Le roi de Thaïlande: un monarque doublement désavoué

Nabil El Bousaadi

Bangkok, la capitale de la Thaïlande, est placée sous le régime de l’Etat d’urgence depuis que, le 15 Octobre dernier, plusieurs centaines de jeunes avaient réclamé la dissolution du gouvernement, une nouvelle Constitution et, surtout, une réforme de l’institution monarchique alors même que cette dernière avait jusqu’ici revêtu un caractère semi-sacré.

C’était, en effet, la première fois que les citoyens avaient critiqué, à haute voix, l’ingérence permanente du monarque dans les affaires politiques et sa gestion des finances royales. Or, bien que, depuis cette date, les rassemblements de plus de cinq personnes y étaient interdits et les médias sommés de ne pas couvrir les manifestations, la contestation étudiante dans la capitale a franchi, ce lundi 26 Octobre, une nouvelle étape.

Bravant toute interdiction, ce sont plus d’une dizaine de milliers de manifestants qui, après avoir traversé la capitale ont arrêté leur marche une fois arrivés aux abords de l’ambassade d’Allemagne. Mais pourquoi donc les manifestants ont-ils choisi de s’arrêter devant la représentation diplomatique d’une nation étrangère qui se trouve à mille lieux de leur pays? Veulent-ils, par ce geste, interpeler le gouvernement d’Angela Merkel? Et si oui, pourquoi? Tout simplement parce que Maha Vajiralongkorn alias Rama X, le roi de Thaïlande, 68 ans, qui dispose d’un pouvoir exorbitant au regard de son statut théorique de monarque constitutionnel, règne sur le pays alors même qu’il vit, la plupart du temps, dans un hôtel des Alpes bavaroises. «Le roi mène la grande vie en Allemagne pendant que l’économie s’écroule et que les militaires n’écoutent rien. On ne peut plus accepter çà» s’écrira Tian, un jeune lycéen de 16 ans qui prétend n’avoir aucune crainte de tomber sous les balles de la police car les jeunes n’ont «aucun avenir» en Thaïlande et que «ne rien faire maintenant, c’est comme mourir à petit feu».

Immensément riche et à la tête d’un pays qui est l’un des plus inégalitaires de la planète, le roi de Thaïlande est, également, dans le «viseur» du gouvernement allemand qui lui reproche de prendre des décisions de politique intérieure alors même qu’il se trouve en territoire étranger violant, ainsi, la règle, non écrite, qui veut qu’un chef d’Etat n’ait pas le droit de diriger les affaires de son pays à partir d’un territoire où il ne se trouve qu’en qualité d’invité.

Raison pour laquelle lorsqu’il a été interrogé sur la qualité des relations de la Thaïlande avec l’Allemagne, Heiko Mass, le chef de la diplomatie allemande a déclaré que si des choses que son gouvernement considère comme étant illégales venaient à se produire, elles auraient «des conséquences immédiates»; ce qui, en langage diplomatique, signifie que la question de la résidence quasi-permanente du souverain thaïlandais sur le sol allemand pourrait être remise en question.

Autant dire que le monarque thaïlandais est, désormais, sur la sellette, aussi bien à Berlin qu’au sein du mouvement pro-démocratie qui secoue son royaume.

Aujourd’hui, un vent de liberté inédit souffle sur la Thaïlande à partir de cette brèche qu’y ont ouverte les étudiants pour faire entendre leur voix. Naguère très discrets, et voire même inexistants, des groupes de rappeurs s’expriment sur les sujets les plus divers, des paysans dénoncent les nouvelles lois sur la propriété de la terre et des féministes osent même réclamer le droit à l’interruption volontaire de grossesse.

Le visage de la Thaïlande est-il vraiment en train de changer sous les coups de boutoirs d’une jeunesse en mal de liberté qui n’en peut plus de devoir se plier aux ordres de la monarchie et de l’armée ? Il semble bien que oui mais attendons pour voir… 

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