Interview  du dermatologue Abdellah Mortaki

Propos recueillis par Mahmoud Nafaa, journaliste stagiaire

A l’heure du réchauffement climatique, de nouvelles menaces pour notre santé apparaissent, et notamment pour la santé de notre peau. Cette augmentation soutenue de la chaleur au niveau planétaire, accentuant la lumière du soleil quand on s’y expose, peut provoquer des dégâts considérables sur notre peau, voire dans les pires cas des cancers de peau, dont certains sont heureusement curables s’ils sont identifiés à temps. C’est dans le but de confronter et de prévenir ces menaces sur notre santé, que nous posons plusieurs questions au dermatologue, le Dr. Abdellah Mortaki, pour nous informer sur les mesures préventives à adopter.

• Al Bayane : Le changement climatique peut-il aggraver les maladies de la peau et les troubles cutanés ?

Abdellah Mortaki : Bien sûr, avec le réchauffement climatique, il y a une hausse des températures et il y a le risque néfaste sur la peau, notamment le développement des cancers de peau, et surtout le mélanome, le carcinome épidermoïde et le carcinome basocellulaire. Ce sont des cancers qui peuvent se développer lorsqu’on s’expose trop au soleil. De ce fait, le réchauffement climatique pourrait avoir des conséquences néfastes sur notre santé et surtout sur notre peau, parce que quand la température augmente, la brillance du soleil augmente, l’été s’allonge, et en conséquence on s’expose plus au soleil et on reçoit plus de rayonnements ultraviolets. Donc il faut savoir que notre peau a une mémoire. C’est-à-dire que si cette année-ci la peau a reçu 20 joules, l’année prochaine 20 joules, donc dans deux ans elle aura reçu 40 joules. Et quand on atteint un certain nombre de joules, il y a apparition des signes cutanés de la peau, y compris les cancers cutanés précoces, qu’on voit de plus en plus chez les jeunes, le vieillissement cutané, le problème des tâches pigmentaires, que ce soient le mélasma ou d’autres. Ce sont des maladies que l’on peut lier à ce phénomène de réchauffement climatique.

• Quels sont les cas récurrents des maladies de la peau que vous diagnostiquez dans votre cabinet ?

Les maladies récurrentes observées pendant l’été sont toutes les maladies cutanées chroniques, notamment le psoriasis. Quant à cette année, nous avons identifié le vitiligo et les maladies auto-immunes, et avons constaté l’apparition également de beaucoup de cas de zona et de varicelle. A l’heure qu’il est, nous conduisons beaucoup de recherches pour savoir pourquoi on a eu davantage de cas de ce type, de ces lésions virales précises citées au-dessus.

Pour ce qui est du réchauffement climatique, évidemment, il y a des conseils à donner, il faut se protéger contre le soleil, et ce de différentes manières : – que ce soit en évitant de trop s’exposer au soleil ; – soit en utilisant l’écran, mais un écran remplissant un indice de très haute protection 50+ (IP : Indice de Protection, ou FPS : Facteur de Protection Solaire – généralement indiqué sur le produit) ou qui est compatible avec la peau de la personne qui l’utilise . Cet écran d’ailleurs doit être utilisé chaque deux heures même si on est à l’intérieur de la maison. Sans oublier bien sûr la protection vestimentaire et équipementière. Si on est à la plage, on doit recourir au parasol, utiliser le chapeau ou la casquette, mettre un t-shirt de couleur blanche pour éviter la dose des rayonnements ultraviolets.

Ainsi, comme j’ai dit au début, notre peau a une mémoire. Au fur et à mesure et au fil du passage des années, on s’expose davantage aux lumières du soleil. On atteint une dose cumulative. Après une certaine dose, on peut avoir des problèmes de peau. Et le problème majeur qu’on voit souvent chez les sujets qui consultent, c’est bien évidemment le cancer de peau. Le mélanome qu’on voit de plus en plus, c’est un cancer de peau qui dépend des mélanocytes (cellules de l’épiderme), et c’est un cancer qui est mortel, s’il n’est pas identifié à temps et s’il n’est pas traité correctement.

• On observe une hausse de la température depuis un certain temps. Quel est l’impact de cette chaleur sur la peau humaine et comment se protéger ?

Bien sûr, une forte exposition au soleil provoque une sécheresse de la peau. Il y a le risque de la déshydratation. Donc il ne faut pas oublier de boire beaucoup d’eau et de ne pas trop s’exposer directement au soleil. Parce que nous sommes face à ce problème récurrent d’une température qui ne cesse de s’élever , comme on l’a vu cette année, que ce soit ici au Maroc ou à l’étranger, et surtout en Europe, puisqu’on a assisté dans ce continent à des températures qui ont dépassé les 40° quand même ! C’est tout de même quelque chose qu’on voit rarement en Europe. Bien sûr, c’est un problème qui sera récurrent, donc il faut être très attentif à sa peau pour ne pas avoir de problèmes, et surtout prévenir les cancers de la peau.   

