Le silence de la haine ou la solution finale pour les Palestiniens

Point de vue

Bernoussi Saltani

Tant que l’Etat d’Israël n’acceptera pas la présence à ses côtés d’un Etat palestinien viable, dans ses frontières d’avant la guerre de 1967, les Juifs, les Arabes et les Amazighs, sans oublier les convertis au judaïsme et à l’Islam à travers l’histoire, seront toujours orphelins de la paix. Et ce n’est pas une question de religion, c’est une question de politique juste et de justice internationale contre le colonialisme et les prétendues suprématies «raciales» et «religieuses».

De par le monde, il y a eu et il y a et il y aura toujours des vagues de paroles et d’actes de la haine non seulement chez beaucoup de petites gens mais aussi de la part des puissants de ce monde et notamment ceux qui se targuent d’être les représentants des grandes démocraties occidentales. Ces paroles/actes de la haine ont visé jadis et visent aujourd’hui bien évidemment les Juifs, mais aussi les Noirs, les Arabes, les Musulmans, les Chinois, les Ouïghours, les Russes, les Tchéchènes, les Mexicains, les Palestiniens, les Kurdes, les Yazidis, les Turcs, les Arméniens et d’autres peuples. Les religieux mal orientés se donnent aussi le droit aux paroles de la haine comme les Evangélistes et autres radicaux des religions monolâtres (le Judaïsme) et monothéistes (le Christianisme et l’Islam).

Suivant les idéologies, les enjeux et les intérêts politiques et économiques, la parole /acte de la haine retrouve parfois une virginité sous les oripeaux de la liberté d’expression.

L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens a consacré, à la Révolution française, la liberté d’expression qu’il définit comme suit :

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Définition apparemment très saine, mais à la lire de très près, elle se révèle véreuse. Disons que cette définition est oxomyrique dans la mesure où les deux extrêmes de l’oxymoron sont contradictoires et «mutuellement exclusifs». Le droit à la libre expression est conditionné par la loi qui sanctionne «l’abus de cette liberté». Et la loi, comme on le sait, est une convention nationale ou internationale, voire religieuse, mais toujours établie par les vainqueurs, qui, depuis toujours, appliquent le droit de la force au détriment de la force du droit.

Dans tous les cas, à un certain moment, le débat sur cette question est «clos» ou donne lieu à des polémiques, c’est-à-dire, étymologiquement, à «des guerres». La parole de la haine des uns devient la liberté d’expression des autres et inversement. Et bien évidemment ce sont les plus forts qui ont raisons.

Mais du moins la parole de la haine, franche ou déguisée, a l’effronterie de se donner à entendre ou, malheureusement, à s’exercer à travers des actions horribles et exécrables ou sous le masque d’un courage intellectuel, comme chez Michel Houellebecq ou Eric Zemmour.

Par contre, le silence de la haine a l’intelligence diabolique de ne pas se donner des voix, pire il étouffe ou terrorise les voix qui risquent de dénoncer la haine, de rendre audibles les souffrances qu’endurent ses victimes et de les porter sur la scène publique des peuples. La majorité de ces femmes et de ces hommes qu’on oblige au silence sur l’exercice de la haine, surtout aux USA, en Australie et en Europe sont ciblés par la machine du silence de la haine.

Le silence de la haine, faut-il le rappeler, a contenu, lentement et méthodiquement, la libre expression des idées, des pensées, des analyses et des luttes pour la justice et les droits de l’homme, de tous les hommes, mais seulement des hommes blancs.

Il fut un temps où, au Maghreb, dans les années soixante et soixante-dix, la liberté d’expression sur la colonisation de la Palestine, promulguée, financée et armée par les grandes démocraties européennes, comme l’Allemagne de l’Ouest depuis les années cinquante et par la suite par les USA, était bien vivante en langue française. Or, malheureusement, ce n’était qu’une mode qui a traversé le monde entier et suscité l’admiration de la révolte palestinienne chez tous les peuples ayant vécu les affres de la colonisation, de la déportation et de la dépersonnalisation.  Dès les années quatre-vingt, la chape de silence commence à tomber sur les Palestiniens.

Certains intellectuels maghrébins, écrivant en français, qui ont suivi cette mode, se sont enfin tus sur cette question. Leur avenir et leur célébrité en Occident dépendaient de ce silence. Un peu plus tard, par leurs «normalisations» avec Israël à travers des voyages effectués en secret, ils ont montré patte blanche aux sbires qui veillent sur le silence de la haine. Ce fut le début de la solution finale à «la question palestinienne» sur le plan intellectuel. Jean-Paul Sartre s’est bien engagé sur toutes les questions de son époque, sauf sur la question palestinienne, ce qui fut une grande déception pour Edward Saïd.  Mais il y a deux raisons majeures pour ce déclin de la parole sur la Palestine qu’il faut rappeler ici.

