Maradona, le «Che» du football

Star, icône, fait social

«Il est peut-être petit de taille mais les autres ne lui arrivent pas à la cheville»

Icône absolue du football pur, idole historique de la jeunesse de la périphérie du monde, compagnon d’idéal et d’humanisme  de la gauche culturelle et utopiste…c’est pour dire que le décès de Maradona est un événement d’envergue mondiale. C’est la planète entière qui est plongée dans le deuil et la tristesse. Tristesse d’autant plus profonde et réelle face à l’état actuel du football, livré aux marchands cupides, sans vergogne ; un jeu formaté et fait de calculs. L’antithèse-même de Maradona, paradigme d’un football inné qui relie le jeu à ses origines, populaires, ouvrières, spontanées et généreuses.

Des journalistes adeptes de la formule facile, en mal d’inspiration osent, en parlant de lui,  des parallèles idiots, et des comparaisons ridicules. Ils oublient que Diego est unique. D’autres commentateurs aigris plongent dans sa vie privée pour devenir des moralisateurs et faire un distinguo entre le joueur et l’homme. «J’aime son jeu mais je ne suis pas fan du personnage» dit par exemple un de ses experts au service du prêt à penser des chaines d’info en continu. Ils oublient encore et tout simplement que c’est cette originalité de l’homme qui a fait ce joueur exceptionnel.

L’un des mes meilleurs souvenirs du festival de Cannes fut en 2008 quand j’ai fait la montée des marches du Grand palais à quelques mètres de Diego Maradona entouré de l’équipe du film documentaire Maradona D’Emir Kusturica. La rencontre éblouissante du numéro dix du football et du numéro dix du cinéma. Ce fut un moment éblouissant ; inoubliable ; Maradona a organisé la montée des marches à sa manière : il jonglait comme il savait si bien le faire avec un ballon, et une fois à l’intérieur de la salle il le lança très loin vers le public.

Un journaliste argentin écrit, presque en notre nom à tous, comment annoncer une telle nouvelle (la mort de Maradona) au pays ? «C’est comme si on lui annonçait que l’Argentine est morte ; que nous sommes tous morts…tel l’Aleph des nouvelles fantastiques de Jorge Luis Borges» ; il était «le point où convergent toutes les composantes de l’identité argentine. Il était ce tout qui contenait et vomissait parfois tout ce qui fait l’argentinité, un miroir cru qui permettait aux Argentins de voir qui ils sont, le bon et le mauvais, l’amour et la haine tels des cousins qui se feraient sans cesse de l’œil… tout comme le football et la politique».

Maradona ne se réduit pas à la fameuse «main de Dieu», la réponse la plus cinglante aux années Thatcher qui ont brisé les classes populaires…Plus que cela, il est un signe plein qui convoque la sociologie et l’anthropologie. Il est le héros d’une époque qui n’en produit plus ; même Hollywood était essoufflé. Il est l’émanation de cette terre qui a donné un autre héros global, CHE. Et Maradona en est le digne héritier. Diego est le CHE du football. Icône des foules orphelines d’idéal. A Naples, il avait incarné la revanche du sud pauvre sur le nord riche. Il était peut-être petit de taille mais les autres ne lui arrivaient pas à la cheville. Grand sur le terrain et immense dans l’ensemble du champ social. Mahmoud Darwich, le grand poète palestinien, ce Maradona du verbe, lui avait consacré un très beau texte pour décrypter ce phénomène social et sémiologique qu’était Diego. Dans le film de Kusturica on voit un de ses supporters construire une église à sa gloire. Il en a fait son propre culte ; une religion ; l’âme d’une époque sans âme. Oui, c’est un fait social total. Lorsqu’il rencontra Castro au milieu des années 1980, il fut choqué d’apprendre que le «lider maximo» avait joué dans sa jeunesse au football comme ailier droit. Comment peut-on  jouer à droite quand on a des idées de gauche ?

Sur le terrain, il produisait un jeu à la fois inventif et imprévisible. Le style c’est l’homme. Rien à voir avec une mécanique froide et répétitive. Il développait un rituel dans le stade et dans la ville qui fait de lui une figure culturelle des classes opprimées dépossédées de parole et d’image. Y compris quand il bouscule les conventions sociales. C’est un rebelle qui dérange le système. Il est éternel.

Mohammed Bakrim

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