Entre le prévisible et l’inattendu

Autrement dit

par Mustapha Labraimi

A défaut de pouvoir affronter les contraintes du présent, sans aucune capacité d’action pour élargir les horizons vers l’avenir, une nostalgie maladive est en train de se répandre. Pour certains, il ne reste qu’à puiser dans le passé afin de maintenir une flamme intérieure qui s’éteint chaque jour davantage, sous des cendres amères et grisonnantes. Tel semble être le positionnement d’une catégorie de la population qui magnifie le passé pour éviter d’assumer ses responsabilités présentes.

Cette partie de la population, qui est devenue nostalgique de son passé, a vomi ses rêves pour vivre dans une « acceptation de l’inacceptable ». Elle croyait que le changement se réalisera tel qu’il a été rêvé, un lendemain meilleur pour tous réalisé dès son annonce. Mais déçue par les ratages de la réforme, devant l’aspect méandriforme du processus démocratique, le constat des retards apportés à la réalisation des mots d’ordre et des promesses inscrits dans les programmes et les discours partisans ou officiels ; elle s’est recroquevillée sur elle-même d’autant plus que personne ne voulait lui consacrer du temps pour expliquer la réalité vécue, le pourquoi des choses et le comment des comportements ! Ne voulant pas se rendre à l’adversaire, elle a fini par perdre sa motivation et son enthousiasme. « Dans son vinaigre », elle s’est aigrie et dans sa résistance elle s’est abstenue de toute participation au « jeu démocratique » tel qu’il est issu du rapport des forces. Elle reste attachée à « son exigence démocratique » ; mais toujours dans la critique et la contestation. Faute de débat public qui pourrait emporter la conviction, et devant l’apathie des masses populaires à leurs discussions sans fins sur les concepts, les relations dialectiques, la dérive des acteurs politiques, cette partie de la population se demande si l’origine du mal ne se situe pas au niveau du peuple lui-même. Cette pente raide vers l’abîme totalitaire aboutit à une haine destructrice, à une hostilité du présent et à un mépris de l’engagement et de l’action politiques.   

Il est temps de rappeler que le parcours de cette partie de la population ne s’est pas fait sans sacrifices, sans embûches et sans encombre. Elle a pu vaincre des difficultés certaines pour accéder au savoir, à la dignité du travail et à la félicité de la famille, aussi nucléaire soit-elle. Elle s’est faite par elle-même, à la sueur du front et par la force du poignet. Son chemin, aussi personnel qu’il soit, s’est croisé avec d’autres pour converger ensemble dans la lutte pour un Maroc meilleur. Le contexte ne s’y prêtait pas toujours à part le besoin de la société en cadres dans tous les secteurs et en main d’œuvre qualifiée. L’action politique était soumise à la « politique du davier » et le militantisme fleurissait dans l’ombre, nourri par l’abnégation, le dévouement et l’enthousiasme. La sortie relative de cet état, qui allait conduire la nation « à la crise cardiaque », n’a pas répondue comme il se doit à toutes les expectatives.

Que répondre à cette partie de la population ; sinon que c’est  dans cet équilibre décrit entre « … l’examen des évolutions, des accumulations, des tendances politiques, des potentialités, voire des avancées et des ruptures qui se seraient affirmées à différents niveaux au cours des vingt-cinq dernières années et qui vont dans le sens de la transformation (…) et dépister les involutions, les vaines agitations, les faux mouvements, les rendez-vous égarés, les blocages, voire les régressions, en somme, l’ensemble des phénomènes allant dans le sens de la conservation du système en l’état. » que se trouve le dépassement de  la « misère de la politique » qui ne cesse malheureusement de se répandre. Dans un contexte de crises multiformes le renforcement du caractère fonctionnel des organisations politiques répond au défi de la valeur de leur représentativité et de leur capacité, tout en développant un projet de société qui leur est spécifique, à animer l’ajustement du rapport de forces entre les nantis et les défavorisés, entre les notabilités de l’élégerocratie et les enfants du peuple, entre un statuquo inhibiteur et une transformation émancipatrice. A cela la participation de « cette partie de la population » est nécessaire sans qu’elle soit suffisante.

L’établissement des conditions qui peuvent satisfaire la formation d’une opinion publique capable de faire aboutir une décision politique passe par la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement où les droits constitutionnels reconnus des personnes et des collectivités sont mis en œuvre. Entre le prévisible et l’inattendu, l’effort national doit intéresser l’ensemble des forces productives nationales pour effacer l’endettement accumulé, relancer et assurer la croissance, garantir le développement et partager le bienêtre. Si dans la fable « rien ne sert de courir, il faut partir à point », dans notre réalité, personne ne devra se mettre dans le rôle de la cigale et affaiblir le travail des fourmis.     

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