Chassé-croisé diplomatique dans le Pacifique-Sud

Nabil Bousaadi

Le Pacifique Sud est au centre d’une grande guerre d’influence et c’est le moins que l’on puisse dire quand on sait que quelques jours à peine après la tournée effectuée par le président Joe Biden chez ses alliés sud-coréen et japonais, c’est le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, qui a pris son bâton de pèlerin pour un périple de dix jours dans huit Etats insulaires de la région avec pour objectif d’étendre la coopération de la Chine avec ces derniers en matière de sécurité et de libre-échange notamment.

Mais si une telle initiative illustre parfaitement la volonté de l’Empire du milieu d’ouvrir un nouveau front dans sa quête de puissance, l’offensive diplomatique menée par la Chine à l’effet de se voir attribuer un rôle-clé dans la sécurité du Pacifique, inquiète fortement l’Australie et les Etats-Unis et ce d’autant plus qu’après avoir signé, le mois dernier, un accord de sécurité avec les îles Salomon, Pékin a signé une entente similaire avec les îles Samoa.

Aussi, dans un communiqué diffusé par son ambassade à Camberra, la Chine a affirmé qu’elle « ne cherche (ni) à obtenir des droits exclusifs » dans la région, ni à y être en compétition » avec personne car elle « respecte les liens historiques et traditionnels de l’Australie dans la région et (qu’) il y a assez de place dans le vaste océan Pacifique pour la Chine, l’Australie et toutes les îles pour partager la paix, le développement et la prospérité ».

Mais même si, à l’issue de ce périple qui s’est achevé, par une visite jeudi et vendredi en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le ministre chinois des Affaires étrangères n’a pas réussi à obtenir l’accord sur la sécurité régionale qui aurait conféré à Pékin un rôle plus important dans des domaines aussi sensibles que le maintien de l’ordre et la cyber-sécurité, il est, néanmoins, parvenu à convenir, mardi, avec les autorités des îles Tonga, de leur accorder son assistance dans la construction de stades de sport et la mise en œuvre de projets d’énergie éolienne et à conclure une série d’engagements portant sur l’agriculture, la pêche, la santé ainsi que la prévention et l’atténuation des catastrophes après avoir signé, la veille, au Vanuatu, des arrangements portant sur le renforcement des liens économiques et s’être mis d’accord sur l’envoi d’équipes médicales chinoises dans cet archipel situé au nord-est de la Nouvelle-Calédonie.

La « tournée chinoise » n’ayant point été du goût des Etats insulaires du Pacifique, ceux-ci n’ont pas mâché leurs mots lorsqu’il s’est agi de critiquer le fait que la Chine a tenté de s’imposer sans même les consulter ; ce qui a fait dire à Fiame Naomi Mata’afa, la première ministre des Iles Samoa, qu’ « il ne peut pas y avoir d’accord régional quand la région ne s’est même pas réunie pour en discuter ».

Frank Bainimarama, son homologue des Iles Fidji, ira encore plus loin lorsqu’il fustigera, en présence du chef de la diplomatie chinoise, ceux qui cherchent à « accumuler des points géopolitiques » du moment que « cela ne rime pratiquement à rien pour ceux dont les communautés sont en train d’être englouties par la mer qui monte».

Ne pouvant pas rester insensible au chassé-croisé diplomatique effectué par Washington et Pékin dans le Pacifique-Sud, Penny Wong, la nouvelle ministre australienne des Affaires étrangères, en poste depuis neuf jours et qui s’était déjà rendue au Japon pour une réunion du QUAD – alliance regroupant les Etats-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie que l’influence grandissante de la Chine dans le Pacifique Sud inquiète fortement – est arrivée mercredi dans la région pour une visite à Samoa et au îles Tonga afin de «renouveler et renforcer les liens profonds d’amitié de l’Australie» fortement entravés par les atermoiements du précédent gouvernement conservateur relatifs au changement climatique alors même que l’élévation du niveau de la mer constitue une menace de premier plan pour de nombreuses nations insulaires du Pacifique et de ne plus «manquer de respect» aux nations du Pacifique ou «ignorer» leurs appels à agir sur le changement climatique.

Enfin, comme l’affirme Euan Graham, spécialiste de la sécurité en Asie-Pacifique à l’Institut International d’Etudes Stratégiques, le voyage du chef de la diplomatie chinoise marque une «nouvelle étape» pour les ambitions chinoises dans la région car si cette dernière cherchait à étendre son influence «à petits pas», le masque a fini par tomber et cette dernière a commencé à intensifier ses efforts.

Au vu de ce chassé-croisé diplomatique, le Pacifique Sud serait, désormais, l’objet de toutes les convoitises ; alors, attendons pour voir…

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