Cheminement libre

«Massarates» avec Abdelhak Najib

Par Dr Imane Kendili, psychiatre et écrivaine

Télé Maroc consacre un numéro spécial de son émission Massarates, à l’écrivain, penseur et journaliste, Abdelhak Najib. 52 minutes pour revenir sur le parcours d’un homme pluridimensionnel, qui a dédié sa vie à l’exploration, à la découverte et à la célébration de la culture.

L’exercice est complexe. Revenir sur la vie si riche d’un homme qui ne recule jamais devant rien, allant au devant des risques, bravant les dangers, s’aventurant là où d’autres ne pourraient jamais aller, est une gageure. En presque une heure d’émission, Massarates, présentée par Leila Lahlou, sur Télé Maroc, prend à son compte ce défi et nous offre un très beau programme sur un homme à part. Écrivain, journaliste, philosophe, essayiste, chroniqueur, critique d’art et de cinéma reconnu dans le monde, animateur d’émissions télévisées, conférencier charismatique, éditeur à succès et ancien champion mondial de Bodybuilding ayant remporté pas moins de 27 concours durant une carrière sportive de très haut niveau. C’est dire que ce natif de Hay Mohammadi, en 1969, a eu plusieurs vies en une. Issu d’une femme d’art et de culture, avec un père résistant et soldat de la première heure, une mère cultivée et avant-gardiste, il a vécu dans une maison où ses frères lisaient Al Moutanabbi, Goethe et Camus. Une maison où l’on parle arabe, français, anglais et allemand, très tôt. Il a grandi dans les années 1970 en écoutant de la musique classique, Bob Marley, Les Pink Floyd, les Led Zepplin, Johnny Cash, Jim Morrison, Jimi Hendrix et Janis Joplin ou encore Tom Waits. Très vite, sa mère lui a mis un livre entre les mains, L’étranger d’Albert Camus. Il avait sept ans. Et c’est le début de l’aventure pour un enfant qui rêve grand, qui a soif de découvrir la vie, qui joue au football comme un petit prodige, qui récolte les premières notes à l’école (ses bulletins scolaires sont toujours chez sa mère).

Massarates revient sur ces périodes importantes dans la vie d’un homme de culture, à la fois multilingue (français, anglais, espagnol, allemand et turc) et grand amoureux des lettres et des arts : « Les arts et les lettres sont l’essence même de toute ma vie. Je vis des arts et des lettres. Je respire les arts et les lettres. C’est au-delà de la passion. C’est une raison d’être et de vivre. J’ai consacré un demi-siècle de mon existence au savoir et à la connaissance. J’ai dédié ma vie à la passion des arts. Je suis un homme qui se nourrit de peinture, de cinéma, des littératures, de musique, de photographie, de sculpture… Aujourd’hui et depuis plus de trois décennies, les arts et les lettres sont également mon métier et mon travail en tant que journaliste et critique d’art et de cinéma. Cela nourrit également l’émission culturelle au grand succès que j’anime à Al Oula : « Sada Al Ibdae », qui est une véritable vitrine pour célébrer les arts et les lettres. » explique Abdelhak Najib qui ne possède rien d’autre que des milliers de livres, tous reliés par amour pour l’objet livre, des milliers de films, de la musique et des toiles de peintres. Pour tout le reste, il n’a aucun attrait pour la matérialité et refuse tout type de possession. C’est un esprit libre et libertaire, qui porte en lui à la fois le refus et l’acceptation de la vie. Cela, il le tient de ses lectures durant plus de 45 ans de travail rigoureux et assidu :  «Je suis ce qu’on appelle dans le sens fort du mot un rat des bibliothèques. Je suis un lecteur vorace et assidu. Je suis aussi très discipliné en tant que lecteur. J’aime lire les auteurs dans leurs œuvres complètes pour essayer de comprendre leurs univers. J’ai accumulé durant ma vie des dizaines de milliers de livres qui sont toute ma fortune dans ce monde.

