Une voix qui vient du ciel

Lala Tamar

Par M’barek Housni

Elle a une voix qui remue l’âme, et y assoit un bonheur renversant. Elle a une présence accaparante lorsque cette voix fuse dans les airs, installant le temps vocalement musical. Lala Tamar ( Tamar Bloch Amar) dont le prénom est chargé d’une symbolique tant biblique que naturelle (tamar = datte) chante comme un ange élu par le destin pour nous réveiller au spirituel qui est en nous.

Je me suis imprégné de cette voix tout un après-midi, écoutant et réécoutant en boucle ses chansons et ses reprises. Un vaste répertoire :marocain, hébreu, portugais, espagnol, ladino (judéo-espagnol parlé par les juifs marocains de Tétouan).. mais c’est le versant marocain avec ses composantes andalouses, sahraoui, gnawi, populaire qui est sa marque, qu’épouse sa voix exquise. Le lendemain, je l’ai rencontrée au détour d’une ruelle étroite du Mellah Kdim d’Essaouira, et je l’aborde avec le sourire qu’elle partagea sur-le-champ. Elle s’y promenait enveloppée d’un matin froid, seule, martelant les petits pavés, emportée par les bruits des vagues de l’océan proche caché par une grande muraille, et les rumeurs de ses ancêtres juifs, ces Marocains qui ont imprégné de leur présence ce côté de la ville. Elle côtoyait leur âme, leur demandait la bénédiction et surtout l’inspiration. Plus tard, au café Maure, chez Raiss, elle me raconta comment cela s’est produit. La voie qu’il avait suivie pour acquérir la voix.

Une grâce faite à elle un jour lors d’une rencontre où la voix de Rabbi Haim Louk la transporta corps et âme. Elle ne s’y attendait guère. Elle ne sut comment cela s’est opéré. Une chose est certaine : les larmes lui avaient coulé sur les joues, et tout son corps fût saisi d’un tremblement inexplicable pendant une heure et demie.

Oui, bien sûr, elle avait déjà écouté des chants marocains.  Etant enfant, son grand-père maternel, un montagnard des Ait Haddou, chantait des airs marocains lors des fêtes de mariages et quand il faisait ses prières. Le spirituel joint à la joie festive avait déjà accompli son œuvre, et il ne manquait que la rencontre, la vision, la main d’un maître (un maallem comme elle le qualifie).

Elle en savait donc quelque chose. Elle-même avait déjà chanté des airs d’opéra, des airs de musique brésilienne, du jazz.. Puis à dix-huit ans, elle voyagea, fait la découverte du monde. Elle oublia le chant ou presque.

Mais ce jour-là à Jérusalem, à vingt-deux ans, elle a eu le déclic, cette main du ciel via cette figure du chant, ce vénérable Rabbi, lui intima de chanter  indirectement. Elle n’avait pas fait d’école de chant. Non, la voix sortit de son être profond, comme libérée et la libérant à sa nature intime. Elle s’était mise en quête de « maîtres, maallems » susceptibles de la guider,  de lui faire connaître les arcanes et les secrets du répertoire artistique du pays de ses origines maternelles. Sans résultat. Les quelques religieux qui connaissaient les chants marocains n’en enseignaient qu’aux mâles, ce qui la déconcerta. Elle en souffrit. Un jour, elle fait la rencontre du grand musicien Elad Levi, le chantre de la musique andalouse, dont le père est originaire de Tiznit.

Elle apprit, elle chanta, mais pour assouvir l’envie,  pour accomplir un désir intérieur, sans aucune ambition de faire carrière dans la chanson, de courir les festivals. Il y eut le groupe Andalucious avec qui elle interpréta la célèbre chanson de l’Algérien Dahman Elharrachi,  « hassbni o khoud krak », avec une distribution nouvelle innovante. Ce fût un franc succès. Sa belle voix s’y trouva rehaussée dans une gamme chaleureuse qu’elle ne quittera plus.

Des reprises et des interprétations qui feront le bonheur des yeux et surtout de l’ouïe. « Lail aajeeb », « aalach ya ghzali ».. on a l’impression de les entendre pour la première fois. Sa voix en chantant une vieille chanson patriotique à la gloire du Roi Mohammed V est une pure merveille,  tout comme la chanson mi-sahraouie, mis-gnaoui, avec des relents d’air amazigh, « Choufi fia, wah, wah » pour laquelle elle conféra un rythme dansant et mélodieux à la fois, communiquant un effet magique dans l’oreille.

Puis un ami musicien lui proposa un projet de groupe, et de plus en plus d’offres, du groupe Zaaluken jouant aussi des qraqebs (castagnettesmarocaines), de duos,  de concerts, de participations se succédèrent. Ainsi sa vie d’artiste fut faite. Et à un moment ou l’autre,  l’appel des origines, celui de ce Maroc tant adulé, et surtout rêvé, devrait être entendu, dans la réalité réelle, dans la géographie et par les sens, et non pas seulement à travers les chants.

Ce fût chose faite. Voyage pour le concert : le festival des Andalousies atlantiques à Mogador. Et voyage pour l’amour du pays et de cette ville. En parlant de son amour pour cette partie du monde,  son marocain dialectal, sa darija propre, prend l’accent de l’émotion forte, celle-là même avec laquelle elle chante si merveilleusement en prononçant les lettres différemment et que sa voix rend d’une portée si musicale qu’on s’y accroche et qu’on aime notre parlé prononcé ainsi. « À  Mogador, je me sens comme si je suis en rêve » et «  ici, au Maroc, je  vois ce que je veux voir, et j’entends ce que je veux entendre » autrement dit ce qu’elle a toujours aimé voir et aimé entendre.

Un tel amour, si exclusif, ne peut générer que des œuvres. Et sa voix est là pour nous les faire goûter.  Une voix qui vient de loin, tout en étant cernée par l’espace du regard couvant l’artiste dont la féminité irradie une magie innocente. Trémolo, ondulations, basse ou élevée, tendre ou forte, elle donne l’émotion maximale, elle nous fait accéder au sublime.

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