L’alose retournera-t-elle un jour aux riverains du Bou-Regreg ?

Mohamed Nait Youssef

Les mots servent-ils à quelque chose ? L’acte d’écrire a-t-il une autre fonction que celle d’affirmer le soi dans le monde des vivants, de révéler ce qui demeure caché dans les tréfonds de la mémoire ? 

Dans « La fille du Bou-Regreg », Anna Rivière nous livre un témoignage poignant, voire un éclairage sur une époque vécue ayant marqué non seulement les deux rives Rabat et Salé  mais aussi le Maroc ; terre accueillante où les cultures, les religions, les civilisations cohabitaient et cohabitent depuis la nuit des temps.

A traves ses chroniques d’une enfance passée au Maroc, le lecteur de ce récit est invité à découvrir/redécouvrir une partie de notre mémoire collective. C’est aussi un temps fort pour réfléchir et contempler notre passé et histoire.

Par ailleurs, chaque auteur à une raison qui le pousse à dire, à écrire noir sur blanc ses déboires, ses envies, sa vison du monde et tant de questions hantant son esprit.

L’écriture pourrait alors jouer cette fonction révélatrice ; celle de mettre les mots sur les maux.

«Autour de nous, le manque de tolérance, l’absence de sourire et le vide de sérénité m’ont conduite à l’écriture de ce livre. Nous ne savons plus être heureux ! Je pensais souvent à ma ville de Salé où les différentes communautés se côtoyaient en une totale harmonie », écrivait Anna Rivière dans l’avant-propos du livre.

Dans ce récit écrit avec un souffle à la fois nostalgique et poétique, l’auteure nous amène à l’univers ayant marqué son enfance et son adolescence. Et quand les images lui revenaient à l’esprit et les souvenirs vivaces couvraient la peau dure des mots dont certains passages invitent le lecteur à flâner, à errer dans les ruelles de Salé, la ville mythique, historique et ouverte sur le monde et les autres. C’est bien le temps pour faire ses valises !

Le départ… ce mal de mer !

Partir ou rester ? Rester ou partir ?  Dans ce livre la notion du départ sonne comme un glas. Mais, en contrepartie, l’idée du retour au bercail, aux racines, à la terre, au soleil et au ciel clément du pays est toujours là. Ainsi, retrouver ses souvenirs d’enfance est la meilleure des réconciliations. «Nina en avait en tête : revoir le Maroc ! Le Maroc son pays natal quitté à l’âge de 15 ans. Le temps est passé si vite…Elle aspire à retrouver les lieux de son enfance »,  a-t-elle écrit. Les retrouvailles, enfin!

 Certes, la mémoire a cette capacité de résister contre l’amnésie, contre vents et marées de la vie. Or, les images premières, les rêveries ensommeillées dans l’imaginaire de Nina ou d’Anna renaissent de leurs cendres.

Toutefois, son amour en effet pour la cuisine, le jardinage mais aussi et surtout pour la « Darija », sa langue presque émotionnelle font de Nina une citoyenne du monde, épanouie et amoureuse de la vie sont également épuisés dans ses racines, dans sa culture d’origine.

«Le changement est sûrement important et Nina a une crainte : celle d’avoir perdu certains repères. Elle consulte un vieil ouvrage d’arabe dialectal. Enfant jusqu’à l’adolescence, c’était une langue qu’elle parlait avec sa mère et aussi avec les marocains », peut-on lire dans la page 29.

Ce sentiment d’appartenance à la culture et la terre marocaine a toujours habité le personnage. «Nina veut être considérée comme une enfant du pays et non comme une touriste en vacances », page 30. De Marbella à Rabat en passant par la ville ocre Marrakech, la ville dite blanche Casablanca  sans oublier Meknès, Fès, Debdou, Azrou, Toumliline, Rabat, Salé… Nina a essayé à travers son périple de saisir de l’âme poétique des lieux emblématiques, de renouer avec les odeurs d’antan, de savourer les délices de l’art culinaire marocain. Une vraie plongée dans le temps et l’espace !

Tous les chemins mènent…au Maroc

Le soleil, la mer, les couleurs, les odeurs, les ruelles, les gens… tout est poétique sous les cieux du Maroc. Et… le beau se cache dans les détails !

Après trente-cinq ans d’absence, une immense émotion enveloppa Nina en mettant les pieds sur la terre sainte de Salé, ville d’enfance. « En arrivant à Salé l’émotion submergea Nina. Trente-cinq ans étaient passés. Tellement de choses avaient changé », peut-on lire dans la page 97. Certes que beaucoup d’eaux ont passé sous les ponts, mais le personnage s’en souvenait toujours du quartier Hassan, de la plage de Salé, du célèbre site de Chellah ou encore du fameux quartier des potiers où l’idée de ce livre est née.    

A travers les yeux de Nina, on y voit aussi ce Maroc tolérant et fédérateur où les religions cohabitent en toute symbiose qui ne date pas d’aujourd’hui. En effet, ce rappel d’Anna des temps des fêtes juives, musulmanes ou encore catholiques et païennes en témoignent. Une leçon pour l’Histoire et les générations à venir. Des fêtes apportant de la joie, de la lumière, de la communion en ces temps froids où les peuples se sont enfermés sur eux-mêmes. La vie, certes, comme Bou Regreg, n’est jamais un long fleuve tranquille, mais la mémoire demeure.

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