Abdelkader El Badaoui, un ténor du théâtre national, est décédé

Mohamed Nait Youssef

Une autre pyramide du théâtre national s’en allée. Le dramaturge et comédien, Abdelkader El Badaoui a tiré sa révérence, vendredi 28 janvier, à l’âge de 87 ans à l’hôpital militaire de Rabat.

Le défunt est le fondateur de la célèbre troupe éponyme «Badaoui» qui a apporté une touche nouvelle au théâtre marocain. Ce natif de Tanger en 1934 a toujours eu un style propre à lui et une vision unique de l’art. Aujourd’hui, son expérience théâtrale figure parmi les courants voire les écoles qui ont marqué les planches marocaines. Sa carrière est longue, riche et particulière. Car, El Badaoui a fait des choix artistiques et esthétiques… et les a assumés. Il est aussi l’un des noms qui ont jeté les premiers jalons et  piliers du théâtre marocain. Il compte à son actif plus de 50 ans de carrière dédiés à la scène.

«Le dernier des Mohicans vient de quitter la scène, une scène théâtrale vidée presque de sa substance malgré les hurlements … dans le vent. Abdelkader El Badaoui a toute sa vie hurlé contre des moulins à vent puis s’est éteint en silence. Il a toujours défendu le théâtre – et son bifteck- avec la rage de l’homme passionné, féru de théâtre, « ana ou khouya Abderrzak » puis avec sa femme ses enfants, une famille entière pour défendre le théâtre. Oulidat azzanqa dans Dar al karam.

C’est Jarimat al ouafae Fi intidar al qitar. Helas Al hariboune sont restés Al aatiloune parce que en face il y a Al bakhil malgré les cris de Houmane Dnadni», écrit le critique de théâtre et écrivain Ahmed Massaia sur le départ de Abdelkader El Badaoui. Et d’ajouter : « Pourtant! Pour ceux qui ont la mémoire courte ou ceux qui l’ont totalement perdue, la troupe des frères Al Badaoui avait durant toute une époque agrémenté nos soirées télévisuelles. Le public marocain attendant religieusement les soirées théâtrales qui offraient chaque semaine les spectacles de la troupe des frères Al Badaoui.

Omniprésente aussi dans les universités ou des milliers d’étudiants suivaient avec intérêt le théâtre Al Badaoui. 5 dhs le ticket, prix étudiants, et tout le monde passait à la caisse. Adieu grand homme!»

Par ailleurs, le théâtre Badaoui a été une véritable pépinière des comédiens et une école où se sont formés de nombreux étudiants et artistes. Il a pu s’imposer sur scène et faire connaitre son  travail au grand public dans un contexte où la scène théâtrale nationale connaissait une mouvance, une quête d’identité , mais était aussi confrontée à d’énormes défis.

Badaoui a œuvré pour un théâtre indépendant et de bonne qualité ouvert sur la culture marocaine. Dans ses débuts, le comédien a fait des planches sa propre tribune pour lutter pour la libération du pays. Il a monté ainsi des pièces telles que «La voix de la conscience» et «Les jeunes travailleurs» qui revendiquaient les droits des jeunes et de la population.

Le regretté a accompagné les mutations du pays et ses changements par le biais de ses textes et ses pièces de théâtre jouées dans les quatre  coins du pays et même ailleurs. En outre, il a toujours cru aux rôles majeurs des jeunes dans le changement. C’est pour cette raison qu’il s’est engagé à assurer la relève de demain. Pour ce faire, en 1972, il a décidé de s’aventurer dans le théâtre estudiantin. Une expérience théâtrale très riche qui a permis de former des jeunes talentueux qui ont eu le privilège de s’épanouir et de s’ouvrir sur d’autres cultures, arts et civilisations en jouant des pièces de renommée internationale. La même période a vu naître le «Festival du théâtre d’Ifrane».

Un  événement théâtral qui s’est ouvert sur la ville, sa population ainsi que les enfants et les jeunes des colonies de vacances qui viennent des quatre coins du pays. La troupe «Badaoui», qui avait créé une dynamique artistique incroyable, leur a offert l’opportunité de savourer et aimer  le père des arts.

Dans les années 70, la troupe avait continué sur sa lancée, avec sa ligne éditoriale tracée et son engagement dans les questions du peuple et de la Nation en participant à la Marche Verte en 1975. Dans la foulée, trois tournées s’en suivirent dans les provinces du Sud du Royaume. Badaoui avait accompagné cette période importante de l’histoire du pays avec des pièces de théâtre qui avaient sillonné les villes marocaines.

Dans les années 80, il milita pour que son art et son théâtre restent toujours sur le devant de la scène. Et malgré les changements que connait le théâtre marocain, El Badaoui a initié ses enfants Karima et Mohcine à embrasser le père des arts et à prendre le relai. la scène théâtrale marocaine est en deuil après la mort de l’un de ses ténors.

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