Quant à l’écriture, c’est une puissante raison de vivre. J’écris depuis que je suis enfant. Aussi loin qu’il me souvienne, j’ai toujours écrit de la poésie. J’estime que je suis d’abord un poète avant d’être romancier, penseur ou chroniqueur. Aujourd’hui, avec une vingtaine d’œuvres écrites et publiées, mon œuvre philosophique et littéraire se profile devant moi, avec cette exigence de faire œuvre.» La lecture lui a donné l’envie de voyager et de sillonner le monde. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les très nombreux voyages de cet homme qui a littéralement fait presque le tour du globe, juste par amour de parcourir des distances :  «Les villes que j’ai connues font l’objet d’un livre qui sort bientôt, intitulé : « Ce que le temps doit à la distance ». J’y reviens sur quelques périodes importantes de ma vie, vécues ailleurs. Évidemment il y a parmi ces villes : New York où j’ai vécu des instants de grande profondeur. Elle a largement influencé ma vision d’auteur, par sa frénésie, son énergie et ses atmosphères créatives. Il y a Paris où j’ai fait une partie de mes études supérieures. Là aussi, le foisonnement des arts et des lettres m’a profondément marqué en tant qu’homme et en tant qu’écrivain. Sans oublier Istanbul où j’ai vécu durant une période au plus près des âmes de Nazim Hikmet et de Yachar Kemal ; il y a aussi Berlin, Prague, Rome, Madrid, Vienne, Budapest, Athènes, Bakou, Tachkent, Samarcande, Tabriz, Ispahan, Damas, Alexandrie et le Caire, Jérusalem, Malte que je considère comme une ville, Lisbonne, Londres, Copenhague, Dublin… mais aussi Dakar, Abidjan, Lagos, Tombouctou, le désert du Namibe, Brazzaville et d’autres villes aux quatre coins du monde. Vous savez, je suis un voyageur, un pèlerin qui avance en se pelant, couche après couche, pour laisser la lumière entrer.»  D’un continent à l’autre, le voyageur Abdelhak Najib découvre les autres cultures, rencontre de nouvelles idées, se nourrit d’autres histoires qui ressortent toutes dans ses écrits à la fois riche et foisonnant dans leur grande variété. Il découvre surtout le sens de la beauté du monde et des choses : «La beauté, c’est la manifestation du vivant dans ce monde. La beauté, quelles que puissent être ses manifestations, est l’expression du miracle de la vie. Mais la notion de beauté est très complexe. Il faut que chacun arrive à définir son acception de la beauté. Pour ma part, elle est à la source de tout ce qui élève l’humain en nous. Mais, il faut garder à l’esprit que le monstrueux peut aussi être beau, que le mystère, le secret, l’inconnu, ce qui nous échappe, ce qui nous secret de lanterne pour éclairer ce qui adviendra. Il y a également une forme transcendante de la beauté, c’est celle de l’âme connectée à l’essence de l’univers».  Toute cette quête de l’impossible qui anime Abdelhak Najib a donné corps à plus d’une vingtaine d’écrits, entre romans, poésie, philosophie, critique d’art et chroniques, le tout au plus près de l’humain, l’unique credo qui sous-tend la pensée de l’auteur. Sans oublier la critique littéraire et le cinéma, sa passion de toujours, pour laquelle il a écrit un livre d’art. «J’ai dû écrire un pavé, intitulé : «Les livres de ma vie», et «Mon voyage dans le cinéma», les deux aux Éditions Orion. De manière sommaire, je peux résumer les auteurs qui m’ont appris beaucoup en citant L’Homme sans qualités de Musil, Ulysse de Joyce, La recherche du temps perdu de Proust, Les possédés de Dostoïevski, La crucifixion en rose de Miller, Le quatuor d’Alexandrie de Durrell, Lord Jim de Conrad, Le Zarathoustra de Nietzsche, Le pavillon des cancéreux de Soljenitsyne, Le procès, de Kafka, Paysages humains de Hikmet, Memet le faucon, de Yachar Kemal, Les villes de sel de Mounif, toute la poésie de René Char, Saint-John Perse, Rimbaud, Rilke, Hölderlin, toute la pensée de E. M. Cioran, M. Heidegger, Fulcanelli, Paracelse, Shakespeare, Mandelstam, Tsvetaeva, Akhnatova, Maïakovski…»

En ce qui concerne les films, là aussi, nous sommes face à un dévoreur de films. Durant une période de sa vie, il regardait trois films d’auteur par jour. Il a encore dans ses bibliothèques quelques milliers de grands films de l’histoire du cinéma. On peut citer brièvement : Damnation de Bela Tarr, Le miroir de Tarkovski, Le parrain de Coppola, Taxi Driver de Scorsese, Apocalypse Now de Coppola, Midnight Express d’Alan Parker, Dersu Uzala de Kurosawa, L’empire des sens de Oshima, In the mood for Love de Wong Kar-wai, L’invaincu de Satyajit Ray, La trilogie alexandrine de Youssef Chahine, Badlands de Terrence Malick, Reservoir Dogs de Tarantino, La leçon de piano de Jane Campion, Do the right thing de Spike Lee, The Zodiac de David Fincher, Stranger than paradise de Jim Jarmusch, Paris Texas de Wim Wenders, Little Odessa de James Gray, Magnolia de Paul Thomas Anderson… Abdelhak Najib, parti sur sa lancée, peut nous citer des milliers de films comme ça dont il connaît les scénaristes, les compositeurs, les producteurs et les réalisateurs sans oublier toute la distribution. Sa mémoire phénoménale ne rate rien et restitue le tout, avec une aisance déconcertante. 

Mais ce n’est pas tout. Abdelhak Najib nous surprend toujours là où on l’attend le moins : la surprise de cette année 2021 est son rôle dans une série pour 2M, intitulée : Bab Leb7ar où il joue le rôle du PDG d’une holding d’immobilier.

Bab Leb7ar est réalisée par Chaouki El Oufir, Abdelhak Najib y joue aux côtés de Samia Akariou, Rachid El Ouali, Aissam Elouali, Aouatefe Lahmani, Ghany et d’autres figures du cinéma et de la télévision marocaine.

Voici de manière sommaire des tranches de vie pour un homme qui a fait de la culture son cheval de bataille pour tenter d’apporter des éléments de réponse dans un monde en déshérence. Un homme qui sait que la beauté peut sauver le monde.

Étiquettes
Top