Quelques réflexions pour une rentrée réussie

Reprise de l’école des sourds

Par Lhassan Ouazza

Après un confinement de quatre-vingts  jours, le retour à l’école pour les enfants à besoins éducatifs particuliers suscite de nombreuses craintes. Les apprenants deviennent réticents à l’idée de rejoindre l’école avec cette panique et phobie omniprésente du Coronavirus.

Certes la fermeture des établissements scolaires a perturbé l’apprentissage des élèves à besoins éducatifs particuliers en général et les sourds en particulier et a suspendu toutes accessibilités et accompagnement pédagogique.

Face à cette rupture et à ce chamboulement imprévu, des interrogations émergent autour du scénario de la reprise de l’école.

  • Que risque-t-on en entreprenant une reprise normale ?
  • Comment réussir alors la prochaine rentrée après ces événements ayant impacté nos enfants sourds au niveau psychique, pédagogique et social ?
  • Quelle démarche socio-pédagogique nous permettrait une reprise rapide et efficace pour nos enfants sourds?

Pour tenter de répondre à ces questionnements, nous allons dans un premier temps nous focaliser sur l’impact de la crise  sur  les apprenants sourds (I) et dans un second temps, nous allons nous projeter en tant qu’enseignant sur quelques idées et propositions permettant un retour souple et rassurant à l’école.

  1. Impacts de la crise sur l’environnement global scolaire des enfants sourds
  2. Nos enfants sourds et la crise

L’école et l’association sont deux espaces favoris des Sourds de par leur apport régnant d’échange et d’épanouissement éducatif, communicatif (Langue des signes) et social.

S’isoler de son environnement, de son rituel, de ses pairs, de son dynamisme familial, amical et  social  est une réelle peine qu’endossent les sourds au quotidien durant cette période de crise.

La restriction provisoire de liberté et d’interactions sociales dû à l’état d’urgence sanitaire, a largement étouffé l’environnement des sourds (contacts moins fréquents avec les semblables et avec le réseau associatif, sorties, visites, pratique du sport, promenades, jeux…)  réputé convivial et collectif et a généré chez eux un sentiment d’insécurité, d’enferment, d’inquiétude, d’angoisse et de frustration. Il s’agit d’une déconnexion quasi-totale et d’une sociabilité du vivre ensemble ratée et affectée dans tous ses aspects et formes.

L’invisibilité de la surdité va non seulement affecter le cercle psychosocial des apprenants mais elle va influer négativement sur leur acquisition scientifique et  pédagogique à l’école.

A cet égard  nous estimons que la prochaine reprise de l’école sera difficile à gérer vu la spécificité du contexte épidémique actuel (rupture-angoisse- peur…) et au nombre de nouveaux inscrits sourds dans différents établissements scolaires.

  • Risques d’une reprise non préparée

L’apprentissage à distance (à la maison) et la longue période de rupture vont prendre fin et il va falloir retourner à la vie scolaire et ce ne sera pas simple aussi bien pour les parents que pour les enfants. Une telle reprise non préparée pourrait générer de gros risques :

Chez les parents :

  • Immense inquiétude concernant la santé de leurs enfants avec  le risque de contamination liée aux  tables doubles;
  • Parents malmenés, désorientés, perturbés et réticent à l’idée de renvoyer leurs enfants à l’école ;

Chez les enfants sourds :

  • Décrochage scolaire justifié entre autres par (la chaleur familiale- jeux vidéo-dessins animés – films….).
  • Timidité, Stress et rébellion du à la retrouvaille prévue des copains et professeurs, à la perte d’habitude et à la reprise de contact à l’école)
  • Perte de confiance justifiée par le délaissement ressenti (Absence d’accompagnement personnalisé, d’individualisation des apprentissages…).
  1. Eléments du  plan de reprise réussi

Face à ce constat réel, notre souci en tant qu’acteur éducatif et professionnel du milieu est de réussir la rentrée de septembre 2020 chez les sourds en se préparant à l’avance pour ce défi.

Distinguons d’abord entre des sourds primo-inscrits et des enfants sourds scolarisés. Les impacts n’étant pas vécus et ressentis de la même manière, l’action devrait être différenciée.

Pour ce faire notre vision tient à ce qu’une corrélation entre étapes et besoins des apprenants soit respectée pour le scénario suivant :

  1. Phase de préparation

Cette étape est partagée entre l’ensemble des enfants sourds et elle concerne essentiellement:

  • L’élaboration d’affiches et de flyers explicatifs des bienfaits de l’école (socialisation, épanouissement, acquisition…). ;
  • L’information sur la surdité en tant que handicap invisible au sein de l’école ;
  • Prévoir des rencontres avec les familles et leurs enfants au début de l’année ;
  • Rappeler  les valeurs inclusives (diversité, vivre ensemble, tolérance, coopération, équité..) ;
  • Coordonner l’action des principaux acteurs de l’éducation inclusive (Ecole-Famille-Direction provinciale-Associations).
  • Phase d’accueil

Elle s’intéresse aux nouveaux inscrits car mettre un sourd dans un milieu ordinaire (classe inclusive)  constitue un triple  choc pour lui : le choc de son arrachement  du cocon familial auquel il était longtemps attaché, celui de son unité linguistique  (communication en langue des signes)  et  celui de son contact  avec le monde des entendants.

