Essences esthétiques d’Essaouira

Hassan Laghdache

Essaouira serait un mot qui dériverait de « Cura ».  On suppose qu’au moment de la construction de la ville, on aurait montré une petite image au sultan My Abdellah. L’originalité de cette ville est que son développement n’a pas été pensé à partir d’une industrialisation ou de la création de services tertiaires, mais à partir de la création et du renforcement d’une image fondée sur la culture et sur un héritage culturel. Artistiquement, il y a surtout des artisans, artistes, c’est-à-dire des artistes qui possèdent un savoir concernant les couleurs, les pigments, les teintes, les vernis, les mélanges solvant, la marqueterie « Attatiim », etc. Cependant, quelles représentations avons-nous du champ artistique Souiri ? A première vue, il s’agit des représentations sur l’autodidaxie et les formes concrètes qu’elle peut revêtir. En majorité, les artistes souiris se prononcent autodidactes dont le but, la démarche, les supports sont organisés par le sujet lui-même, individuellement ou en collectif. Il s’agit pour la plupart de forger un attribut identitaire, et c’est en même temps un indicateur d’une société en crise où les institutions éducatives sont fragilisées et cloisonnées (absence d’une école des beaux-arts). On peut à l’instar d’Ogier, personnage de la Nausée de Sartre, considérer ces artistes comme atypiques. Bref, l’art à Essaouira fleurit aux lisières des savoirs non encore contrôlés.

C’est dans cette tendance que s’inscrit l’exposition collective intitulée Essences esthétiques d’Essaouiraqui a eu lieu le dimanche 20 Août 2023 à la Galerie BorjBab Marrakech. Cette manifestation artistique regroupe 11 artistes souiris qui ont capturé l’essence de la cité d’Essaouira à travers des couleurs vibrants, des formes magiques et des symboles porteurs de messages humains. Il s’agit d’abord de l’artiste Abdallah Oulamine connu par sa maitrise technique du pointillisme au service de la sensibilisation à la dégradation écologique de la flore, notamment le cactus ;conduisant ainsi à une forte baisse de la biodiversité. Sa peinture mime la déclinaison du rythme alarmant et vulnérable du sol sudique au Maroc.  Quant à Halima Slika, elle est attirée par les figures féminines à ventres gonflés. Il est question d’une tension entre le dedans et le dehors, car ce qui change dans un corps, c’est l’activité abdominale. Mais, l’ADN de cet art a horreur du vide, c’est pour cela qu’il est marqué par les composantes de l’art islamique, notamment le remplissage et la superposition d’éléments d’architecture ou décoratifs sur une même sphère. Pour Tabal, sa peinture constitue, le « RZUN » symbolique de la ville car l’artiste qui peint reçoit les gratifications morales grâce à ses errances mémorielles qui réenchantent les rites Gnaouis. 

Pour Abdallah Rbia, l’investissement des signes ancestraux à travers des formes géométriques témoigne d’un art conceptuel. Différent est le travail de Chama Attar qui synthétise les différents styles picturaux (nature morte, paysage semi-figuration) sur une même sphère. Sur les mêmes traces, l’artiste disciple de BenhilaRegraguia, Fatima Ezzahra El Khouihi revisite les scènes quotidiennes et légendaires grâce à un art instinctif puisant ses ressources dans le legs patrimonial marocain. C’est ainsi que Nadia Ouchatar, elle aussi, artiste plasticienne passionnée du tissage œuvre à recycler les produits traditionnels (Hayek- bois, roseaux, cuir, cuivre-fer) pour asseoir une logique visuelle cohérente entre le contenu et le contenant. Oufa El Hadir est une passionnée des motifs et des symboles gravés sur les ornements, le bois de genévrier, ce qui a donné lieu à une abstraction symbolique. Ses monochromes à base d’encre permettent de circonscrire les nombres détails du dessin, notamment certaines silhouettes féminines. Et Ali Mimoun, cet artiste artisan qui associe la matière et le bois pour enchanter notre regard par un des êtres fantastiques à travers lesquels s’exprime la force suggestive d’un art inventif. Ahmed Harrouz est un artiste en perpétuelle recherche plastique. Il est connu pour son réalisme symbolique où la charge patrimoniale de l’espace souiri s’infiltre dans un questionnement philosophique sur la mise en perspective à venir. Enfin, Mustapha Boumzzourh, cet artiste artisan est orienté vers une calligraphie sculpturale où la figure de l’anti-Eve est dominante. Les thèmes spirituels tels le dernier jugement invitent à une contemplation sur le manichéisme spirituel qui rattache l’être humain à une nature corruptrice. On constate bien que cette exposition a essayé de réinventer les dimensions cachées de l’héritage architectural, culturel et spirituel d’Essaouira en s’inspirant des traces des grands maîtres dans diverses expressions artistiques. Chacun des artistes a essayé de révéler son empreinte. Toutefois, l’ADN commun d’une telle expérience artistique est cette tension entre un dedans et un dehors, un je et un autre, une matière et une main. Il s’agit de suggérer des manières avec leurs représentations. Cette exposition est alors un trope de la contemporanéité visuelle à Essaouira.

Top