«On s’attend à une reprise touristique magique et innovante»

Jalil Chebihi, directeur général du Pullman Mazagan Royal Golf & SPA

«On s’attend à  un «boom» touristique à la reprise»

Depuis l’avènement de la crise sanitaire due à la pandémie du Coronavirus et les premiers confinements décrétés un peu partout dans le monde, les regards se sont tournés vers le secteur touristique, première victime des restrictions des déplacements aux niveaux interne et international. Les uns et les autres y voyaient une crise plus au moins longue. Les plus pessimistes tablaient sur une reprise en avril 2021 et les autres laissaient nourrir l’espoir d’une relance avec les fêtes de fin d’année 2020. Personne ne pouvait, ou ne voulait céder à l’idée que cette crise n’est pas que passagère et conjoncturelle. Il a fallu quelques mois et des millions de morts et de personnes infectées  pour se rendre à l’évidence  que la Covid-19 n’est pas «une gripette, comme on en a tous les ans», comme l’avait imprudemment prédit Michel Cymes, le médecin-animateur le plus célèbre du petit écran français et que son impact sera dévastateur sur les sociétés, sur l’économie mondiale et surtout sur les populations.

Que faire ? Céder à la panique et à la fatalité ou chercher des solutions viables pour sauver ce qui peut encore l’être? Des voix, plus raisonnables, appelaient à vivre avec le virus, à adapter le mode de vie de chacun et collectivement aux contraintes de la pandémie et à intérioriser les mesures barrières et de protection pour que la vie puisse continuer.

Pour le tourisme et tous les secteurs qui gravitent dans son giron, cette adaptation est plus que vitale et ne peut être menée que par les professionnels eux-mêmes, loin des atermoiements des politiques et des imprécisions des  statistiques.

Dans le cadre de ce dossier sur l’impact de cette pandémie sur le tourisme national, nous avons rencontré M.   Jalil Chebihi, directeur général du Pullman Mazagan Royal Golf & SPA. Du haut de ses trente années d’expérience, ce grand professionnel  refuse de céder à la fatalité et au catastrophisme. Pour lui, cette crise qui a frappé de plein fouet le tourisme et plus particulièrement l’hôtellerie interpelle davantage l’aptitude des professionnels à s’adapter en innovant et en faisant preuve de résilience et de créativité, bien sûr avec la sérénité et en se conformant aux mesures préventives décrétées par les autorités sanitaires. Son crédo est simple et réaliste : préserver l’emploi à travers des formations, anticiper les changements de la demande et la satisfaction totale du client. S’il reconnait que le chiffre d’affaires sera certainement impacté, il n’en demeure pas moins convaincu que le tourisme national retrouvera des couleurs vers le 3e ou le 4e trimestre 2021, grâce à la clientèle nationale : « pour le touriste national, je pense qu’une certaine catégorie est habituée à voyager à l’étranger. Nous sommes capables de leur proposer une offre diversifiée – balnéaire, dépaysement, aqua-parcs, shopings, kids clubs, animation pour les jeunes etc…- à des prix adaptés au marché et compétitifs».

M. Chebihi, nous brosse dans cette interview un tableau moins dramatique, moins fataliste et moins alarmiste qui laisse entrevoir, avec réalisme et conviction, des pistes de reprise adaptées aux contraintes de la situation sanitaire et aux attentes du client.  Entretien.

Propos recueillis par Najib Amrani

Comment vous avez vécu la crise sanitaire au niveau du Pullman Mazagan Royal Golf & SPA?

L’avènement de la crise sanitaire nous a surpris alors qu’on était en plein chantier de rénovation, – piscine, golf et autres. Les travaux devaient être finalisés au cours du premier semestre de 2020 pour être prêt pour la saison estivale, au mois de juin-juillet. Malheureusement avec le confinement, plusieurs entreprises ont arrêté de travailler et n’ont repris qu’après l’allégement du confinement, c’est-à-dire pendant la haute saison. Donc nous avons dû nous adapter, innover et réinventer notre offre.  Nous avons aménagé la plage différemment, avec une piscine hors-sol, plus de transats et de beds pour satisfaire un maximum de personnes tout en respectant les règles sanitaires et la distanciation sociale. Le taux de remplissage n’était pas celui des années précédentes, mais nous avons régir et créer une offre adaptées aux nouvelles exigences en matière de restauration, d’hébergement et de divertissement y compris les activités du Kids Club qui nécessitent une attention particulière et une gestion permanente des enfants.

Globalement, les clients étaient satisfaits avec une forte demande pour toutes les activités à l’extérieur, notamment les ballades sur la plage ou en forêt, choses sommes toutes prévisibles, après trois mois de confinement.

On peut dire donc que  les  affaires se sont plutôt bien passées sur la saison estivale jusqu’à fin septembre et que globalement on a pu tirer épingle du jeu et retrouver une reprise d’activité.

