Feu Mohamed Rouicha, le rénovateur…

Mohamed Nait Youssef

Une voix inclassable. Un artiste hors pair, singulier et authentique. Mohamed Rouicha, le rossignol de l’Atlas aux multiples talents, fut une figure emblématique du paysage musical et artistique national. Un véritable rénovateur et modernisateur, Rouicha, sauveur de mémoire et gardien du patrimoine musical, a donné un nouvel élan aux chants, à la poésie, aux rythmes de la chanson amazighe. Incontestablement, son rôle était majeur et fondamental en matière du rayonnement de l’identité et de la culture amazighe. D’ailleurs, sa voix qui raisonnait encore et toujours dans les esprits nous rappelle le vécu, la souffrance et les joies des gens modestes. C’est une voix venue des tréfonds de la terre et des cimes des montages. Grandeur et respect !  

«La contribution de Feu Mohamed Rouicha pour la sauvegarde du patrimoine poético-artistique amazighe est majeure. Sa chanson, qui a bercé plusieurs générations d’amazighophones, a constitué une référence « sentimentale et socioculturelle » et une création qui a permis de maintenir le lien avec une culture, une langue millénaire et un patrimoine civilisationnel authentiques», écrivait le chercheur Moha Moukhlis. Et d’ajouter : «elle fut un rempart contre l’aliénation et la perte de la langue et des valeurs identitaires que cette dernière véhicule. Valeurs dont se réclament aujourd’hui divers organisations et structures internationales. Preuve concrète de l’enracinement et de l’universalité de l’amazighité conçue comme berceau et alternative au devenir existentiel de l’humanité. Et l’histoire amazighe témoigne. Une histoire faite de brassages et d’apports dont l’amazighité est resté le socle, la strate de base ».

Poète, chanteur et musicien, Rouicha, ce spirituel et éternel amoureux de la poésie berbère a rendu à l’instrument de l’Ouatar ses lettres de noblesse. Entre tradition et modernité, le fils prodige de Khénifra a exporté la chanson amazighe au-delà des frontières. En effet, c’est en 1964 que le défunt avait sorti son premier album enregistré avec le soutien de la RTV marocaine. Ce fut un événement important à l’époque! 

Pour Moha Moukhlis, le parcours du chanteur est atypique : une enfance houleuse et agitée à Khénifra, une ténacité et une volonté qui furent à l’épreuve des contingences historiques. Rouicha a résisté, dit-il, à sa manière, pour perpétuer un patrimoine unique stigmatisé, avant d’accéder à la reconnaissance nationale et internationale. Il évolua au sein des Zayans (Iziyyan), une tribu amazighe qui tient tête à la colonisation durant des années. Il en fut fier, a-t-il ajouté.

Selon lui toujours, la chanson de Rouicha est biblique : elle prône un amour absolu, l’amour de la vie, le respect de l’autre, une vision du monde puisée dans un patrimoine poétique amazighe gouverné par les valeurs de tolérance, de pardon et surtout du respect de l’autre et de la démocratie. « Rouicha a chanté par destin, pour assouvir sa vocation d’artiste illuminé », a-t-il fait savoir.

Il était parfaitement bilingue. Il a su, par le biais de sa voix et ses paroles écrites à la fois en amazigh et arabe, à séduire un public assez large ; arabophone et amazighophone. A vrai dire, la langue n’était pas une entrave quand, surtout, cette musique transcendante et originale traverse les oreilles, les âmes et les esprits. Un air universel guidait ses rythmes…

Feu Rouicha, explique Moha Moukhlis, est adulé, aussi bien par les amazighophones que par les arabophones. « Ils s’y retrouvent et s’identifient à son cri, son chant. Il incarne un art tolérant et ouvert, imbriqué sur le réel marocain. Bien qu’il n’ait pas pu bénéficier de l’intérêt qu’il mérite de la part des départements concernés, il a résisté et persisté, non par choix mais par destin et fatalité ».

Rouicha a chanté pour l’amour, la paix, l’amitié, le vivre ensemble, la terre, l’identité, la partie, la mère … Ses titres en témoignent à plus d’un titre dont « Yak Nourzekh Ayma », «Ch7al men lila o lila », « Amarq », « Harqat Mensafer », « Ya liyam », « Samhi ayema », «Ya lh’biba», « Inas Inas », «Tdit Awa Tdit »… 

«Rouicha a constitué un pont artistique qui a largement contribué à la sauvegarde de notre culture et de notre mémoire collective amazighe. Par la chanson. Il est fasciné par le paysage et les hommes : il n’a jamais rien demandé.  Bien avant que le tissu associatif amazigh se constitue et s’organise. Au même titre que d’autres groupes amazighes du Nord et du Sud, mais aussi de Kabylie ; il a servi de relais. Et ses chansons en témoignent : il aborda des thématiques universelles telles : la vision cosmogonique que les Amazighes ont du monde (Bdigh issk a sidi a Rbbi jud ghifi), la valeur de l’amour en tant que moteur social, le vécu sentimental et relationnel (Awa ma s igan ca i usmun)…», rappelle Moukhlis.

Entre joie, tristesse et tendresse, le poète et chanteur a eu ce don de choisir minutieusement ses mots et ses paroles brodées avec une musique rythmée et bien recherchée. Il a en outre accompli sa mission de passeur de valeurs par le truchement de la musique et de la poésie sincère et profonde.

«Rouicha a assumé son rôle historique, dans le domaine qui est le sien. En nous quittant de manière brutale, il nous laisse quelque part orphelins. Mais la relève est assurée par ceux qui ont emprunté sa voie et ils sont nombreux. Je m’incline devant sa mémoire.», a témoigné Moha Moukhlis.

L’étoile de Rouicha s’est éteinte certes le 17 janvier 2012 à Khénifra, sa ville natale, mais  il a laissé derrière lui, une œuvre musicale importante ayant fait le tour du monde. Les grands ne meurent jamais. 

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