« Si on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique. » Platon

Point de vue

Ahidous à travers la 22ème édition du festival d’Ain Llouh

Par El Ghazi Lakbir

Il relève du devoir de rendre hommage d’emblée,  à l’association TAYMAT POUR LES ARTS DE L’ATLAS pour les efforts qu’elle déploie et pour  l’engagement solennel et inconditionnel qui est le sien. Sa vocation à protéger, à  promouvoir et à développer cet héritage plusieurs fois millénaire mérite compliments et applaudissements. En effet,  sans son aile protectrice, sans sa préservation maternelle et sans son acharnement légendaire, Ahidous serait menacé de disparition ou aurait muté, sous l’effet des risques et aléas sociaux, vers d’autres manières le contrefaisant et le dénaturant inévitablement.

Certainement, la manière  d’élaborer, de programmer et de mettre sur pied les activités de la célébration  peut être débattue.  Il est compréhensible que cette manière soit source de différends entre différentes façons de penser l’appui et l’épanouissement du patrimoine, mais rares seraient les opinions hostiles à la tenue d’une telle manifestation dédiée à ce capital immatériel. 

Institution socioculturelle amazigh participant à l’apprentissage des codes de la vie en société et enrichissant les acquis installés  par la famille, Ahidous est créé pour être pratiqué. Effectivement, à l’exception des enfants et des personnes âgées, tous les membres (hommes et femmes) de la société se livrent à cette pratique ancestrale. Les acteurs s’organisent en auréole et entourent en embrassant l’auditoire n’ayant pas pu se mettre en scène et qui constitue un public source de sérieuses préoccupations et de craintes pour les artistes parce que composé particulièrement de fins connaisseurs de la tradition (Ayt wammas).

Ahidous  ne garde plus son aspect circulaire depuis que l’Atlas tombait entre les mains de la France. Du fait que, comme ils avaient cassé la résistance, démantelé les structures socio-économiques en place, les français, ne pouvant rejoindre les spectateurs ( Ayt wammas) et tenant  surtout à détériorer tous les éléments de la cohésion sociale amazigh, procédèrent à son déchirement en le réduisant à un pseudo arc de cercle.

La structure de cet artifice quant à elle, est immuable dans toutes les localités où il est pratiqué. Les femmes et les hommes se mettent coude-à-coude et se livrent à la fantaisie.

Cependant, certaines variations relatives aux tambourineurs, aux applaudisseurs et à la manière dont la mélodie est clamée se manifestent à la vue.

Aussi faut-il remarquer que d’une manière générale et partout où cet art est toujours en vie, une séance d’Ahidous passe par trois phases ; elle s’inaugure par un rythme lent puis,  la cadence s’active davantage pour devenir précipitée lorsqu’elle tire à sa fin.   

Ahidous, n’est pas une simple danse comme on pousse à croire, et n’est pas simplement non plus un moment d’improvisation poétique comme on préfère souvent le qualifier. Ce sont généralement des soirées d’école d’instruction sociale de manière d’être, de véritables cours de culture et de reproduction de la société. L’Histoire y est racontée, les héros du peuple y sont cités et prônés et les valeurs et les références y sont rappelées et initiées.

Qu’en est-il alors de la 22 ème  édition du fameux festival de Ain Llouh ?

Tamazight y est-elle promue ?

Les cimes des montagnes et les creux des vallées ont-ils reconnu les percussions de l’Alloun (tambourin)?

La voix des interprètes de Tamawayt a-t-elle bien porté pour transmettre au loin les paroles nouvellement créées ?

Pour tenter de répondre à ces questions et bien d’autres et, par contrainte méthodologique, j’aborderai le sujet sous différents plans.

  1. Sur le plan de la visibilité

Je laisse entendre par visibilité la tenue, le langage corporel et les couleurs exposées.

A ce niveau, Ahidous connait une véritable évolution. Effectivement, les habits portés par les chevaliers sont tirés à quatre épingles et uniformisés pour chaque troupe. Les gestes et mouvements (piétinement, tremblement, saut…) sont conçus au préalable, chaque groupe en invente davantage, mais la plupart des temps sans acception. Le coordinateur, appelé faussement  maestro, essaye autant que faire se peut, à la fois d’harmoniser ses gestes aux percussions des tambourins, de tourner la tête au public et de séduire le jury. Le divertissement est généralement là, mais la spontanéité et l’authenticité font éventuellement défaut.

La couleur blanche ne fait plus l’exclusivité comme auparavant, le bleu et le rouge  s’imposent au regard. La participation de la femme à l’édition de cette année est très peu importante. Ahidous sans la femme,  de quoi parle-t-on ?

Les jeunes, eux, ont enfin réussi à percer, ce qui est rassurant quant à l’avenir de ce patrimoine amazigh.

  • Sur le plan linguistique        

Ahidous ne parle que Tamazight. Les poètes ont préparé à l’avance les paroles à chanter une fois sur scène. Etant  paroliers et maîtres de la parole « ayt wawal », rares sont celles et ceux qui pourraient leur faire des reproches à ce niveau. Néanmoins, il est possible de remarquer que le champ sémantique dominant cette année se rapporte au dépit et au mécontentement.

La présentation amazighophone laisse à désirer. Quand le speaker homme ou femme trouve des difficultés à s’exprimer ou  articule  mal les mots prononcés (ITYEEL à la place de ITGUEL) les cèdres pleurent à chaudes larmes et éclatent en sanglots. Imazighn quant à eux s’en désolent.

En principe ces présentateurs et présentatrices devraient servir de modèle pour les visiteurs des lieux, pour les téléspectateurs qui sont devant leurs écrans et pour les auditeurs qui prêtent leur oreille à la radio. Ils devraient s’exprimer efficacement et parler avec éloquence. Mais ce n’était pas toujours le cas hélas !

  • Sur le plan du contenu

Je sous-entends par contenu, les matières présentées durant les trois jours du festival, à savoir les conférences débats, les spectacles sur scène, les expositions artisanales et tout autre moyen servant d’appui à la réalisation de l’objectif principal en l’occurrence promouvoir les Arts de l’Atlas donc de  la culture amazigh in fine.

Cette année, les festivités qui ont commencé le 4 août 2023 ont été limitées à la reproduction sur scènes des associations sélectionnées lors des éliminations organisées antérieurement. Ni conférence-débat, ni exposition ni démarche mettant en avant l’art ou la culture de l’Atlas.

Coude-à-coude comme dans une scène d’Ahidous, le ministère de la culture et les différents partenaires de l’association organisatrice de l’évènement sont appelés à repenser le contenu de l’occasion pour mieux la réussir et en tirer bénéfice.

En guise de conclusion

L’évolution est un destin inévitable. La subir n’est qu’une question de temps. Reste à savoir qui serons-nous quand nous aurons subi/réalisé le changement ?

Serons-nous développés ?

Mais le développement est en définitive humain et,  sans culture l’humain est commun, simple produit d’un atelier du prêt-à-être.

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