Pour ce qui est du dernier trimestre 2020 qui connait habituellement des évènements régionaux, nationaux et internationaux (le salon du cheval, colloques, séminaires, concentration d’équipes sportives, fêtes de fin d’année, …) l’activité était plutôt mitigée, à cause des restrictions sanitaires, du couvre-feu et de la deuxième vague du virus au Maroc et dans les pays émetteurs.

La fermeture des  commerces et des restaurants à 20 H, le couvre-feu et la fermeture de certaines villes avec la difficulté de circulation ont nettement diminué l’activité et cela se prolonge également sur ce début d’année. La clientèle Casablancaise est la plus importante chez nous et cela se justifie par la proximité, le changement total de cadre, la diversité de l’offre (forêt, plage, golf, arrière-pays, et bien-être).

Quel a été l’impact sur les ressources humaines pour vous et vos partenaires?

Effectivement, nos partenaires dans le transport touristique, la location de voiture, l’artisanat, et tous les fournisseurs qui travaillent avec le secteur touristique (boucheries, poissonniers, fruits et légumes, épiceries, boissons, …) ont été sérieusement impactés.

En ce qui nous concerne, nos ressources humaines n’ont pas été impactées. Nous avons maintenu l’ensemble des collaborateurs et les salaires ont été versés dans les délais habituels. D’abord,  parce que pratiquement tous nos collaborateurs sont en CDI et surtout une décision et une volonté du propriétaire (Madaef, filiale du Groupe CDG) qui est respectueux des engagements sociétaux.

Notre souci primordial, immédiatement après le confinement, était de garantir la sécurité de nos collaborateurs et de nos clients par la mise en place du Label de sécurité sanitaire ALLSAFE du Groupe Accor.

Le client doit se sentir en sécurité, que sa chambre a été nettoyée selon certaines procédures, que les univers de restauration et les espaces communs inspirent la propreté tout en respectant les normes sanitaires et la distanciation et que les collaborateurs suivent un processus claire et permanent. A son arrivée, le client reçoit un flacon de gel et un masque pour se protéger, la signalétique est présente partout pour lui rappeler les différentes règles pour le protéger et protéger les autres.

Ceci se traduit par un coût supplémentaire ? Et d’après vous il est énorme ou gérable?

Effectivement c’est un coût supplémentaire qui n’existait pas avant et qui est incontournable. Il n’est pas excessif mais indispensable, il fait partie désormais de notre quotidien, nous l’intégrons dans les  produits d’entretien et d’accueil. Le nettoyage de l’hôtel  se fait beaucoup plus fréquemment et différemment. Il y a également des uniformes spécifiques pour tout le personnel et plus particulièrement pour les femmes de chambre (casaque, gants, coiffe, masque, …) qui doivent être changé après chaque entretien de chambre (pour les gants).

En plus des tarifs qui ont été revus tous à la baisse par l’ensemble du secteur, et ce coût supplémentaire des mesures sanitaires, nous devons continuer à offrir une prestation haut de gamme qui répondre aux promesses clients sans pour autant avoir de visibilité sur les prochains mois.

On n’est pas encore à la fin de la pandémie, on redoute une 3e 4e vague, quelles sont les pistes aujourd’hui d’une reprise, comment se préparer, et investir?

Sincèrement une reprise du marché international serait difficile à envisager avant le dernier trimestre, ou plutôt avant le troisième trimestre de l’année 2021, vers le mois de septembre si les choses vont bien et si les vaccins sont généralisés en Europe et en Afrique du Nord.

On doit profiter de cette crise pour finaliser les investissements et faire des formations pour les collaborateurs afin de remettre le produit à niveau. Il faut qu’à la reprise, le client trouve du changement, des innovations, un produit différent qui corresponde à ses nouvelles exigences d’évasion, de découverte, de grand air et de nature.

De notre côté, c’est ce que nous faisons depuis le mois de février 2020. Le golf est en réfection totale, un nouveau parcours sera opérationnel à partir du printemps prochain. La piscine a été refaite à neuf pour le plaisir de nos clients. Nous rénovons une partie des chambres et des salles de bain,  nous relookons le KIDS Club et nous donnerons à nos espaces verts une nouvelle identité pour embellir le site. D’autres univers pour le bien-être et la restauration seront également au rendez-vous pour accueillir nos clients cet été.

Notre nouvelle offre multi segments saura satisfaire petits et grands dans une ambiance de fête, d’amusement et de dépaysement pour nos clients régionaux, nationaux et internationaux.

Avec chaque crise dans le tourisme, on fait appel au touriste national. Est-ce qu’il ne faut pas aujourd’hui repenser et réfléchir sur des offres adaptées ? Vous avez parlé de l’innovation, est-ce que celle-ci ne va pas dans ce sens ?

Si bien sûr, je pense qu’une certaine catégorie est habituée à voyager à l’étranger et donc habituée à certains standards, à certaines libertés que nous sommes capables de créer et d’offrir, parfois à moindre coût, mais cela nécessite la collaboration et la facilitation des pouvoirs publics.

