Les belles Lettres et les rythmes de l’amour

Interview avec Amin Zaoui

Par Noureddine Mhakkak

Amin Zaouiest écrivain bilingue (français et arabe) et professeur de littérature comparée et de littérature Africaine – Université d’Alger. Doctorat d’Etat en Littératures Maghrébines comparées. Directeur de plusieurs colloques internationaux.

Amin Zaoui a publié de nombreux livres en français et en arabe .Parmi eux, on peut citer à titre d’exemple les œuvres   suivantes: «Sommeil du Mimosa» (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris 1997. «La Soumission» (roman) (prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France), édition le Serpent à Plumes, Paris 1998, «La Razzia» (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris 1999. 6- Festin de mensonges (roman) Editions Fayard Paris 2007, La chambre de la vierge impure  (roman)  Editions Fayard  Paris  2009 «L’Enfant de l’œuf» (roman) éditions Le Serpent à Plumes Paris -aux éditions Barzah -Alger 2017. 

Son dernier roman intitulé «Canicule Glaciale» vient de sortir ces jours-ci aux éditions Dalimen Alger 2020… Et bien d’autres.

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues, entre autres: anglais, allemand, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, roumain, persan, turque, arabe, suédois, grec…

Que représentent les arts et les lettres pour vous?

Je suis né dans les arts et les belles lettres, entouré des livres et des contes, un père lettré et une mère conteuse et sept sœurs. Je continue cette vie livresque et artistique en douceur et appétit !

Je ne peux pas m’imaginer loin ou hors de ce monde fantastique. Et je ne peux imaginer la vie vide des bibliothèques, des salles de cinéma, le théâtre, la musique et les galeries d’arts plastiques.

Souvent je dis : Les arts faits en mots, en couleurs, en partitions musicales, en rythmes sont notre peau ! Les arts nous rassemblent, nous rapprochent. Les arts cultivent l’amour et soignent le vivre ensemble ! On lit Hemingway et on l’imagine comme un enfant du bled, on lit Dos Passos est on sent qu’il est de notre farine, on lit Omar Khiyyam ou Jallal Eddine El Roumi et on sent que leurs mots sont les nôtres. On écoute Mozart et on déguste ses notes, on regarde le ballet du Bolchoï et en sent notre amazighité et notre africanité, ce sont nos corps et nos mouvements!

Seuls les nobles arts et les belles lettres sont capables de faire face à la haine, au racisme, au colonialisme et à l’esclavagisme.

Sans les arts le monde serait aride, pauvre et ensauvagé.

Que représente l’écriture pour vous?

Ecrire c’est respirer! L’écriture me purifie! L’écriture c’est la trace et le témoin de mon passage dans cette vie! L’écriture c’est ma deuxième ombre! L’écriture est combat pour la liberté, pour l’égalité et pour la justice.

Mais il n’y a pas d’écriture sans la lecture. La lecture est la sœur jumelle de l’écriture. Elles sont la porte de la liberté individuelle et collective! L’écriture est aussi la sœur jumelle de la liberté!

Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.

Oran et Tlemcen, ce sont les deux villes qui m’ont marqué le plus ! Dans tous mes romans en français comme en arabe ces deux villes ont une forte présence directe ou indirecte. Les villes ne sont pas des murs ou des morts, elles sont nous en d’autres performances! Les villes ne sont pas des cimetières, elles sont des forêts vivantes !

À Tlemcen, j’ai grandi. Une ville avec un urbanisme spécifique et un mode de vie avec des traditions andalouses musicales, culinaires et vestimentaires. Dans cette ville, j’ai vécu mon enfance et mon adolescence.

Dans cette ville j’ai publié ma première nouvelle de mon parcours littéraire, alors que je n’étais que collégien ! C’est à Tlemcen où j’ai choppé le virus de la lecture. Nous avions une bibliothèque municipale bien fournie en livres classiques en français et en arabe, et un bibliothécaire Aït Abdelkader passionné du livre qui me guidait et m’orientait dans ce monde magique. Je n’exagère pas si je vous dis que j’ai dévoré intégralement cette bibliothèque-là!

À l’université d’Oran, j’ai aimé une belle jeune fille devenue mon épouse, Rabia Djelti poétesse et romancière elle aussi. Oran est une ville exceptionnelle, rien à voir avec Tlemcen! Une ville métropolitaine, de la chanson Raï, où cohabitent plus de soixante-dix nationalités. Une ville où les gens croquent à pleines dents la pomme de la vie ! Des fêtards!

Il y’a une troisième ville que j’ai construite moi-même, elle ne ressemble pas aux autres. Je l’ai faite des mots, et à chaque fois que les autres villes que j’ai adorées me fermaient la porte, j’ouvre celle de ma ville imaginaire. Elle ressemble tantôt à ma femme Rabia, tantôt à ma fille Lina chanteuse et musicienne, tantôt à ma mère Rabha ! Enfin de compte les villes qui habitent notre peau ne sont que des belles femmes!

Que représente la beauté pour vous ?

J’adore la beauté physique et naturelle. J’adore le jumelage entre la beauté et l’intelligence. La beauté c’est le chant éternel de la vie et pour la vie. Je pense que la belle littérature n’émane que des belles créatures et des belles âmes! La beauté est la source du bien ! L’abjection est la source du mal.

Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées.

Adolescent encore, j’ai «mangé» la bibliothèque municipale de Tlemcen, les classiques en français et en arabe ! Il y’en a des livres qui sont comme le tatouage, on n’arrive jamais à effacer leur trace de notre peau, leur effets sur nous est interminable. Ils se prolongent et traversent notre vie.

Le livre majeur, qui m’a bouleversé et continue à le faire, c’est «les mille et une nuits» ! Maître de tous les livres. D’ailleurs mon nouveau roman «Canicule Glaciale» sorti cette semaine est imprégné de cette belle narration des «mille et une nuits» !

Je ne peux imaginer ma vie d’écrivain et de lecteur sans «l’étranger» de Camus, «le vieil homme et la mer» d’Hemingway, «A la recherche du temps perdu» de Proust, «Le Prophète» de Gibran Khalil Gibran, «Voyage au bout de la nuit» de Céline… les romans de Julien Gracq, Philip Roth, Henry Muller.

Des livres en arabe m’ont marqué à l’instar de el imataê wa el mouanassa (le plaisir et la compagnie) de Tawhidi, Rassaïl al qiyyane (lettres des femmes de joie) de el Jahiz, Rissalat al Ghoufrane (Epitre du Pardon) d’abu al Ala al Maari, la poésie de Bachchar Ibn Bourd, Miramar de Naguib Mahfouz, la répudiation de Rachid Boudjedra, le pain nu de Chokri…

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