À cœur ouvert avec Abdelhak Zerouali

Mohamed Nait Youssef

Un nom majeur des planches nationales. Abdelhak Zerouali ne voit plus aujourd’hui le théâtre marocain du même œil. Beaucoup d’eaux ont passé certes sous les ponts, mais le maître du monodrame  s’exprime avec beaucoup d’amertume et de regret sur l’état  de santé du père des arts. On l’a rencontré un matin à Rabat, dans un café de la place. Une rencontre hors les murs à l’occasion de la Journée Mondiale du Théâtre… en attendant une réouverture tant attendue.  

Ouverture des théâtres : en attendant Godot!

«De prime abord, merci de m’avoir rappelé que le 27 mars est la Journée Mondiale du Théâtre. Personnellement, j’étais  presque sur le point d’oublier ce jour qui constituait un temps fort pour les comédiens et les professionnels du théâtre. Pis encore, j’étais  presque  sur le point d’oublier que j’ai  même cette légitimité d’appartenir à cet art », a-t-il confié. Et d’ajouter : «J’ai risqué aussi de perdre cette faculté voire envie de monter de nouveau sur les planches. Il ne s’agit pas non plus d’un sentiment de frustration  ou de manque d’inspiration, mais c’est à cause de ce regard si simpliste sur le père des arts, considéré comme moyen de divertissement et de passe-temps. Ce regard est porté non seulement par le public mais aussi par les responsables, les communes, les conseils régionaux et locaux. Sans oublier les gouvernements et les partis politiques qui ne misent pas aujourd’hui  sur la culture comme moyen fondamental pour le développement de la société sur tous les plans et volets».

À chaque fois, dit-il, on revient souvent au même débat et aux mêmes revendications et  besoins qui ont été déjà abordés lors des assises nationales du théâtre qui ont eu lieu en 1974, au Ministère de la Culture. «Ce sont les mêmes questions, les mêmes aspirations et les mêmes réclamations qui se répètent et qui  se discutent. Bref, le théâtre national a besoin d’une véritable volonté pour sortir de cette situation de blocage », a-t-il fait  savoir.

Du confinement sanitaire à l’enferment intellectuel…

Les espaces culturels y compris les théâtres et les salles de spectacle sont toujours fermés. Or, aucune visibilité en vue.

«Même avant  la pandémie, le nombre du public est limité sachant que la salle de 1000 places accueille de 200 à 300 personnes dans les meilleures  conditions. C’est un constat! Et il faut l’avouer aussi, on n’a pas créé un public consommateur du théâtre malgré l’avancement qu’a connu notre infrastructure culturelle », a-t-il indiqué.  Pour lui,  la pandémie ;  c’est  également l’usage des Smartphones par le public dans les salles. «Le prestige et les « rites » du  spectacle ne sont plus respectés dans nos théâtres !», a-t-il rappelé. D’après le dramaturge et metteur en scène, il faut trouver des issues pour  sortir de cet enfermement intellectuel hantant les esprits. Pour ce faire, explique-il, il faut  se pencher sur d’autres questions qui  touchent la société et le citoyen loin de la superficialité et de l’autocensure. «C’est le temps d’aborder les grandes questions et profondes», a-t-il affirmé.

Le théâtre arabe déchiré par les conflits

Le théâtre en particulier et  la culture en général sont les plus touchés par ce que certains appellent le « printemps arabe » et les guerres, notamment  au Soudan, Yémen, Libye, indique Abdelhak Zerouali. La preuve ? Cet espoir de s’ouvrir sur d’autres pays arabes et d’autres expériences artistiques n’existe plus aujourd’hui, a-t-il fait savoir. «Le marché artistique national est désormais restreint sachant que ce problème est à la fois régional, continental et mondial vu les conditions politiques, économiques », poursuit-il. Et d’ajouter : «ça fait mal au cœur quand même de voir le théâtre marocain dans une situation pareille : difficile et inquiétante. Et si seulement je savais qu’en 1961, le jour où j’avais décidé de monter pour la première fois sur scène à Fès, que je vais parler en  2021 avec tant d’amertume, je ne commençais jamais».

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