La Shâdhiliyya, une école spirituelle et initiatique au rayonnement diffus

Les confréries entre ordre religieux et mysticisme

La Shâdhiliyya reste à ce jour, dans ses différentes ramifications, l’une des grandes voies initiatiques du soufisme (tasawwuf). Ayant pris sa source au Maroc, elle s’est profondément enracinée en Egypte au XIIIe siècle avant de se répandre dans une grande partie du monde musulman. Après avoir été cherché le Pôle spirituel de son temps en Orient (Irak), Abû l-Hasan Shâdhilî (m. 1258) le trouve près de chez lui, dans le Maroc, en la personne de ‘Abd al-Salâm Ibn Mashîsh (m. 1228). Cet ermite, dont le sanctuaire au sommet d’une montagne est toujours un lieu de pèlerinage.

Elle est assurément la voie la plus homogène, celle où l’esprit de corps est le plus sensible. Pour diverses raisons, les disciples confirmés peuvent changer de maître, mais ils restent dans la sphère de la Shâdhiliyya  ; ses membres se réfèrent volontiers aux œuvres des maîtres Shâdhilî du passé. Elle ne se distingue pas par des signes extérieurs, comme le font les ordres à dominante populaire, mais par des options spirituelles particulières. À « l’ampleur de la science et des inspirations » qu’al-Kumušḫānawī attribue à al- Shâdhilî correspondent certains principes de sa voie, parmi lesquels l’imitation de la Sunna, l’agrément du destin (al-riḍā) en toute situation, la remise de la gouverne individuelle à Dieu (al-tafwīḍ) et l’action de grâces (al-šukr). 

La Shâdhiliyya revient à sa source, le Maroc, par l’intermédiaire de l’Andalou Ibn ‘Abbâd (m. 1390). Grâce à lui, les écrits des maîtres shâdhilis égyptiens comme Ibn ‘Atâ’ Allâh se diffusent au Maghreb. Lui-même a exercé la fonction d’imam et de prédicateur dans la fameuse mosquée université Qarawiyyîn de Fès. Théoricien et commentateur de la doctrine shâdhilî, il préconise une éducation spirituelle exigeante et s’adresse à des disciples en nombre nécessairement restreint. Au XVe siècle, Jazûlî, sharîf marocain, est à l’origine d’un mouvement de dévotion au Prophète qui vise à répandre la grâce muhammadienne sur le plus grand nombre de personnes. On lui doit un recueil de prières sur le Prophète, très célèbre dans le monde musulman, le Guide des œuvres de bien (Dalâ’il al-khayrât). Par la dimension cosmique qu’il accorde au Prophète, il reflète la doctrine de « l’Homme universel » (al-insân al-kâmil). Ahmad Zarrûq (m. 1494), originaire de Fès, est une autre grande figure de la tarîqa Shâdhiliyya, dont il accentue l’exigence d’intériorité et de sobriété. Surnommé « le censeur des soufis », il se situe au point de jonction entre le droit et la mystique. Après de nombreux séjours en Egypte, il enracine au Maroc l’arbre initiatique de la Shâdhiliyya.

La plupart des soufis maghrébins qui s’y installent, de rite malékite généralement, sont déjà ou deviennent Shâdhili ; citons, pour nous limiter aux maîtres, Muḥammad et ʿAlī Wafā, cheikh Madyan, Abū al-Mawāhib Ibn Zaġdān, Aḥmad al-Zarrūq, etc. Les sanctuaires cairotes des cheikhs défunts de la voie peuvent abriter les nouveaux arrivants, leur servant de point d’ancrage spirituel dans la grande métropole. La voie possède d’ailleurs son propre cimetière dans la Qarāfa.

Lutte contre l’intégrisme

À partir du XVIIIe siècle, la Shâdhiliyya et, au-delà, le soufisme sont rénovés par quelques maîtres majeurs. Pour eux, la réforme est avant tout intérieure. Elle vise à recentrer les aspirants sur les principes essentiels de la Voie, en dépouillant leur pratique de ses scories. Le cheikh marocain ‘Arabî Darqâwî (m. 1823), par exemple, met l’accent sur le travail spirituel et non sur la théorie du soufisme. De tempérament extatique, il prône la voie du détachement, et ses disciples, les Darqâwa, mènent souvent une vie errante, portant un bâton à la main et un gros chapelet autour du cou. Nombreux au Maroc et dans l’ouest algérien, ils ont résisté à la présence française jusqu’au début du XXe siècle. Mais au-delà, Darqâwî a donné une nouvelle impulsion à la Shâdhiliyya, et les différentes branches qui en sont issues (Darqâwiyya, Madaniyya, Yashrûtiyya, ‘Alâwiyya…), très vivantes aujourd’hui encore, ont essaimé jusqu’en Indonésie.

La Shâdhiliyya nous concerne donc à divers titres, car elle n’est pas une confrérie exotique. Elle conserve son actualité spirituelle, et elle contribue ici ou là à la lutte contre le wahhabisme ou d’autres formes d’intégrisme de l’islam. Elle possède une certaine universalité, par son extension spatiale (Balkans, Afrique saharienne, océan Indien, Asie du sud-est, Chine …et aujourd’hui l’Europe et les États-Unis), mais aussi par les modalités diverses qu’elle a assumées : plutôt que d’un “ordre”, il faut parler d’une école spirituelle et initiatique au rayonnement diffus.

À partir du XVIIIe siècle, la Shâdhiliyya et, au-delà, le soufisme sont rénovés par quelques maîtres majeurs. Pour eux, la réforme est avant tout intérieure. Elle vise à recentrer les aspirants sur les principes essentiels de la Voie, en dépouillant leur pratique de ses scories. Le cheikh marocain ‘Arabî Darqâwî (m. 1823), par exemple, met l’accent sur le travail spirituel et non sur la théorie du soufisme. De tempérament extatique, il prône la voie du détachement, et ses disciples, les Darqâwa, mènent souvent une vie errante, portant un bâton à la main et un gros chapelet autour du cou. Cheikh  Darqâwî a donné une nouvelle impulsion à la Shâdhiliyya, et les différentes branches qui en sont issues (Darqâwiyya, Madaniyya, Yashrûtiyya, ‘Alâwiyya…), très vivantes aujourd’hui encore, ont essaimé jusqu’en Indonésie.

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