Michel Ciment, Adieu maître !

La critique de cinéma en deuil

Mohammed Bakrim

Michel Ciment, critique de cinéma français, directeur de la publication de la revue Positif, le contre-champ cinéphilique des Cahiers du cinéma, est décédé à Paris (1938 – 2023). C’est une figure historique de la critique cinématographique non seulement en France mais également sur le plan international tant il avait marqué par sa pratique par une grande ouverture d’esprit et une générosité intellectuelle sans faille. Universitaire, spécialiste de la civilisation américaine, il développait un discours sur le cinéma limpide et passionné loin du jargon académique. C’était une plume incontournable et une voix ; ses émissions à la radio ont popularisé un cinéma différent et ont suscité des vocations. Beaucoup sont venus au cinéma grâce à la célèbre émission radiophonie Le masque et la plume. J’ai eu le plaisir d’assister à l’enregistrement public de l’un de ses épisodes au siège de Radio France pas loin de la Tour Eiffel. Un large public, jeunes et moins jeunes écoutait dans un silence d’église et suivaint l’échange où brillait Michel Ciment. J’ai eu l’occasion de le croiser lors d’une longue file à Cannes pour accder à un film dans la salle du palais dédié A un Certain regard. J’ai constaté de visu combien le Monsieur était respecté, combien tout le monde le saluait et j’ai remarqué surtout son immense humanisme et sa modestie, lui disposait d’un badge spécial restait le grand public.  Aujourd’hui, je luis dis bien Adieu Maître par reconnaissance et par gratitude. Grâce à ses écrits et à ses interventions j’ai appris deux choses qui m’aident dans ma modeste contribution au cham de la critique. D’abord ne pas opérer de distinction contradictoire entre cinéma d’auetr et et cinéma grand public. Pour Michel Ciment, la force du cinéma américain est de faire aimer le cinéma au public dans une communion de plaisir. Un film comme 2001, l’odyssée de l’espace gagne l’adhésion de l’ouvrier comme de l’intellectuel. Il ne croit pas à la « sacralité du cinéma d’auteur » au détriment du cinéma populaire. Le hasard veut que je rappelle cela alors que je viens d’écrire sur le nouveau film de Martin Scorsese et sur le nouveau Said Naciri. Ensuite, l’autre leçon si j’ose dire est qu’il ne faut pas freiner son enthousiasme pour un film que nous aimons. Adieu Maître effectivement !

Michel Ciment est l’auteur de plusieurs livres ; celui sur Stanley Kubrick est une référence universelle. Il n’a pas son équivalent pour mener un entretien.  L’un de ses livres, Le cinéma en partage, accompagne ma pratique de critique. Il relate  sa riche expérience, ses voyages et ses rencontres avec les grands noms du cinéma internationale. Sa lecture est enrichissante et tonique. Le titre est en soi tout un programme : Le cinéma en partage. Oui l’amour du cinéma, acquis dès l’enfance se prolonge avec l’acte de partage et de transmettre qui est le fondement éthique en quelque sorte de la fonction critique. Car, c’est quoi la finalité en somme ? C’est partager une passion, transmettre un savoir pour donner à cette passion une dimension intellectuelle, culturelle et artistique.

En conclusion de son livre, il cite quelques principes fondamentaux qui constituent pour lui, les qualités de base que doit avoir un bon critique. Il les appelle, « les sept vertus cardinales pour celui qui veut devenir critique de cinéma ». Je me permets de les rapporter en les commentant et en les adaptant à notre contexte.

  1. L’information : informer/ s’informer ; une critique a une dimension informative primordiale (informer son lecteur) ; mais le critique doit également être informé sur le film, sur le cinéaste… Cela permet d’éviter des contre-vérités du genre A Casablanca les anges ne volent pas (Mohamed Asli, 2004) est le premier film qui traite de l’exode rural. Ou encore, la meilleure rapportée par Michel ciment dans son livre, celle d’un critique qui affirme que les meilleures dix minutes jamais filmées par Stanley Kubrick sont celles de l’ouverture de Spartacus (1960), celles des esclaves dans les carrières de pierres. Or cette partie du film a été tournée par… Anthony Mann avant d’être licencié par Kirk Douglas (producteur du film et acteur incarnant le rôle-titre). 
  • L’analyse : une analyse portée par une grille de lecture cohérente (sémiotique, psychanalytique, sociologique, thématique, formelle…). Un critique doté d’un savoir car « celui qui sait davantage, voit davantage ». J’aime à ce propos faire le parallèle avec le scénariste. Les deux champs appellent en effet un savoir quasi-encyclopédique : sur le cinéma, sur la société, sur l’histoire, sur les acquis des sciences humaines.
  • Le style : je pense c’est le minimum dû au film et au lecteur (récepteur du discours critique). Pour un film, une critique sévère bien écrite vaut mieux qu’une critique élogieuse mal écrite ! Un texte critique tient lieu lui-même de finalité. Les textes fins et intelligents de Serge Daney sont la référence en la matière.
  • La passion ; écrire et parler des films avec enthousiasme ; on n’est pas dans un laboratoire ; ne pas hésiter à afficher son admiration ; je suis d’accord avec ce que dit Michel Ciment : « C’est faire preuve de médiocrité que d’admirer modérément ! ». Pour sa part Serge Daney (in Ciné journal volume 2) rappelle qu’André Bazin fut un grand passionné, « sans passion, il n’écrit pas, mais s’il écrit il procède avec la méthode de celui qui veut en savoir plus sur sa passion », le but étant de partager ce « plus ».
  • La curiosité : s’intéresser à tout le cinéma ; l’expérimental, le populaire ; le chinois, l’iranien…. De Faouzi Bensaïdi à Abdellah Ferkouss. Le critique-cinéphile (un pléonasme !) ne doit pas tuer le spectateur du samedi soir qui sommeille en lui.
  • La hiérarchie du jugement ; ne pas hésiter à dire voilà mes films préférés ; voilà les films qui ont marqué une période. Au sein d’un même film, savoir distinguer les aspects qui ont fait défaut ou ceux qui dessinent en filigrane une promesse
  • Le coup d’œil : l’exploration de nouveaux talents ; avoir le flair (avec l’expérience et les vertus précédentes) de voir/ sentir qu’il se passe quelque chose à un moment donné, de l’évolution d’un cinéma. « Une vraie critique invente une œuvre comme on le ferait d’un trésor » Jean Douchet.

Ce n’est pas un programme, ni une grille mais des indications nées d’une riche expérience et d’une longue pratique dans le pays (La France) qui reste l’emblème internationale de la cinéphilie. Car, fondamentalement, un critique, c’est aussi le produit d’un environnement. Si j’étais méchant, je dirais qu’en effet, chaque cinéma a la critique qu’elle mérite. C’est méchant, je dirai gratuitement, car le monde bouge et offre des multiples possibilités, y compris celle optimiste de voir la critique produire un effet. Dans son article sur André Bazin, Serge Daney notait que le fondateur des Cahiers du cinéma était « peu élitiste », et il défendait l’idée que faire aimer les bons films créera un public meilleur qui, à son tour, exigera de voir de meilleurs films. Inchallah !

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