Le parallèle entre la littérature et les arts

Par Mohammed Serraji

D’emblée il est nécessaire de rappeler que la relation entre peinture et littérature est historiquement et théoriquement fondée sur un parallèle, qui de l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle demeure celui du « ut pictura poesis », formulé par Horace dans son Ars poetica. Dès lors la peinture a été mise en situation de conformité ou d’équivalence avec la littérature, mais aussi de concurrence hiérarchique, puisque le plus souvent la peinture « ne vaut considération que parce qu’elle est similaire à la poésie » Rensselaer W. Lee, « Ut pictura poesis : the humanistic theory of painting », in Art Bulletin, XXII, 1940, p. 197.

On a souvent tenter de définir les relations qui existent entre la littérature et les arts plastiques, cela pose question sur des problèmes fondamentaux et sérieux du XX e siècle tant sur le plan scientifique et épistémologique que celui de la philosophie du langage ;de la linguistique et des théories de l’information. Les réflexions faites au cours des siècles passés pour déterminer les relations pouvant exister entre les deux moyens d’expression, plastiques et verbaux, ont été le plus souvent éthérés et inefficaces, parce que la problématique exploitée était agencée sur la notion de contenu et comparaient la littérature et les arts plastiques en fonction de leurs relations avec un terme hypothétique qui était une vision pseudo-objective de la réalité naturelle.

Ce processus interdisait de découvrir les fondements de ces deux arts spécifiques et achoppaient continuellement à l’hétérogénéité apparente de leurs symbolismes et moyens d’expression respectifs. Mais, dès la fin du XIXe siècle, la révolution fondamentale qui s’est opérée dans le domaine des arts, parallèlement à celui des sciences et des idéologies, a complètement transformé les données du problème. Le développement des sciences physiques et humaines a en effet, ébranlé l’art et la littérature «réalistes», à buts mimétiques, de toute prétention à pouvoir rendre compte de la nature des objets naturels et à pouvoir contribuer efficacement à la connaissance objective des sociétés, des mœurs individuelles, des comportements de groupe, aussi bien que des structures et trajets de la réalité matérielle elle-même.

Le type d’information que pouvaient encore véhiculer les arts ne pouvait plus appartenir au domaine des informations objectives sur un monde humain ou matériel déjà beaucoup mieux décrit et analysé par les sciences. Le matériau de l’art est devenu la fonction symbolique elle-même qui par ses motivations, ses mécanismes et ses buts, se réfère à une réalité proprement esthétique, subordonnant des structures dynamiques de la sublimation.

Dans les perspectives extrêmement vastes que cette révolution a ouvertes, on va tenter de pointer quelques points de repère qui forment, pour la littérature et les arts plastiques, des points de convergence absolument fondamentaux, des problématiques communes aux deux moyens d’expression et qui ont conditionné parallèlement leurs développements. Nous les grouperons sous quatre chefs fondamentaux:

-Le procès qui a été fait à «l’objet naturel»

-Découverte de la notion d’éléments (phonétiques/verbaux et picturaux)

-L’affirmation de la polysémie des signes

-L’élaboration d’une sémiologie des arts plastiques.

Le mouvement le plus radical de l’art contemporain, qui constitue une brèche nette avec toutes les conceptions de l’art qui furent utilisées depuis la plus haute Antiquité, fut le procès fait à «l’objet» naturel, figuratif, pseudo-réaliste qui soustendait toute l’esthétique de la mimésis. On soulignait récemment, à quel point l’analyse relativement pertinente de Gombrich dans Art et illusion, sur l’art classique, ne pouvait trouver d’emploi face à l’art abstrait produit au XXe siècle, qui a complètement rejeté les concepts de «représentation» de la réalité naturelle cité par Suzi Gablik, dans «On the logic of artistic discovery: art as mimetic conjecture», in Studio International, septembre 1973.

Ce procès a été amorcé en littérature, par le symbolisme et Mallarmé, en peinture par l’Impressionnisme, et il a voulu substituer à l’esthétique de la représentation, une définition plus structurale, plus expressive et plus formelle de l’objet poétique ou pictural. La théorie de la mimésis était liée, en effet, à une certaine conception de l’objet dit naturel, défini par la tridimensionnalité et la configuration perspectiviste, à partir d’une conception de l’espace euclidienne (soit celle d’un vide rempli d’objets isolés et indépendants les uns des autres) et d’une conception substantialiste de l’objet, (lequel n’entretenait avec ce qui l’entoure, que des relations superficielles et périphériques) le tout soumis à la notion aristotélicienne de la loi de l’identité apparu dans la Littérature et le non-verbal, éditions d’Orphée, Montréal, 195 , par Fernande Saint-Martin.

L’Impressionnisme posa, au contraire, que l’objet naturel était non pas une matière solide, isolable et permanente, mais le «situs» d’une réfraction lumineuse en perpétuel changement. Ce constat eut comme première conséquence que les divers objets qui constituent l’ensemble du tableau, ont acquis une uniformité et une similarité de traitement, qui éliminaient entièrement la hiérarchie constituée dans l’art traditionnel par la prédominance d’un «sujet» de l’œuvre, et par la façon privilégiée de peindre certains de ces objets plutôt que d’autres. En particulier, le postulat impressionniste détruisait la dualité existant entre les personnages d’un tableau et leur décor ambiant. Parallèlement aux développements de la science, l’Impressionnisme affirmait une intuition de l’espace comme un plénum, où les nœuds et structures d’organisation ne dépendaient plus, pour leur traitement, de la vision macroscopique des objets naturels définis par la logique des substances.

Sur le plan philosophique, Bergson devait d’ailleurs formuler la critique de ces catégories classiques et l’inadéquation des langages qui se calquaient sur elles.

Au Maroc durant le confinement de 2020, l’Association Université d’été d’Agadir a initié  une rencontre virtuelle, une expérience dans le dessein  est d’assouplir les tensions causées par la solitude imposée à l’activité artistique et culturelle. Cette dernière a proposé une symbiose entre poète et artiste plasticien ; texte et illustration.

Cette expérience a suscité un travail de fond en comble pour traduire l’expression du poète en illustration car la réalité n’était pas celle de l’extérieure mais celle du texte. Celle-ci ne se limite pas à la narration et aux images fournies par le texte mais aussi aux sensations véhiculées par ce dernier. Pour le plasticien, il considère que les couleurs et les formes pouvaient communiquer des vérités spirituelles, cachées derrière les apparences quotidiennes et qui sont difficiles à décrire par les mots.

Le rapport de l’image au réel. Dès ses origines, la peinture a cherché à reproduire de façon relativement fidèle ce que la vue pouvait saisir. Du XV au XVII siècles, cette approche s’est graduellement imposée au point de devenir une véritable discipline. Mais avec le temps, les plasticiens ont commencé à prendre leurs distances par rapport à la réalité, tant sur le plan de la couleur que de la ligne (impressionnisme, fauvisme, cubisme, etc.), puis éventuellement en laissant tomber toute velléité de représentation. Tout au long de cette évolution, les peintres n’ont pas cessé d’approfondir leur rapport à la réalité.

Poésie de Mohamed El Ouakaini et illustration  de Mohammed Serraji, Avril 2020.

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