Par ailleurs, il y a des régions au Maroc qui arrivent à 50° ou 52° hein ? Dans ce cas là, la peau humaine souffre beaucoup. Il faut boire beaucoup d’eau, il faut éviter de s’exposer au soleil, surtout entre 10h et 14h, et il faut absolument mettre un écran solaire dont l’indice de protection dépasse les 50+, et de préférence un écran qui va avec votre peau, parce que si on a une peau grasse, il ne faut pas mettre un écran crémeux. Il faut mettre plutôt un écran fluide, si on a une peau sèche. On ne va pas se permettre d’utiliser un écran qui va encore sécher notre peau. Il faut dans ce cas mettre un écran en forme de crème ou une crème dédiée spécifiquement à la peau sèche. Et la quantité d’écran qu’on va mettre, on ne va pas la doser. Donc, on remplit l’extrémité du doigt jusqu’au premier pli de la première phalange et on l’étale par la suite sur tout le visage. Et il faut le changer chaque deux heures. On est pas obligé de laver le visage pour remettre l’écran, on peut mettre l’écran chaque deux heures sur le visage sans être obligé à chaque fois d’aller rentrer à la maison pour se laver et mettre une deuxième couche. Donc on peut mettre une deuxième couche sur la première chaque deux heures. Il ne faut pas oublier que les rayons, ça existe même à la maison, parce qu’il y a des gens qui se trompent, qui disent moi je suis à la maison, je ne sors pas, je ne risque rien, c’est faux de penser comme ça ! A la maison, il y a aussi des ultraviolets, donc il faut faire très attention et mettre l’écran solaire.

• Comment pouvons-nous identifier et, si possible, prévenir les dangers de maladies de la peau ?

En ce qui concerne le mélanome, ce dernier consiste en une transformation des grains de beauté. Tant qu’on s’expose trop au soleil avec le réchauffement climatique comme j’ai dit, donc on a la durée de l’été qui devient plus longue, la durée de la journée devient plus longue, ce qui favorise une grande exposition aux ultraviolets. Pour le mélanome, c’est un changement des grains de beauté. Si le patient remarque un changement des grains de beauté, il doit absolument voir son dermatologue, parce que le mélanome est le seul cancer de la peau guérissable à 100%, sans chimiothérapie ni radiothérapie, s’il est identifié à temps. La question qui se pose maintenant, c’est comment on peut détecter ce changement des grains de beauté ? Pour nous en tant que spécialistes, il y a la règle : ABCDE. A, c’est l’aspect que connaît le dermatologue. B, c’est les bords, quand on a un grain de beauté dont les bords sont irréguliers, donc qui ne sont pas bien tracés, il faut le prendre en considération. C, la couleur, la couleur hétérogène, quand un seul grain de beauté a deux couleurs différentes. D, le diamètre, si un grain de beauté est au-delà de 6 millimètres, il faut le prendre au sérieux. E, l’évolution, quand un grain de beauté commence à changer de couleur, commence à vous gratter, commence à saigner, commence à vous faire mal, là attention ! Il faut consulter le plus tôt possible pour faire une exérèse et effectuer un examen anatomo-pathologique, parce que si on laisse ça évoluer des années et des années, le stade du mélanome sera à un niveau très avancé. Ce qu’on peut savoir en le dosant avec un indice de Breslow, souvent en le combinant avec le niveau de Clark. Donc, plus le pourcentage de l’IB est grand, plus le pronostic est mauvais. En ce qui concerne les autres cancers, comme celui du basocellulaire, ce dernier peut apparaître dans n’importe quelle partie du corps humain, mais surtout sur le visage, ou les zones « photo-exposées ». Le cancer basocellulaire est un cancer responsable de la destruction de la peau locale. Le carcinome épidermoïde est un carcinome malin qui peut provoquer des métastases à distance. Donc le plus souvent, on a des lésions kératosiques, consistant en des petites tâches brunes qui commencent à changer, une plaie qui ne veut pas guérir. Dans ce cas, il faut absolument consulter votre médecin, parce qu’il pourrait s’agir d’un carcinome épidermoïde, et la chirurgie reste le traitement le plus efficace si le cancer est pris à temps.

Exergues

-Une forte exposition au soleil provoque une sécheresse de la peau.

-Le mélanome est le seul cancer de la peau guérissable à 100%

Il faut absolument mettre un écran solaire dont l’indice de protection dépasse les 50+