Mohamed Rouicha : sauveur de mémoire

Hommage

Par : Moha Moukhlis

La contribution de Feu Mohamed Rouicha pour la sauvegarde du patrimoine poético-artistique amazighe est majeure. Sa chanson, qui a bercé plusieurs générations d’amazighophones, a constitué une référence – sentimentale et socioculturelle – et une création qui a permis de maintenir le lien avec une culture, une langue millénaire et un patrimoine civilisationnel authentiques.

Elle fut un rempart contre l’aliénation et la perte de la langue et des valeurs identitaires que cette dernière véhicule. Valeurs dont se réclament aujourd’hui divers organisations et structures internationales. Preuve concrète de l’enracinement et de l’universalité de l’amazighité conçue comme berceau et alternative au devenir existentiel de l’humanité. Et l’histoire amazighe témoigne. Une histoire faite de brassages et d’apports dont l’amazighité est resté le socle, la strate de base.

La parcours du chanteur et atypique : une enfance houleuse et agitée à Khénifra, une ténacité et une volonté qui furent à l’épreuve des contingences historiques. Rouicha a résisté, à sa manière, pour perpétuer un patrimoine unique stigmatisé, avant d’accéder à la reconnaissance nationale et internationale. Il évolua au sein des Zayans (Iziyyan), une tribu amazighe qui tint tête à la colonisation durant des années. Il en fut fier.

La chanson de Rouicha est biblique : elle prône un amour absolu, l’amour de la vie, le respect de l’autre, une vision du monde puisée dans un patrimoine poétique amazighe gouverné par les valeurs de tolérance, de pardon et surtout du respect de l’autre et de la démocratie. Rouicha a chanté par destin, pour assouvir sa vocation d’artiste illuminé. Mais il a, par la suite, chanté pour éveiller les consciences en s’engageant, à travers sa chanson populaire, pour nous rappeler nos valeurs et fustiger le dérèglement socioculturel qui nous menace et menace nos valeurs. En témoigne sa position au niveau des dégradations des valeurs et du chamboulement social quand il nous dit :

Tberrem Ssaât irâb unna ur immutn

Han awd aman âayd asawn ulin t

Ur da ttsrrahn jjbl am i chfan ighf

Maqqar tghzam tirggwin ur srrihn

Tqqurd a igr ur d yiwid ca ghurc

Le temps s’est métamorphosé et le survivant est médusé

Et l’eau qui escalade la pente

Ne coule plus, défie la montagne

N’irrigue plus les rigoles creusées

Le champ est asséché

Rouicha a constitué un pont artistique qui a largement contribué à la sauvegarde de notre culture et de notre mémoire collective amazighe. Par la chanson. Il est fasciné par le paysage et les hommes : il n’a jamais rien demandé.  Bien avant que le tissu associatif amazighe se constitue et s’organise. Au même titre que d’autres groupes amazighes du Nord et du Sud, mais aussi de Kabylie ; il a servi de relais. Et ses chansons en témoignent : il aborda des thématiques universelles telles : la vision cosmogonique que les Amazighes ont du monde (Bdigh issk a sidi a Rbbi jud ghifi), la valeur de l’amour en tant que moteur social, le vécu sentimental et relationnel (Awa ma s igan ca i usmun)…

Feu Rouicha est adulé, aussi bien par les amazighophones que par les arabophones. Ils s’y retrouvent et s’identifient à son cri, son chant. Il incarne un art tolérant et ouvert, imbriqué sur le réel marocain. Bien qu’il n’ait pas pu bénéficier de l’intérêt qu’il mérite de la part des départements concernés, il a résisté et persisté, non par choix mais par destin et fatalité.

Rouicha a assumé son rôle historique, dans le domaine qui est le sien. En nous quittant de manière brutale, ils nous laissent quelques parts orphelins. Mais la relève est assurée par ceux qui ont empruntés sa voie et ils sont nombreux.  Je m’incline devant sa mémoire.

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