En vertu des principes de l’éducation inclusive  et pour un accueil bien réfléchi de l’enfant sourd, il est  très judicieux de le préparer à l’avance  dans des structures appelées «  salles des ressources » pour son éclosion graduelle et pour ses besoins compensatoires d’ordre communicatif, social et pédagogique. Dans ce sens nous suggérons ce qui suit :

  • Organisation du protocole d’accueil des nouveaux inscrits  par leurs semblables sourds déjà scolarisés (tutorat);
  •  Implication des autres élèves entendants dans l’opération d’accueil ;
  • Faire visiter les structures de l’établissement aux nouveaux inscrits y compris les salles de ressources et les classes inclusives ;
  •  Accompagner, expliquer, informer et présenter le directeur, les professeurs référents, d’accueil  et l’équipe pluridisciplinaire de l’établissement ;

Grâce à l’accompagnement inclusif (spécialisé/ordinaire) et  aux échanges  entre pairs, le sourd va calquer sa ligne de conduite en s’inspirant des autres et va s’approprier aussi  son propre mode de pensée.

  • Phase de reprise

Cette étape est plus sensible pour les sourds scolarisés étant donné que la  rupture scolaire pourrait  générer chez eux l’oubli, la paresse, le repli, la démotivation, la  déconnexion  voire la régression pédagogique.

Et pour se rattraper il est recommandé de programmer un soutien d’ordre psychologique, social et pédagogique.

Sur le plan psychologique :

Dans ces circonstances marquées de panique et d’angoisse  et afin de booster le moral et  fortifier le  degré de confiance chez les sourds, nous suggérons en tant qu’enseignant ce qui suit :

  • Minimiser l’impact de la crise en théâtralisant  et ridiculisant l’épidémie
  • Décoquiller les apprenants sourds de la panique en leur offrant du loisir  (programmes télévisés instructifs, dessins animés en langue des signes…) ;
  • Encourager les parents à réconforter, rassurer et  écouter les soucis de leurs enfants ;
  • Programmer des ateliers de discussion et de partage sur le Covid-19 ;
  • Insuffler l’assurance et l’espoir au sein du groupe …

Sur le plan social :

L’enfant sourd est un être social par excellence  et sa sociabilité passe par l’interaction avec autrui (semblables sourds ou entendants). A cet égard et dans l’objectif de renforcer le vivre ensemble chez lui  et de garder la cohésion du groupe, nous proposons les idées suivantes :

  • Organiser des ateliers  ludiques de convivialité  (dessin, coloriage, jeux de théâtre, activité sportive) permettant aux apprenants d’échanger, de s’entraider…
  • Encourager  le travail collégial (travaux en binôme et/ou en groupe) et promouvoir la créativité, le partage, l’écoute et les bonnes attitudes…

Sur le plan pédagogique :

Pour la réalisation des compétences prédéfinies pour chaque niveau scolaire et dans le but de relier les connaissances antérieures à celles postérieures (approche par compétence), il est préférable de prévoir un soutien de deux mois pour un rattrapage efficace. Certes l’enseignement à distance ne vaut pas celui du présentiel, mais cette alternative demeure défaillante pour certaines disciplines scientifiques qui exigent l’exploration, l’expérimentation et l’essai.

Par conséquent, le  soutien pédagogique s’avère indispensable pour certaines lacunes décelées et demeure un ancrage solide des connaissances.

  • Phase de suivi post reprise

Cette ultime étape de notre scénario est indispensable pour l’accompagnement et l’évaluation des apprenants. Elle repose principalement sur :

  • L’identification des retards constatés ;
  • l’évaluation  et l’amélioration du développement de la langue des signes de chaque apprenant ;
  • La remédiation  pédagogique simultanée ;
  • La reclassification des groupes de niveaux (débutant-retardé-intermédiaire -avancé).

Nous arrivons à la conclusion que la reprise doit être préparée et que toute action de toute nature pédagogique, psychologique et sociale doit être coordonnée entre l’ensemble des acteurs de l’inclusion scolaire. A défaut il y aura des pertes du temps, d’énergie pour des résultats peu probants. Une reprise préparée, planifiée et réfléchie permettrait en effet :

  • La réussite de l’inclusion à tous les niveaux ;
  • L’amortissement des chocs émotionnel, psychologique et social ;
  • La fixation des repères et références pour l’ensemble des acteurs de l’inclusion.

Doctorant à l’université Ibn Tofail

(Laboratoire langage & société) Kenitra (Maroc),

Encadré par : Pr : Jamila Bellamqaddam

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