«De l’encre sur la marge» de M’barek Housni

Par: Adelhamid Gharbaoui

Quelle est la signification ou plutôt les significations que l’auteur a injectées dans le mot «encre» (hibr en arabe)? C’est une question qui se pose d’emblée, tellement le titre est intriguant. Car il paraît évident qu’il ne s’agit pas seulement de cette encre à écrire. Pour y voir de près, consultons le dictionnaire.

Les mots dérivés de «hibr» (encre) ou s’en approchant désignent le fait d’ornementer un tissu, de le broder, de bien calligraphier, de se réjouir en contemplant un ornement. Dans le verset 70 du Saint Coran, le verbe conjugué «touhbaroun» signifie être heureux en vu des jouissances promises au paradis, rendre heureux. Dans le hadith du prophète, cité par Abi Moussa Achaari.

Par ailleurs, le verbe «habara» veut dire remplir un encrier, écrire un livre, rendre un dessin plus beau. Enfin le nom «hibr» désigne tout autant le savant que le poison.

Là où il y a de l’encre, il y forcément quelqu’un qui écrit, qui a l’intention d’écrire, ou tout au moins ayant un projet d’écriture en vue. La présence de l’encre suppose aussi le geste d’hésitation avant de commencer de griffonner.

Dans ce livre, l’encre n’a rien à voir avec le fait d’ornementer, d’enjoliver ou de rendre un écrit plus beau. Il y est question d’attirer l’attention sur un signe, sur une forme. C’est rendre compte d’une mission délibérée ou non. Donner à voir un symbole propre à un événement donné, à un message, à ce qui ressemble à de l’écriture.

Et du moment qu’on est en présence d’encre, les Arabes utilisent parfois l’expression : «Ce n’est que de l’encre sur papier», signifiant par cela tout écrit inutile, ou du moins manquant de sérieux.

Ceci pour le mot encre. Voyons du côté du mot «marge». La marge signifie l’à-côté du livre qui est l’alentour d’un espace. Dans les métropoles, les habitants des banlieues se sentent vivre dans la marge qui équivaut à l’oubli. En littérature, on parle fois du courant littéraire appelé «littérature de la marge» animée par les écrivains marginaux. Partant de ce constat, la marge ne serait-elle pas ce lieu destiné à y placer les paroles, l’écriture qui déborde de la surface ou la face de la page. La marge est aussi destinée aux commentaires et aux notations, et bien entendu aux corrections.

Les verbes dérivés du mot marge en arabe, «hammacha» signifie trop parler sans être dans le vrai, mais aussi rassembler des feuilles de papier.

La couverture présente un tableau d’une simplicité somme toute belle. Elle affiche trois couleurs avec une prédominance du noir suivi du rouge et du blanc. La moitié supérieure est en blanc. Le titre est mis en évidence en rouge entre le nom de l’écrivain (M’barek Housni) et l’indication du genre littéraire (recueil de nouvelles). Quant au noir, il est étalé sur toute la moitié inférieure qui est un peu plus large.

Entre ces deux couleurs principales et comme les délimitant, il y a une grande tache rouge dont les gouttes sont éparpillées violemment et débordent sur eux en dessinant des lignes qui s’entrecroisent joliment et avec art.

À quoi se réfère ce liquide rouge étalé de cette manière ? À l’encre ? Au sang ? Ou est-il employé ici par nécessité artistique du moment que le noir ne peut se dessiner sur du noir?

Y a-t-il des raisons pour remplir toute une moitié de noir ? N’est-il pas plus judicieux de le remplacer par du jaune qui rendrait le noir plus attrayant ? Quoiqu’il en soit cette couverture nous inspire un troisième titre : «tache d’encre rouge sur la bordure».

Comment tout cela s’est-il réfléchi sur le miroir «magique» qu’est le tableau de la couverture ? Le nom de l’artiste n’est pas mentionné, et il est très probable que c’est un choix de l’éditeur. Sinon l’écrivain n’omettrait guère de désigner l’illustrateur. Il compte beaucoup d’amis dans le monde des arts plastiques. De toute façon, l’illustrateur n’est pas obligé de faire étalage les détails du titre ni s’essayer à avancer ses significations. Il est maître de son pinceau et de ses couleurs qui lui permettent de créer sa propre lecture du titre principal et des nouvelles.

Le recueil comporte quinze nouvelles : tréfonds de l’œil, Zarathoustra dans un lieu lointain, au pied d’une cascade, le tour de l’homme élégant, rêves chimériques d’un amant en papier, un amour dans un parc, la femme assise, une histoire casablancaise, angoisse nocturne, la tentation du jeu, écrits sur une pierre. Il est difficile de trouver un mot ou une phrase dans ces textes qui auraient un quelconque lien avec le titre. Celui-ci désignant surtout l’écriture alors que les nouvelles appartiennent au domaine du récit et désignent tout ce qui se trouve en marge. Mais n’écrit-on pas nos histoires à la marge de la réalité/du réel ? Comme si cette réalité/ce réel s’érige en un livre ouvert qui étale des contes et des récits. L’écrivain écrit en y puisant ses propres contes puisqu’elles y sont nées.

Notre texte s’est donné pour mission d’analyser le titre et la couverture. Parler du style de l’écrivain M’barek Housni est du ressort d’un critique ou d’un écrivain dont l’objectif serait de montrer ses différents niveaux esthétiques. Et ce, d’autant plus que l’auteur est bilingue, écrivant en français et en arabe, et il a publié à cet effet des recueils de nouvelles dans les deux langues. Ajoutons à cela son intérêt pour la critique dans le domaine du cinéma et des arts plastiques. Du coup, sa production littéraire hantée par tous ces genres artistiques ne peut qu’être fort attendue.

Traduit par M.H

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