« Autodid’Art », l’art naïf dans tous ses états

Exposition collective à Rabat

Par MERIEM RKIOUAK – MAP

Huit plasticiens autodidactes, des toiles de différents styles et de la créativité à revendre. Tel a été le décor en cette soirée de mardi à la Villa des Arts de Rabat, qui a accueilli le vernissage d’une exposition collective baptisée « Autodid’Art ».
Une exposition pas comme les autres parce qu’elle met en avant l’art naïf dans tous ses états, pratiqué par différentes générations d’artistes ayant en partage un amour incommensurable de l’art et un désir de braver les diktats de « l’artistiquement correct » pour voler de leurs propres ailes dans le ciel de la créativité.
Pour faire connaître les réalisations de ces peintres aussi doués qu’originaux, dont la plupart travaillent dans l’ombre, la Fondation AL MADA, organisatrice de l’événement, a mis les petits plats dans les grands en sélectionnant des dizaines de toiles réparties sur deux salles d’exposition. L’événement se poursuit jusqu’au 13 avril, de quoi offrir largement le temps au public pour se délecter de ces œuvres représentatives de l’art naïf qui prend du galon au Maroc et dans le monde.
Karima Alami, Anissa Berrada, Haja Zahra Bouali, Mina Jabrane, Douja Ghannam, Fahd Idrissi Khamlichi, Hajar Lmortaji et Laila Skalli. Huit artistes, huit univers picturaux gouvernés par la seule loi de l’imagination, loin de tout courant ou tradition artistique.
Droit dans leurs bottes, les artistes, d’âges et de milieux variés, se sont mis à expliquer aux visiteurs curieux les significations de leurs œuvres, les choix esthétiques, les techniques utilisées… Ces derniers n’ont pas tardé à avoir un coup de cœur pour ces coups de pinceau naïfs et impétueux faisant tout le charme de ces tableaux aux tonalités chaudes qui oscillent entre l’impressionnisme et l’expressionnisme abstrait.
Des paysages de campagne inondés de lumière, des costumes folkloriques multicolores, des visages familiers, des maisons traditionnelles, des chevaux barbes joliment harnachés, des moucharabieh et des fontaines… La plupart de ces créations, prenant racine dans la terre nourricière, le patrimoine et la mémoire collective, racontent des fragments de vie et de petites histoires du Maroc d’aujourd’hui ou d’antan.
D’autres ont préféré user d’un langage pictural plus abstrait, aux couleurs plutôt froides, en superposant des éléments hybrides et des formes asymétriques, dans un joli “chaos créateur » ouvert sur toutes les lectures.
Malgré leur grande diversité, ces œuvres ont ceci en commun qu’elles balayent d’un coup de pinceau toutes les règles connues des écoles de peinture et font fi des classifications académiques, de la géométrie et de la perspective pour laisser l’imaginaire et le subjectif prendre le dessus.
Pour Fahd Idrissi Khamlichi, plasticien et ingénieur en intelligence artificielle, la part de l’inné dans l’art en général est indéniable.
“Certes, un artiste qui développe son talent dans une école ou une académie d’art a plus de chance d’avoir une carrière brillante. Mais, de l’autre côté, la créativité et l’authenticité s’en trouvent bridées puisque le souci de plaire au public et de rester à la mode est omniprésent, dans le choix des couleurs, des thèmes, etc.”, soutient-il dans une déclaration à M24, la chaîne télévisée d’information en continu de la MAP.
Sans se réclamer d’un courant précis, le jeune peintre dit se reconnaître dans l’art expressionniste qui constitue pour lui “à la fois une passion et une thérapie”.
La quatre-vingtaine épanouie, Haja Zahra Bouali, née en 1938, est sans conteste la Guest-star de la soirée. Ses œuvres, aux couleurs vives et aux formes exubérantes et ingénues, rappellent trait pour trait celles de feue Chaibia Talal et ne manquent pas de susciter l’admiration et la curiosité des visiteurs qui viennent l’interroger sur sa démarche, ses sources d’inspiration…
A “M24”, la doyenne raconte ses débuts en arts plastiques: “Née dans la région de Doukkala et titulaire d’un diplôme en couture, j’ai fait du tissage et de la broderie mon gagne-pain. En 1993, quelque temps après le décès de mon mari, je tricotais près de la fenêtre quand j’ai vu par hasard mon voisin en train de peindre. J’ai immédiatement quitté mon ouvrage pour aller réclamer à mon fils une toile, des pinceaux et une boîte de couleurs. C’est comme ça que j’ai commencé la peinture et depuis, je ne l’ai jamais quittée”, indique-t-elle, affirmant avoir trouvé consolation et réconfort auprès de l’art plastique, une activité qui demande “beaucoup de patience et de concentration”.
Douja Ghannam est une autre artiste autodidacte qui s’est entichée très tôt des couleurs et des formes. Réunies dans une collection intitulée “Kan ya Ma Kan”, ses fresques monumentales, très riches en détails, décrivent des scènes de vie à l’ancienne dans la médina de Rabat (des enfants jouant dans le quartier, des femmes confectionnant des pâtisseries traditionnelles destinées à une fête de mariage, des foqha récitant le Coran dans une mosquée, etc.)
“Je peins depuis 1995. Mes enfants ayant grandi et moi-même n’exerçant pas une activité professionnelle, j’avais assez de temps libre pour me consacrer à la peinture, une passion d’enfance”, indique-t-elle à M24, ajoutant que la production d’un tableau lui prend jusqu’à deux ans de travail.
A travers ces huit artistes pleins de talent et d’ambition, appartenant à différentes générations et divers styles, l’art naïf, 100% autodidacte, se déploie dans toute sa splendeur. Un vent de fraîcheur dont la scène picturale marocaine avait grandement besoin !

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