Nous avons une offre qui peut répondre à cette clientèle, comme le balnéaire, le dépaysement, les aqua-parcs, les activités de loisirs, les malls pour le shoping etc…  Ce genre de produit existe dans des villes comme Marrakech, Agadir ou encore Tanger. EL Jadida va certainement suivre avec son rattachement à la région de Casablanca.

La diversification de l’offre est très importante car elle permet de toucher plusieurs segments de clients, de les fidéliser, d’avoir un taux de retour intéressant. Cette offre ne peut pas exister sans des collaborateurs bien formés, professionnels et surtout avec un secteur bien organisé, avec des tarifs compétitifs et dynamiques en fonction des saisons.

Le balnéaire, l’écotourisme, le golf, les animations pour enfants et adolescents sont autant d’activités qu’il faut développer en ces temps de semi confinement (fermeture à 20h des commerces, couvre-feu de 21h à 6h) et post Covid. Il faut indéniablement apprendre à vivre, peut-être quelques mois ou quelques années,  avec ces contraintes, avec les restrictions sanitaires et la distanciation sociale. L’essentiel c’est de continuer à vivre différemment.

Parmi les pistes avancées aussi, il y a le tourisme médical, est-ce que celui-ci peut exercer en tant que service parmi d’autres, ou se sont des structures à part ?

Personnellement, je pense que le tourisme médical est un tourisme de niche qui se développe de plus en plus. C’est une clientèle qui doit cohabiter avec les clients classiques avec des structures adaptées, un personnel  professionnel, spécialisé et dédié car il nécessite un encadrement plus rapproché et permanent. Maintenant, si c’est juste un repos post opératoire qui n’exige pas de convalescence spéciale ou de surveillance médicale particulière, les deux populations peuvent cohabiter dans le même établissement. D’ailleurs, dans plusieurs villes au Maroc, pendant le premier trimestre de l’apparition du virus,  des hôteliers ont hébergé pendant deux semaines des clients post Covid. C’était des clients qui avaient besoin de repos, de confinement avant de rejoindre leurs domiciles. Donc, pas besoin d’une surveillance médicale spéciale.

Quelle est votre appréciation des mesures palliatives proposées par le gouvernement au secteur jusqu’à présent?

Personne ne s’attendait à une crise de cette ampleur, mondiale et surtout qui allait durer aussi longtemps que cela. Tous les gouvernements ont été pris au dépourvu et les mesures palliatives qui étaient proposées ou adoptées n’ont pas fait l’unanimité. Certains secteurs ont été touchés plus que d’autres.

L’indemnité de la CNSS est une première au Maroc, c’est vrai que c’est une bonne chose, elle a pu sauver les petits salaires. Maintenant est ce que la CNSS pourra maintenir ces paiement si la crise dure encore 2 ou 3 ans ?

Le déblocage de crédits relais ou spéciaux pour permettre aux entreprises de continuer à vivre en attendant la fin de l’épidémie, les reports des échéances de crédits pour les ménages, le reports des impôts et les annulations de majorations, autant de mesures qui ont pu maintenir ne serait-ce que timidement l’activité.

Le niveau de l’activité en général a baissé et les recettes des Etats ont subi le même sort. Donc, à mon avis, il est très difficile d’évaluer, de juger et de prendre des décisions lorsque nous sommes dans le feu de l’action. On ne peut pas être équitable et plaire à tout le monde.

El Jadida, s’est métamorphosée ces dernières années, il y a le Mazagan Beach & Golf Resort, le parc d’exposition Mohamed VI, l’éco-cité de Mazagan, le nouveau haras national, des universités, etc. El Jadida a aujourd’hui tous les atouts pour s’imposer comme une grande destination touristique?

Je ne dirai pas qu’il s’agit d’une métamorphose mais plutôt d’un changement structurel.  Effectivement, depuis quelques années, El Jadida fait partie du grand Casablanca. Nous espérions que cette proximité et ce rattachement allait créer cette métamorphose avec la proximité du plus grand aéroport du Maroc, la construction du parc d’expositions Mohamed VI, la création de la nouvelle ville PUMA mais malheureusement ce développement tant attendu a été retardé une nouvelle fois par cette pandémie.

La ville d’El Jadida a besoin de plus d’investissements, de visibilité, d’infrastructure de base. Pour devenir destination touristique, nous avons besoin d’investissements de loisirs, de valorisation des monuments historiques et culturels, d’une mise en avant de l’arrière-pays, de restaurants, de bar, de malls, d’une promenade le long des 7km de plage, d’une remise à niveau des axes routiers, et cela ne peut pas se faire sans l’aide des pouvoirs publics et d’une organisation de la profession, …

La ville est en train de se développer petit à petit. Les gens sont assoiffés de grand air, de sortie, de découverte,  il faut saisir l’opportunité de la reprise post Covid pour se développer et lancer des chantiers dans toute la ville. Il y a quelques projets touristiques prévus, dont un aqua parc, des restaurants, des petits hôtels. Il faut oser, être optimiste, innovant.  Vivement la reprise!

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