«Le FIFM est un festival qui s’est installé avec une mission importante»

Entretien avec le cinéaste et producteur, Bertrand Bonello :

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Bertrand Bonello, réalisateur, scénariste, producteur de cinéma, compositeur et acteur français, est l’une des figures importantes du 7ème art mondial. En effet, celui qui a accompagné des voix envoûtantes, entre autres, Françoise Hardy, Gérald de Palmas, Daniel Darc, et qui a réalisé de nombreuses œuvres cinématographiques telles que «Quelque chose d’organique» (1998), «Tiresia» (2003), «Saint Laurent» (2014), «Nocturama» (2016), «Coma» (2022) ou encore la «Bête» dont la sortie en salles obscures est prévue pour février 2024, était l’un des invités de marque de la 20ème édition du Festival International du film de Marrakech (FIFM). Rencontre.

Al Bayane : Vous avez donné, vendredi dernier,  une master classe dans le cadre de la 20ème édition du Festival International du film de Marrakech (FIFM). Sans oublier également que votre nouveau  film «la Bête» (The beast)  a été projeté, samedi 2 décembre, dans la rubrique «Séances spéciales». De prime abord, que représente  le FIFM  pour vous en tant que cinéaste ?

Bertrand Bonello : Je pense que c’est un festival qui est en train de devenir important dans sa conception et qui est là pour mettre en lumière, depuis 20 ans, la cinématographie de la scène méditerranéenne afin d’aller vite. En fait, j’ai l’impression que de plus en plus, il réussit sa mission et que cette année est une très bonne année qui a été marquée par beaucoup d’activités comme les workshops des Ateliers de l’Atlas qui sont formidables. J’ai l’impression aussi que la compétition était d’un très bon niveau, surtout avec les deux films marocains en compétition. C’est un festival qui s’est vraiment installé avec une mission importante.

Vous dites dans déclaration que votre nouvel opus «la bête», attendu dans les salles obscures  en février 2024, et qui a été projeté dans le cadre des «séances spéciales » du FIFM ; est le film dont «vous êtes fier». Pouvez-vous en dire plus sur les raisons de cette déclaration ?

Oui, pour pleines de raisons parce qu’il a été difficile à faire. Donc on est encore plus fier parce qu’on a traversé beaucoup de difficultés et qu’on finit  par y arriver. Je pense que c’est mon film le plus ambitieux aussi.

Qu’elle en était le secret alors ?

Ce n’est pas une histoire d’argent parce que ce film sur les plans  formel, narratif, ressemble à-peu-près à ce que je voulais et parce qu’il affronte de manière frontale les émotions assez simples comme j’ai jamais réussi auparavant même si le récit  est complexe.

Le film est puisé dans l’univers littéraire de Henry James, notamment son roman éponyme «la Bête dans la jungle ». Parlez-nous de ce passage de la littérature au cinéma, de cette adaptation du roman ?

C’est une adaptation très libre. J’ai pris l’argument d’une nouvelle de Henry James que j’ai développée sur trois époques en ajoutant du genre, de la science-fiction avec énormément de liberté. J’ai voulu faire un  mélodrame et largement que j’ai pris ; c’était en fait la peur de s’abandonner et quand on décide d’y aller c’est trop tard.

Le film a réuni une belle brochette d’acteurs tels que Léa Seydoux et George Mackay, l’anglais qui a d’ailleurs appris le français. Parlez-nous de vos choix,  du casting et surtout de la direction  des acteurs ?

Léa c’était un choix dès le départ, c’était la troisième fois qu’on travaille ensemble. En fait, il y a trois époques dans le film et pour moi c’était la seule actrice française capable de jouer dans les trois époques. Elle a vraiment quelque chose de très intemporel qui traverse le temps tout en étant assez moderne. Léa, elle a quelque chose de très mystérieux aussi parce que quand on la filme, on ne sait pas ce qu’elle pense. Et ce mystère, la caméra l’aime. Pour George, c’est une autre histoire. C’est vrai que le film était écrit pour Léa et pour Gaspard Ulliel qui est mort quelques semaines avant le tournage que j’ai décalé pour cette raison. Mais, j’ai décidé quand même de faire ce film et de ne pas le remplacer par un acteur français. Après j’ai fait un classique casting anglo-saxon. J’ai rencontré George au bout de trois mois peut-être. C’était une rencontre immédiate. La qualité de ses essais, de son jeu et la qualité humaine aussi, et après quand je les ai vus ensemble, je me suis dit qu’il y avait un couple évident.

Le film aborde des  questions d’actualité, notamment l’intelligence artificielle et la menace de la technologie auxquelles l’existence et l’essence humaine font face. Quelles en étaient vos motivations en abordant ce sujet ?

Moi, quand j’ai commencé à écrire, c’était il y a longtemps, l’intelligence  artificielle c’était pour moi quelque chose de futur : j’en connaissais les dangers, c’était fascinant, j’ai vu le travail des chercheurs. Il y a la technologie d’une part, mais il y a aussi d’autre part l’éthique, la morale, le politique. Donc ce n’était pas uniquement en termes de scénarisation. Le film est montré en 2023 et l’intelligence artificielle n’est plus du tout un problème du futur, mais un problème contemporain parce qu’on voit bien la peur de tous les États de l’utilisation de l’intelligence artificielle, d’une régulation, de la possibilité de réguler. L’intelligence  artificielle est un outil qui est plus fort que nous, donc c’est ça qui est un peu terrifiant. Il est plus fort parce qu’il y a un endroit où il va être  plus intelligent, où il va devenir incontrôlable, où il y a des décisions politiques sur les limites de l’intelligence artificielle. Là, la crainte est réelle. La crainte de base, c’est l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins politiques parce qu’on ne peut pas réguler mondialement des pays comme la Chine ou autres.

Vous êtes à la ville ocre, Marrakech, et vous avez  consacré un film à Yves Saint Laurent dont le musée n’est pas loin d’ici (hôtel la Mamounia). Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette figure du monde de la haute couture pour en faire un film? Y avait-il quelque chose de mélancolique, voire dans son vécu qui vous a touchés peut-être le plus ?

À la base, c’est un créateur de mode et c’est aussi un artiste qui avait un rapport à la création d’une manière générale. Au-delà de ça, vous l’avez dit,  il y avait quelque chose sur la mélancolie  qui m’a beaucoup  touché. Et la mélancolie à l’intérieur d’un monde d’esthète. Sa mélancolie me parlait beaucoup en tout cas.

Vous êtes en train de préparer un spectacle pour la philharmonie pour le mois de janvier. Pouvez-vous en dire plus sur ce projet musical ?

C’est compliqué parce que comme je n’ai pas attaqué les répétitions, je ne sais pas exactement ce que ça va être. Mais, c’est un spectacle autour de l’œuvre d’Ehrenberg. D’un côté, on va rentrer dans sa tête de créateur et de l’autre côté on va suivre aussi une histoire du monde et notamment l’effondrement de l’Allemagne entre 1933 et 1939 avec l’arrivée du Troisième Reich.

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