 Les rois, les présidents-rois arabes et la peur bleue des Palestiniens

La première raison du silence sur la question palestinienne est soulignée par Jean Genet qui a vécu deux années avec les Palestiniens aussi bien en Jordanie que dans les camps des réfugiés et avec les feddayins palestiniens dans leurs bases de combat :

Les Palestiniens font peur au monde arabe, aux grands comme aux petits monarques (Jean Genet, Un captif amoureux, Paris, Gallimard, 1986, rééd Folio, 1992, p. 602).

Et en effet, Les Palestiniens furent massacrés en septembre 1972 par la Jordanie avec la complicité américano-israélienne ; en 1982 par les phalangistes «hitlériens» (Jean Genet,  pp. 57-64) libanais avec la complicité et l’aide  des Israéliens.  L’Egypte fait le blocus de Gaza comme les Israéliens. Les Pays du Golfe et l’Arabie Saoudite commencent à tourner la page de la cause palestinienne qu’ils n’ont soutenue d’ailleurs que par les pétrodollars américains mais jamais par la culture. D’autres pays arabes ont à un moment ou à un autre «piqué» leur gueulante contre les Palestiniens, y compris le Maroc. Il eut fallu aux Palestiniens d’être de sacrés jongleurs pour n’attirer la foudre d’aucun «pays frère». On sait que les pouvoirs arabes se sont entendus pour ne jamais s’entendre et de-là on peut imaginer les acrobaties de Yasser Arafat et son génie pour ne fâcher ni le Maroc ni l’Algérie ni la Tunisie ni la Libye ni l’Egypte ni l’Arabie Saoudite ni l’Irak  ni la Syrie ni le Liban  ni le Soudan etc… Tous les rois et les présidents-rois arabes lui faisaient la bise «au lépreux» pour calmer leurs peuples et sauver leurs couronnes.

Il fallait être naïf pour croire que les Palestiniens étaient «aimés» par les dirigeants des pays arabes, ne fût-ce que par le rappel de ce double enthymème, simple mais combien vrai: l’ami de mon ami est mon ami et l’ennemi de mon ami est mon ennemi. Les dirigeants arabes sont des amis des USA, les USA sont les amis voire les amoureux d’Israël, donc les chefs des pays arabes sont les amis d’Israël. Les « normalisations » avec Israël, après la Jordanie, l’Egypte, les Emirats arabes unis, Bahreïn, ont le vent en poupe. Et l’Arabie Saoudite n’est pas loin de rejoindre la course vers ce changement de cap, alors que la colonisation israélienne se poursuit à une bonne vitesse de croisière au moment même où les Princes du Golf ouvrent leur ciel, leurs marchés, leurs poches et leur cœur au gouvernement de l’Apartheid israélien.

C’est ce qu’on pourrait appeler, en riant juste un peu : la Victoire des Arabes sur les Musulmans.

L’Irak, la Libye, le Yémen et la Syrie, pays arabes pourtant, paient cher leur inimitié à l’égard des USA. D’ailleurs leurs présidents-monarques avaient et ont le mérite de ne jamais aller se faire soigner en Amérique ou en Europe ni posséder des biens dans ces pays. Ils se font, pour cela, détruire par les Américains, les Européens et leurs frères dirigeants arabes, leurs amis, et par ricochet les amis d’Israël.

L’amuïssement de la parole sur la Palestine par l’annexion du langage

Après avoir gagné la guerre contre les Palestiniens, ces jeunes rêveurs mal armés, mal organisés, mal soutenus et  mal conseillés par les frères  chefs arabes, Israël bien armé par les Américains et les Européens et bien soutenu par les lobbys sionistes supranationaux dans les grandes démocraties du monde, portent la guerre au cœur du vocabulaire (Jean Genet) et de la culture des masses européens : Israël n’attaque jamais, il riposte; il ne détruit jamais, il se protège ; il ne viole jamais la loi internationale, il l’applique. Il reçoit sa légitimité de l’ONU mais dénie toute légitimité à l’ONU de défendre les droits à l’existence des Palestiniens ; il signe des accords (Oslo) mais non seulement il ne les respecte pas mais il oblige les Palestiniens à respecter ce qu’ils ont signé par la force et les contraint d’accepter de nouveaux accords qu’il ne tarde pas à violer. Ce fut la tactique utilisée par les Américains pour déposséder les Indiens de leurs terres avant de les détruire et de garder le peu qu’il en reste dans les réserves. 

