« Chams », tel un requiem au milieu du ciel…

Mohamed Nait Youssef

L’histoire commence, peut-être, ici ou ailleurs. Les temps s’arrêtent. Un instant figé. Soudain, un oiseau migrateur venu de nulle part pour meubler le vide sidéral du fond de la toile. Sa voix raisonne dans l’espace, hante les planches, tel un chant, un requiem !
À la mythique salle Bahnini du Ministère de la Culture à Rabat, le public, nombreux d’ailleurs, a afflué pour ne pas manquer la 4ème  représentation de la pièce de théâtre Chams, signée par le metteur en scène et scénographe, Amin Boudrika. L’intrigue est simple, mais loin d’être simpliste. C’est le récit d’un couple, Chams et Amir, menant une vie paisible, simple et ordinaire, dont les prémisses d’une histoire d’amour ont déjà commencé dans les couloirs d’une conserverie de poissons au Nord du Maroc. La vie était tellement belle dans les yeux des amoureux avant que les choses ne se basculent, au fil du temps…

La beauté des commencements…

C’est l’histoire de Chams incarnant le modèle d’une femme marocaine souffrante dans sa tête et dans sa peau. C’est ainsi sa nouvelle vie déchirée par les conflits à la fois émotionnels, psychologiques, familiaux, sociétaux. Le bonheur lui a tourné du dos ! Seuls les commencements sont beaux, disait l’autre.

En effet, entre le présent et le passé, le désir, la souffrance et l’espérance, le personnage principal de la pièce se jette dans un terrain miné, où  le patriarcat et les fantasmes d’un mari machos pèsent lourd sur ses épaules. Que vaut la vie d’une femme sans foyer, sans enfants ? Absolument rien, aux yeux d’un époux reproduisant quelques représentations sociales. A vrai dire, Chams, c’est aussi ce regard accusant de la société, ce poids insupportable de la société.

«J’avais une amie qui a eu le baby-blues. C’était une problématique qui m’a tant  interpellée ! Par la suite, j’ai mené des recherches sur les causes de cet épisode de déprime. C’était ainsi le point de départ de ce travail, dont les inspirations sont diverses et multiples, entre autres, la mythologie grecque.», nous confie le metteur en scène Amin Boudrika.   

Sur scène se joue des rôles et s’incarnent des vies…parallèles!  Par ailleurs, la mise en scène a été conçue comme un va-et-vient entre le passé et le présent, entre le désir et la douleur en se basant sur un travail psychologique des personnages de la pièce.

«Dans la mise en scène, j’ai essayé de faire quelque chose de traditionnel où on raconte l’histoire d’une manière linéaire, tout en s’articulant sur l’interdisciplinarité de l’art. À vrai dire, c’est un projet de toute la compagnie (Corp’Scène). C’est-à-dire que tous les éléments qui sont sur scène, sont des éléments vivants.», a-t-il affirmé.

Une économie des gestes. Un jeu minimaliste. La mise en scène a été bien étudiée et bien maîtrisée, où chaque mouvement des comédiens sur les planches a un sens, une signification.

«On ne fait pas de la décoration, mais de la dramaturgie de l’espace parce que cet espace scénique est très important.  Donc, je travaille la mise en scène à travers la scénographie et les images.», a-t-il fait savoir.

Un mur, des situations en filigrane…

La scénographie réalisée par Yassine Elhour et Amin Boudrika ressemble à un mur mobile, dont chaque déplacement renvoie à une situation différente, en filigrane.  «À la base, on a choisi de faire une tournette pour travailler sur l’intérieur et l’extérieur. Mais, faute de moyens, on n’a pas pu y arriver.», a-t-il révélé. Et d’ajouter : «On a essayé de retrouver la solution pour garder ce travail entre l’intérieur et l’extérieur.  Pour ce faire, on a travaillé sur un mur qui accentue ce concept du voyeurisme.»

Une sterne s’invite dans la pièce…

La pièce regorge de signes et symboles. D’ailleurs, le choix de la sterne, oiseau marin, n’est pas anodin. La preuve ? Elle est un personnage clé (narrateur)  dans la pièce auquel la parole lui a été donnée.

 Pour le metteur en scène, le choix d’une sterne est symbolique dans la mesure où il pourrait voir des cultures et voyager dans le temps et dans l’espace. « Ce petit oiseau marin va constater que ces choses peuvent se produire dans toutes les sociétés de la même manière. C’est le même résultat, sauf que les langues et les traditions qui changent. C’est une thématique universelle qui traverse les peuples.»

C’est un oiseau qui voyage et qui est au courant de tout. «C’est un conteur qui donne plus d’informations en racontant l’histoire, une histoire répétitive qui a été déjà  racontée dans une autre époque et un autre espace.», indique la comédienne, Hasna Tamtaoui qui s’est mise dans la peau d’une sterne.

De la profondeur dans l’espace !

La vidéo, créée par Mahdi Boudrika, a  apporté une certaine profondeur dans l’espace, de se focaliser sur les détails, les plus minutieux. «J’avais envie de sortir de la boîte noire, mais aussi de donner des détails de la sterne, du poisson, mais aussi des  expressions en créant des contrastes entre les deux émotions.», précise le metteur en scène. Et d’ajouter : «j’aime bien travailler sur le théâtre interdisciplinaire ; de mélanger la danse, la vidéo, le théâtre, parce que son vrai sens, c’est l’interdisciplinarité.»

La pièce présentée par la compagnie Corp’Scène, a été jouée avec brio par Hasna Tamtaoui, Hajar Chargui, Ismail Alaoui et Zaynab Alji.

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