprimer une fois pour toutes  l’homme sur terre. L’industrie a pollué l’environnement et a causé des maladies incurables et des problèmes écologiques. La science est abusivement usée contre le profit et le bénéfice de l’homme, on pourrait très bien reprendre sur ce point la phrase célèbre d’Edgar Morin «la science sans conscience n’est que ruine de l’Homme».

Dès lors, l’être humain croit pouvoir dompter la nature, partant, son pouvoir (la science) qui, selon toute apparence, est vulnérable, augmente son désir de dompter l’Autrui, son semblable ; de fil et aiguille, des guerres et des conflits sont attisés dans presque tous les coins du monde.

Le capitalisme nourrit l’avidité sauvage de l’homme pour conquérir son frère homme et  le priver de ses biens. L’individualisme prime la solidarité ; tout le monde court après son profit. Tous ces problèmes et tant d’autres sont mis en question en pleine crise d’alors. On constate que les Etats commencent à servir leurs citoyens, les protéger, les nourrir, les soigner gratuitement dans des hôpitaux. On voit que les pays expriment un désir clair d’établir une sorte de solidarité entre eux pour combattre le virus Covid19. Tous les laboratoires se hâtent de trouver un vaccin efficace pouvant mettre fin au virus, en un mot, puisque tout le monde est menacé, tant qu’un destin commun nous épie, on s’arme ensemble à se sauver.

Nul n’est davantage épargné : on embarque tous sur un seul et même navire, soit on en sort sain et sauf soit on périt. C’est à nous de choisir.  Ce que l’on pleure et déplore, ce n’est pas la crise que l’on envisage aujourd’hui, c’est la crise d’avant, celle-là qui nous a privés de notre humanité. En substance, l’humanité a besoin de nouvelles lunettes, il s’agit de faire table rase pour désamorcer ses agissements d’auparavant, c’est un moment fatidique et sui generis pour se réconcilier et avec soi-même et avec les autres.

Pour un monde d’après la crise  

Le chemin ne se fait pas de lui-même, le chemin se trace en marchant. Elle est vue comme une chance salvatrice cette occasion de la crise. La voie de plus en plus s’élargit devant l’homme, les lumières de l’aube apparaissent de loin tant que ce germe du sens de l’humanité continue de nous habiter ; toutes les possibilités de bâtir un monde nouveau sont à la portée. La crise nous apprend que la vie est fragile, l’homme est vulnérable, partant, on est appelé à fonder une vraie pensée faisant de l’être humain son centre et son socle.

L’homme, en tant que substance et essence, doit être la mesure de toute chose. Il  en découle que, pour servir l’homme, on doit s’armer d’une volonté invincible et d’un esprit altruiste. Pour ce faire, on doit remettre en question la façon dont on se comporte avec l’Autre et avec soi-même. La mondialisation culturelle affirme ses lacunes et ses carences, la mondialisation n’est seulement pas un monde d’une seule et unique civilisation, mais aussi un monde des crises-monde. C’est-à-dire  une seule condition humaine qui nous est tous commune.

Quand un pays est atteint d’une crise, les autres pays en est atteints ; c’est le destin commun. C’est ce que l’on appelle la mondialisation du mal. Néanmoins, celle du bien doit aussi avoir lieu, c’est le fait de partager les biens dont dispose l’être humain. Parmi ces biens-là figurent la liberté, l’art, la richesse matérielle, la science génératrice et constructive, etc. On estime que le monde d’après Covid19 sera meilleur. On doit respecter la liberté, la spécificité, l’intimité et la différence de l’Autre. Il est aussi impératif de  tâcher à cultiver l’esprit humain, à le nourrir de bonnes valeurs,  de l’art optimiste et constructeur.

Par voie de  prêter plus d’importance à l’Altérité qui est une notion-clé de l’humanisme, on peut réanimer et rendre plus supportable la vie humaine. Il importe aussi bien que l’enseignement doit être une priorité, la recherche scientifique doit occuper la chaire des préoccupations humaines. Toutes les capacités dont est doté l’homme ne doivent plus se déployer contre l’homme, il est temps d’humaniser l’intelligence humaine pour reconstruire à nouveau le monde. Les guerres, les conflits, les déchirements,  les haines doivent céder la place à l’amour, la fraternité, la solidarité, l’entraide, etc. la porte de l’espoir est toujours ouverte tant que l’homme est encore vivant car le coup qui ne nous tue pas nous rend très forts.

*(Professeur chercheur)

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