Benjamin Netanyahou avait tenu à rappeler au «plus grand ami d’Israël» Donald Trump, lors de sa première visite aux USA sous sa présidence qu’ils avaient un bien commun: la terre promise, soit les terres indiennes et palestiniennes. Et effectivement, les colons européens des terres indiennes se prenaient pour les Hébreux à qui Dieu d’Israël avait promis la Palestine.

Israël s’honore des paroles qui lui ont permis d’exister: de la «Bible qui nous a fait tant de mal», dit Mahmoud Darwich, où Dieu d’Israël, et d’Israël uniquement, leur  offre la terre «du miel et du lait» qu’est la Palestine; Arthur James Belfour, de confession sioniste et ministre des affaires étrangères anglaises  offre en 1917 aux sionistes l’autorisation de l’installation d’un foyer en Palestine , comme avant lui son coreligionnaire sioniste Adolphe Crémieux, ministre de la justice française, avait offert la nationalité française aux Juifs algériens au détriment de leurs concitoyens arabes et amazighs. Les Juifs marocains n’ont jamais accepté une telle offre et leurs compatriotes musulmans leur en sont redevables. Les frontières marocaines sont toujours ouvertes pour ceux qui sont partis s’installer ailleurs y compris en Israël. …Et Jared Kouchner, le gendre sioniste de Donald Trump et grand financeur des colonies en Palestine, offre la reconnaissance de propriété totale d’Israël sur Jérusalem/Al-Qods et sur les colonies par une fatwa de son beau-père Donald Trump, dictée par Le Roi d’Israël Benjamin Netanyahou, au grand dam des lois internationales en vigueur. On n’est généreux qu’avec soi-même!

Aujourd’hui la parole d’Israël et pour Israël est présente partout dans les discours occidentaux, dans leurs mass-médias, leur cinéma et autres formes de culture. Par contre la parole sur la Palestine et les Palestiniens est mise en cage quand elle n’est pas purement et simplement muselée. On parle, et c’est extrêmement important d’en parler, de l’holocauste, du massacre des juifs par le régime nazi, des rafles des juifs en France et ailleurs pendant la deuxième guerre mondiale, mais on parle presque pas de la Nakba des Palestiniens, de leurs villages rasés, de leurs écoles et maisons détruites, de leurs champs d’olivier et de blé dévastés par les colons et l’armée d’Israël; l’armée «la plus morale du monde»! Quelle figure oxymorique encore ! L’armée d’Israël est aussi morale que fut l’armée française en Algérie, en Indochine, au Maroc et ailleurs ! Ou l’armée américaine au Viêt Nam, en Amérique Latine ou en Irak.

Mais si les Occidentaux cachent les crimes d’Israël par leur silence et leur culpabilité pour avoir massacré le peuple juif et parfois pire par leurs regrets des actes barbares de l’Israël de l’Apartheid, y compris quand Israël détruit des écoles et autres abris sociaux et culturels construits pour les Palestiniens et financés par l’Union européenne, on le comprend bien en considération du poids des lobbys sionistes dans les élections et les désignations des personnes aux postes clefs des états européens.

Pour mémoire, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères sous la présidence de François Hollande, allait organiser une conférence internationale pour régler le problème israélo-palestinien. «Si la conférence échouait sur ce sujet, avait-il dit, il allait œuvrer pour que la France reconnaisse l’Etat de Palestine». Il fut vite démis de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères et nommé président du conseil constitutionnel, laissant sa place à un pro-israélien. Et le rideau de silence tombe encore une fois sur la reconnaissance de la Palestine par la France. Faut-il encore rappeler que l’une des raisons de la disparition du gaullisme en France est que le Général De Gaule avait averti Israël et le monde, dans une interview célèbre, des conséquences de la guerre de 1967, programmée par les sionistes israéliens pour occuper le maximum des terres arabes et persécuter les Palestiniens.

On se souviendra aussi du Discours de Barack Hussein Obama au Caire quand il avait promis aux Palestiniens la reconnaissance de leur Etat dans une année après son élection. Non seulement Obama n’a pas tenu sa promesse, mais il a été humilié par Benyamin Netanyahou dans le bureau ovale et il a fini par lui accorder l’aide la plus importante jamais consentie à Israël par un président américain. C’est pour dire combien la machine sioniste est infernale.

Les Occidentaux, on ne le sait que trop, et en premières lignes l’Angleterre, la France, l’Allemagne et les USA arment Israël, utilisent son langage et font pression sur les pouvoirs des pays musulmans non seulement pour qu’ils le reconnaissent mais aussi pour qu’ils se débarrassent des Palestiniens, pire de l’idée d’un Etat palestinien. Le tout dit dans un langage bien diplomatique, enrobé de promesses de paix, de prospérité et de fraternité universelle, sous prétexte qu’Israël est la seule démocratie du Proche-Orient voire de l’Orient tout court. Une démocratie certes, mais qui était l’alliée de L’Afrique du Sud de l’apartheid et actuellement l’allié des dictatures et des pouvoirs autoritaires à travers le monde. C’est à ceux-là qu’Israël vend ses armes et ses idées sur l’inexistence du peuple palestinien.

D’aucuns diront que ce ne sont pas les pouvoirs israéliens qui en font trop mais ce sont les pouvoirs arabes qui ne font pas assez ou plutôt ne font rien. Restent alors les intellectuels honnêtes de par le monde, y compris en Israël.

La parole et le silence des intellectuels

Il faut rendre ici hommage aux intellectuels juifs, de par le monde, qui continuent malgré toutes les pressions des lobbys sionistes et évangélistes à dénoncer l’Israël-Apartheid et à soutenir le peuple palestinien dans sa lutte juste et pacifiste contre la colonisation, l’annexion, la destruction de ses biens, les détentions arbitraires de ses militants et de ses enfants, les expulsions, les assassinats, bref contre toute un système de terrorisme d’état. Le juif Illan Halévy alla jusqu’à répudier sa nationalité israélienne et rentrer dans la direction de l’OLP. Il faut regretter la disparition de ces figures juives qui ont levé leur voix haute pour dire non à l’impérialisme israélien comme celle de Stéphane Hessel – Indignez-vous – ou de Germaine Tillon ou encore de Gisèle Halimi et de bien d’autres.

Mais un étonnement mérite d’être exprimé ici : le nombre d’intellectuels, artistes, écrivains, acteurs, animateurs maghrébins ou français d’origine maghrébine est impressionnant en France. Ils sont quelquefois sollicités par les médias pour débattre de quelques problèmes qui touchent la France dont le terrorisme, le radicalisme, la condition de la femme musulmane, arabe etc…  Mais quand il s’agit de la question palestinienne, – et par ailleurs, il faut le dire, les médias en France et en Occident d’une manière générale parlent rarement de la situation des Palestiniens -, ils sont bouches cousues. Ils participent à ce SILENCE DE LA HAINE pour garder leurs privilèges. Un adage à rappeler : « Qui ne dit rien consent ». Mais rappelons-nous aussi que le foyer national sioniste devait être créé en Argentine ou en Ouganda ou en Lybie voire au Nord du Maroc, avant que le choix soit porté sur la Palestine. Un des quatre premiers pays cités serait en ce moment en train de souffrir de ce que les Palestiniens souffrent aujourd’hui. Rappelons-nous que presque 20% des Israéliens sont Marocains, sont nos concitoyens et que la nationalité marocaine est inaliénable. Alors, combattons ensemble le silence de la haine comme nous combattons la parole de la haine.

Il n’y a pas de raisons encore une fois qu’il y ait deux poids deux mesures. La parole de la haine a, heureusement, beaucoup d’ennemis qui la combattent, mais le silence de la haine a, malheureusement, beaucoup d’amis qui le couvrent et le couvent.

Les Palestiniens sont connus pour leur rêve et leur générosité – au sens du partage voire du sacrifice – et beaucoup de personnes de par le monde et de différentes religions le savent pour avoir séjourné parmi eux. Ce témoignage de Jean Genet est à retenir et à méditer :

Vainqueurs, les Palestiniens auraient pu sans triomphe et sans bassesse proposer des territoires aux Israéliens mais ils refusaient d’en être définitivement chassés. Et ignominieusement car ils le furent au nom d’une morale écrite dans le code des envahisseurs (Jean Genet, Un captif amoureux, p. 555)

C’est cette générosité, appelée «la paix des braves» que Arafat et Rabin ont scellée avant d’être tous les deux assassinés.

Le silence de la haine comme la parole de la haine sont un crime contre l’intelligence de l’humanité que les intellectuels doivent dénoncer et combattre.

(Écrivain Frankfurt, Allemagne)

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